La journaliste engagée Christelle Oyiri a sillonné la France pour la chaîne Viceland. Rencontre.
À quelques jours du second tour de l’élection présidentielle, Christelle Oyiri, 24 ans, sait qu’elle ne votera pas. Elle fait partie de cette jeunesse que les politiques ont perdue et qui ne se sent pas représentée par le pouvoir. Ce qui ne l’empêche pas pour autant de s’intéresser à l’élection actuelle via le programme Franceland, diffusé sur la chaîne Viceland. Tournée il y a cinq mois, pendant deux mois, cette émission lui a fait faire le tour de la France en camping-car, à la rencontre des citoyens, accompagnée de Sylla Saint-Guily et Adrien Daniel. Leur objectif? Tendre le micro à tous, et sortir du cercle parisien afin de comprendre la pluralité des opinions françaises. Dans chaque épisode, l’un des trois protagonistes se charge du commentaire et raconte au téléspectateur leur périple, leur démarche ainsi que leurs impressions.
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Ce french roadtrip a permis à Christelle Oyiri et sa team d’aller voir “des politiques de tous bords, des gens aux croyances diverses, des citadins, des ruraux, des vieux et des jeunes”. Ils sont allés à la rencontre des jeunes identitaires et des panafricanistes à Lyon, des réservistes en Creuse, des croque-morts de la confrérie des charitables dans le Pas-de-Calais. Ils ont aussi rencontré des politiques et plusieurs personnalités qui les ont aidés à mieux appréhender l’élection présidentielle et à voir un peu plus clair dans l’éclectique pays qu’est la France.
“Paris et l’Île-de-France, c’est vraiment une France à l’intérieur de la France. On voulait briser ça.”
Choisie par Viceland pour son authenticité, Christelle Oyiri est journaliste, DJ et afro-féministe revendiquée. Elle a écrit pour Vice, Brain Magazine, et même pour le prestigieux The Guardian. En interview, elle parle musique, exprime ses idées, raconte toutes ses expériences, y compris celle de Tinder qu’elle décrit comme étant “le moment de [sa] vie où [elle a] le plus compris la nécessité d’un féminisme noir”. Car, même en plein jeu de séduction, sa condition de femme noire lui était constamment renvoyée au visage et elle a eu l’impression de se prendre “dans la gueule une tempête de racisme et de misogynie” par des “jeunes créatifs parisiens”.
Consciente des enjeux de cette élection présidentielle et des risques qui pèsent sur l’Hexagone, Christelle Oyiri nous parle de son expérience Franceland et nous donne son ressenti à l’approche du second tour. Interview.
Franceland, ça vient d’où?
Le concept est inspiré de Vice does America, produit par Vice US. Les problématiques de Franceland et Vice does America sont différentes, dans la mesure où les États-Unis sont une fédération alors que la France est un pays centralisé. Notre problématique tournait autour du parisianisme: comment peut-on avoir une idée de ce qui se passe dans l’ensemble de la France avec l’élection qui approche, alors que les grands médias, les centres décisionnels, tout est à Paris. Paris et l’Île-de-France, c’est vraiment une France à l’intérieur de la France. On voulait briser ça.
Pourquoi c’était important pour toi de participer à cette aventure?
J’avais besoin de sortir de ma zone de confort. C’est idéologique, je gravite pas mal autour des milieux militants, notamment afro-féministe et intersectionnel. Si je le veux, je peux ne rester qu’avec des meufs féministes et racisées. On me disait: “T’es folle d’avoir accepté, ça va être un tour de France du racisme ordinaire.” Finalement, ce n’est pas ce qui s’est passé et c’était une super expérience. Je peux vraiment dire que la France, c’est une variété de personnes. J’ai beaucoup appris des coutumes et de ce que pensent réellement les Français. C’est pour ça que je ne suis pas surprise par le résultat du premier tour.
“Si Marine Le Pen passe, il y aura une atmosphère de haine, mais en même temps je n’appelle personne à faire barrage, on n’est pas des castors.”
Comment te sens-tu entre ces deux tours?
