Ajustez vos pantalons et vos lunettes, Noël arrive. Aux non-croyants de l’édition, un sondage divin vient d’être révélé, l’occasion pour certains, comme Emmanuel Carrère en septembre, de reconsidérer leur foi chrétienne: si côté assiette, le trio foie gras/chapon/bûche glacée tient encore le haut du pavé, sous le sapin, surprise, c’est le livre qui monte sur le podium des cadeaux, comme le révélait la très sérieuse étude annuelle du cabinet Deloitte.
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Crise oblige -le budget moyen des Français accusant une baisse de 4,5% par rapport à l’année dernière, aïe-, la majorité des citoyens (adultes) de 14 pays de notre tendre -et cultivée- communauté européenne, dont la Gaule, semble ainsi s’être souvenue que, miracle, le livre est un cadeau rentable qui promet un voyage en terres de fiction pour moins de 25 euros.
Plutôt que de joindre les mains, fouiller sa mémoire pour offrir un livre que l’on a soi-même aimé permet de partager avec l’être gâté quelque chose de soi.
Seul hic, dans l’océan des pages en librairies, les gondoles les plus visibles ne chanteront pas l’amour de Proust pour Venise, mais bien plus la haine de Valoche pour François, ou celle d’autrui par Zemmour et, devant la caisse, sous le coup de la panique, nombreux sont ceux qui pourraient se retrouver à acheter la dinde et le chapon, faute de temps. Alors, pour ne pas risquer l’indigestion littéraire et ne pas inviter deux fois la basse-cour à la table familiale, l’enquête Cheek révèle comment se préparer un repas de lettres gastro:
Se fier à ses souvenirs
Nul besoin de lire les manuels de développement personnel actuels, Esope et Jean de la Fontaine nous le disaient déjà, le meilleur moyen de ne pas se tromper, c’est d’abord de se faire confiance, “aide-toi, le ciel t’aidera”. Plutôt que de joindre les mains, fouiller sa mémoire pour offrir un livre que l’on a soi-même aimé permet de partager avec l’être gâté quelque chose de soi, et de remettre aux goûts du jour les œuvres que l’avalanche de nouveautés pourrait avoir étouffées. C’est aussi un moyen de faire vivre le fond des maisons, sorte de divinité étrange devant laquelle certains éditeurs, comme Fayard -qui, naguère, vivait principalement grâce à ses publications anciennes- ou Gallimard -chez qui l’attribution du prix Nobel cette année à Monsieur Modiano, après J.-M.G. Le Clézio en 2008, promet de belles ventes- s’agenouillent, et de dépenser moins, les éditions Folio ou le livre de Poche étant là pour faire des moins riches, les plus généreux.
“Vivre, disait René Char, c’est s’obstiner à achever un souvenir.” Ne nous abstenons pas.
Plutôt que de se “perdre dans le quartier” du dernier Modiano, on ira donc, par exemple, faire un tour Rue des Boutiques Obscures (Goncourt 1978) aux côtés de Guy Roland, détective amnésique parti à la recherche de sa mémoire et de son identité, ou sur La Place de l’Étoile (1968) où Patrick, alors tout jeune, partageait déjà ses souvenirs sous les traits de Raphaël Schlemilovitch, juif obsédé par l’antisémitisme dont il dessine la carte épinglée de douleurs, deux livres qui répondent, à rebours (également un chef d’œuvre, soit dit en passant, de Huysmans cette fois-ci), à la triste parole de Zemmour. “Vivre, disait René Char, c’est s’obstiner à achever un souvenir.” Ne nous abstenons pas.
Se fier à son libraire
Reconnaissable par sa station verticale, son langage articulé, ses yeux parfois cerclés, et ses mains chargées de livres, l’individu libraire représente, dans l’espèce humaine et la guerre des cadeaux, un fidèle allié. On l’oublie trop souvent, la librairie n’est pas le fast-food du commerce littéraire, c’est une pâtisserie de luxe dont le propriétaire ne prend pas que les commandes mais sait également, et ô combien, conseiller. Car eux aussi partagent leurs souvenirs de lecture heureuse et piquent les livres de fiches “coup de cœur” (celles de la librairie Comme un roman à Paris se révèlent toujours utiles) qui permettent de s’y retrouver et de découvrir des mets moins amers que les best-sellers actuels.
Aller voir Marie-Rose Guarniéri qui tient la librairie des Abbesses à Paris, Colette rue Rambuteau (deux véritables personnages qu’on croirait sortis de romans), écouter les dignitaires de la magnifique librairie Mollat à Bordeaux, ou se promener dans les allées des Fnac qui abritent nombre d’anciens libraires indépendants très éclairés, c’est l’assurance de découvrir des livres et des gens. Bref, un peu de soleil dans nos froides journées d’hiver.
Ce mois-ci, Colette conseillait par exemple Le Météorologue d’Olivier Rolin (Seuil) qui retrace le destin d’Alexéï Féodossévitch Vangengheim, liseur de ciel russe condamné en mars 1934 à dix ans de travaux forcés sur les îles Solovski et dont l’auteur a retrouvé la correspondance avec sa fille Eleonora pour écrire cette histoire, magnifique portrait qui perce les nuages de l’Est des flammes de son enfer stalinien. Olivier, de chez la librairie Comme un roman, pressait quant à lui ses visiteurs de lire le dernier prix Wepler (toujours juste et pointu), Le Soleil de Jean-Hubert Gailliot (Éd. de l’Olivier).
Se fier à la dernière de couv’, première conseillère avisée
Aux plus timides et aux plus casaniers qui préféreront acheter leurs livres seuls ou sur Internet, la quatrième de couv’ est là. Cauchemar de certains éditeurs qui s’arrachent les cheveux pour l’écrire et s’essoufflent dans le ping-pong des échanges avec l’auteur qui peut parfois la reprendre et la réécrire à l’infini (comptez en moyenne cinq versions par livre si l’animal écrivain est souple, il faudrait d’ailleurs un jour songer à publier les versions des quatrièmes des grands livres, que les lecteurs sachent ce qu’on leur a épargné, et ce qu’on a loupé), la quatrième est une sorte de créature littéraire hybride. Mi Casanova lettré, mi Marilyn lyrique, sa poitrine de mots et sa poigne rythmée doivent donner à la fois un résumé clair et succinct des aventures promises et l’envie irrépressible de plonger dans les pages de l’ouvrage, “un difficile équilibre entre l’informatif et l’incitatif”, comme disait Gérard Genette. Lue par 82% des lecteurs, on imagine l’enjeu qu’elle représente.
Il y a les discrètes, les fleuves, les paresseuses et les signées de l’auteur, bref, toute une communauté sur laquelle s’appuyer.
Il y a les discrètes comme chez Minuit qui, longtemps, a résisté à la nécessité commerciale en laissant le dos de ses livres aussi vierges que Marie le jour de Noël et qui, aujourd’hui encore, se contente de peu. Sans être moins efficaces, les quatre phrases de présentation du magnifique Berceau d’Eric Laurrent paru en octobre suffisent à convaincre: “Entre avril 2012 et septembre 2013, je me suis rendu une vingtaine de fois au Maroc. Pour y retrouver un enfant. Un enfant abandonné. Mon fils.” Il y a les fleuves, comme celles d’Actes Sud, connues pour leur paternité affichée: elles sont précédées de la mention en lettres capitales “Le point de vue des éditeurs”. Celui donné à la rentrée sur le Bye bye Elvis de Caroline de Mulder chantait bien le Love Me Tender de son héros éponyme. Enfin, il y a les plus paresseuses qui reprennent un extrait du livre mais s’avèrent souvent alléchantes, et les signées de l’auteur, comme celles de chez P.O.L. Bref, toute une communauté sur laquelle s’appuyer. À noter aussi, l’apparition récente, et cocasse, de bandes-annonces pour présenter les livres, ou la quatrième élevée au rang du 7ème art. Preuve, s’il en fallait une, que cette histoire est avant tout une affaire de chiffres….
Se fier aux lecteurs-plumitifs
Certes, il est loin le temps où les journalistes littéraires étaient aussi connus que les écrivains et où un Proust se faisait d’abord connaître comme critique (et chroniqueur mondain, scrutez bien Saywho…). Loin aussi, le temps où la presse coulait des jours heureux et où le lancement d’un livre se faisait par la lecture de sa critique. Aujourd’hui, les attaché(e)s de presse courent autant, si ce n’est plus, après une invitation au Grand Journal ou chez Ruquier qu’après une Une du Monde des livres ou une couv’ de magazine, et le passage d’un auteur à La Grande Librairie de Busnel laisse promettre, en une soirée, autant de ventes qu’un déferlement d’articles et de radios.
David Caviglioli, jeune et talentueuse plume du Nouvel Observateur en fait partie, son article sur le dernier Foenkinos était à hurler de rire et d’effroi.
Pour autant la presse reste très consultée et c’est généralement à force de voir dans tous les magazines le même livre cité ou après avoir lu un papier élogieux signé par un journaliste suivi, qu’on s’acheminera petit à petit (“aie confiance” murmurent les Kaa de la critique) vers sa librairie. Et pour joindre l’utile à l’agréable, certains brillent dans l’exercice et parviennent à dépasser l’ennuyeuse digestion/rétribution du roman pour faire de leur tribune un rendez-vous heureux: David Caviglioli, jeune et talentueuse plume du Nouvel Observateur en fait partie, son article sur le dernier Foenkinos était à hurler de rire et d’effroi (à lire aussi, sa présentation de Zemmour ou “l’ancien chroniqueur qui réclamait la parole en sautillant”).
On pense également à la bande du Masque et la Plume, émission radio polyphonique présidée par Jérôme Garcin et diffusée le dimanche sur France Inter dont les joyeux trublions (parmi lesquels Nelly Kaprièlian des Inrocks, Arnaud Viviant aussi “vu à la télé” dans Le Cercle et Ça balance à Paris ou Michel Crépu, nouvellement arrivé à la tête de la NRF) débattent des livres sans faire sonner la marche funèbre de Chopin. Enfin, il y a Augustin Trapenard, ancien couche-tard du Grand Journal passé lève-tôt chez France Inter pour son émission Boomerang ou encore Jean Birnbaum, chef adjoint chargé de l’édito du Monde des livres. Le choix est vaste, le tout, dixit Kaa, est d’avoir confiance. Suivez leurs regards.
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