Je ne me sens pas hyper concernée. Je ne suis pas une attentiste politique, je n’attends rien des politiques. Je pense qu’un mec comme Macron sera obligé de rendre des comptes: les gens ne sont pas élus par l’opération du saint-esprit, ils le sont parce qu’on leur donne des Unes, un temps de parole. J’avoue que si Marine Le Pen passe, il y aura une atmosphère de haine, mais en même temps je n’appelle personne à faire barrage, on n’est pas des castors. Mais est-ce que j’ai vraiment envie de confier un pays en état d’urgence à Marine Le Pen? Pas vraiment.
Tu as rencontré les jeunes identitaires de Lyon, que retiens-tu de cette rencontre?
J’en retiens une chose très simple: ce sont des gens qui se cherchent des excuses. Ils sont dans la victimisation. On dirait qu’ils veulent être opprimés, à tel point qu’ils s’inventent des oppressions. Ce qu’on ne voit pas dans l’épisode de Franceland, c’est qu’ils parlent constamment de “la racaille”. En réalité, pour eux, “racaille”, c’est juste un mot codé pour dire “noirs et arabes”. Lorsqu’ils parlent d’identité européenne, on sait qu’ils veulent parler d’identité blanche. C’est une forme d’hypocrisie.
Pourquoi, d’après toi, certains jeunes se sentent-ils mis à l’écart en France?
Je pense que les jeunes ne s’identifient pas aux politiques parce qu’ils parlent une autre langue, une langue politicienne. Ils manient une langue de bois évidente, ils cherchent le consensus, ils veulent convaincre, même lorsque leurs idées sont radicales. Les jeunes sont plutôt méfiants et ne sont pas crédules, ils voient vite quand tu racontes de la merde. Mais ce n’est pas parce qu’ils sont moins dans la rue qu’ils ne sont pas engagés.
“Tu as des petits cons comme moi qui ont le droit de vote mais qui ne veulent pas voter.”
Beaucoup de jeunes comptent s’abstenir au second tour, qu’en penses-tu ?
Il n’y a rien de spectaculaire dans le taux d’abstention du premier tour, il était prévu; et puis ce n’est pas au moment du scrutin qu’on résout les problèmes. Je pense que ne pas voter est aussi un choix politique, on ne peut pas accuser les abstentionnistes de faire le jeu du Front national (FN), car en réalité le jeu du FN est fait depuis longtemps, avant 2002 même. Ça ne marchera plus très longtemps de culpabiliser ceux qui s’abstiennent: les vrais responsables, ce sont les politiques de droite et de gauche. Quant aux électeurs du FN, ils arriveront toujours à voir un truc anti-système dans ce parti, même si tu leur expliques que la famille Le Pen est une dynastie politique, ce n’est pas logique… Mais au final, je pense que les gens qui votent FN s’en foutent de la logique, ce qu’ils veulent, c’est juste moins d’immigrés et plus de gens qui leur ressemblent.
Pourquoi, d’après toi, les enjeux féministes ont-ils été les oubliés de la campagne présidentielle?
Certes, les enjeux féministes ont été oubliés pendant la campagne présidentielle, mais plus que ça, c’est la lutte entière qui a été discréditée: qu’il s’agisse de Marine Le Pen et de sa vision hétéro-patriarcale de la famille et de l’avortement, ou bien de François Fillon qui envisageait d’abroger le délit d’entrave à l’IVG. On n’arrivera à traiter réellement des problématiques féministes que quand les Français cesseront de croire que l’islam a le monopole de la misogynie: c’est l’affaire de tous les milieux et de toutes les confessions!
Et toi, tu vas voter au second tour?
Je n’attends plus rien de la politique donc je vais donner mon vote à un étranger. J’ai découvert Alter-votants, c’est une plateforme qui permet de mettre en relation des personnes qui ne veulent pas voter avec d’autres qui n’ont pas le droit de vote. J’ai déjà connu cette situation: ma meilleure amie avait un ex biélorusse, il était là depuis dix ans, il ne pouvait pas voter, il se sentait hyper exclu. J’ai envie d’entendre l’avis de quelqu’un qui ne peut pas voter et je voterai en fonction. Tu as des étrangers qui paient des impôts et qui n’ont pas le droit de voter, je ne trouve pas ça normal … Et tu as des petits cons comme moi qui ont le droit de vote mais qui ne veulent pas voter.
Propos recueillis par Samia Kidari
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