Depuis quelques années, les cheveux dépassent leur seule dimension esthétique. A travers des artistes engagés comme Solange, Lady Gaga et Inna Modja ils transgressent les normes sociales et posent des questions politiques et identitaires.
Une coupe de cheveux pour combattre le racisme ? Cette idée, aussi farfelue soit elle, commence à faire son chemin dans le monde pailleté de la pop culture. Outre leur dimension esthétique habituelle, les cheveux sont aujourd’hui au cœur d’une démarche politique et identitaire nouvelle pour certains artistes. C’est en tout cas la manière dont Solange Knowles se sert de sa chevelure au sein de la sphère culturelle.
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Dans une interview avec l’écrivaine new-yorkaise Judnick Mayard, Solange souligne ainsi que “les cheveux sont très spirituels et énergétiques” et qu’ils “représentent vraiment qui nous sommes”. Il est donc déplacé de vouloir toucher une coupe afro sans en demander l’autorisation, comme le dénonce avec douceur la jeune sœur de Beyoncé dans Don’t Touch My Hair: “Ne touchez pas mes cheveux/Car ce sont les émotions que je porte/Ne touchez pas mon âme/Car c’est le rythme que je connais/Ne touchez pas ma couronne”
Un utilisateur du site d’exégèse participatif Genius livre une analyse intéressante des paroles de ce premier couplet de la chanson. Il affirme que les cheveux peuvent être vus comme une forme d’expression politique et identitaire, qui met en lumière le racisme ancré envers les afro-américains:
“Les cheveux d’une femme noire sont une extension de son être et sont souvent l’expression de sa fierté d’être noire . C’est une couronne et non pas un objet de moquerie, de jugement et d’amusement pour les commentateurs blancs. Ses cheveux sont aussi collés à son corps, une raison de plus pour ne pas les toucher sans permission”.
© Itaysha Jordan
Pourtant, se faire toucher les cheveux par des inconnus est une mésaventure que vivent beaucoup d’afro-descendants, dévoile la journaliste Rokhaya Diallo, qui a consacré un livre aux cheveux naturels intitulé Afro!:
“Dès qu’il y a du volume, c’est systématique! Quand j’ai commencé à laisser pousser mes cheveux, j’ai vu que les gens avaient tendance à poser la main dans mes cheveux en me demandant ‘est-ce-que je peux toucher?’ mais avec la main déjà bien enfoncée. On a l’impression que quand on a les cheveux frisés et volumineux, ils apparaissent comme tellement étranges qu’ils entrent presque dans le domaine public.”
L’écrivaine juge que le titre de Solange a été libérateur pour beaucoup de femmes aux cheveux frisés à travers le monde, et souligne combien il est encore difficile de faire accepter ce canon de beauté: “La norme sociale pour les cheveux ce sont les cheveux lisses. Les femmes noires les plus connues ce sont Beyoncé, Oprah Winfrey, Michelle Obama… Des femmes qui raidissent leurs cheveux. C’est donc compliqué de se faire accepter avec les cheveux frisés. Ça demande du caractère et de la liberté. La majorité des femmes noires défrisent leurs cheveux ou les cachent derrière des extensions. Parmi les personnes que j’ai interviewées, beaucoup racontent que c’est difficile pour elles au travail, notamment dans les métiers de représentation, où on a pu leur demander d’adopter une coiffure professionnelle. Quand je portais des tresses, dans mon école de commerce, on m’a par exemple demandé si j’avais l’intention de partir en stage avec cette coiffure là…”
Un marqueur politique et historique fort
Avec Don’t Touch My Hair, Solange réactive donc la dimension politique des cheveux, parfois oubliée au profit de leur caractère esthétique. “Une dimension qui n’a vu le jour qu’autour des années 60”, précise Alice Morin, chargée de cours à l’université Sorbonne-Nouvelle-Paris 3. Elle rédige actuellement une thèse sur les liens entre esthétique et questions économiques, sociales et politiques. La doctorante souligne que c’est avec l’émergence d’une jeunesse afro-américaine revendicative, qui fait partie des Black Panthers, que les cheveux prennent une coloration politique au sein de la communauté afro-américaine: “Il existe une certaine frustration chez les jeunes de voir que ça n’avance pas vraiment avec les mouvements des civil rights et qu’il y a un backlash (Ndlr: réaction violente) assez fort face aux demandes des afro-américains. Le Black Panther Party naît alors de cette frustration et de la séparation de plusieurs leaders des mouvements étudiants. Ils expliquent qu’ils réclament leurs droits et leur identité. Les Black Panthers parlent beaucoup de “Black pride” (Ndlr: célébration de la culture noire face à la domination de la culture des blancs) avec le slogan “Black is beautiful”. Les Black Panthers utilisent la symbolique de l’afro car elle est immédiatement reconnaissable, il y a un côté naturel, presque incontrôlable et qui fait aussi référence à l’Afrique”.
Solange n’est cependant pas la seule artiste afro-américaine à se servir de ses cheveux comme d’une arme politique renvoyant aux Black Panthers. Janelle Monàe, Willow Smith, Lupita Nyong’o et Erykah Badu promeuvent également les cheveux naturels. Cette dernière a notamment déclaré dans une interview pour la chaîne BET que “tout ce que font les femmes noires et les personnes noires en général sont une déclaration politique” et que porter une coupe afro et des cheveux bouclés est “une déclaration politique (…) dans une société qui n’encourage pas cette part de [leur] beauté”.
“Je suis mes cheveux”
À cette dimension politique des cheveux, la dimension identitaire, presque inséparable de la première, est également mise en avant par de nombreux artistes. Lady Gaga en fait partie. Les perruques extravagantes qu’elle a l’habitude de porter sur scène ne sont qu’une facette de la relation qu’elle entretient avec ses cheveux. Dans une chanson intitulée Hair, elle explique que la liberté de sa chevelure lui donne la force d’être libre: “Si je suis sûre de moi/Ma mère va couper mes cheveux la nuit/Le matin il manque une partie de mon identité (…) J’en ai assez, c’est ma prière/Je veux mourir ayant vécue aussi libre que mes cheveux (…) Je suis aussi libre que mes cheveux/Je suis mes cheveux”. Associer ses cheveux à son identité est une chose assez commune, souligne Michel Messu dans son livre Un ethnologue chez le coiffeur. Il affirme que la coiffure “participe à part entière au façonnage de l’image de soi que l’on entend livrer aux autres”, “se donne à voir comme une expression de notre personnalité” et “fixe une modalité de notre identité”. Il ajoute:
“Le cheveu est un donné immédiat, brut, massif, de ce que l’on reçoit d’un autre. Un élément premier d’identification. Et, réciproquement, un élément d’identité de soi fourni aux autres. (…) Mais, si le cheveux décrit l’apparence, il ne s’en tient pas là. Il participe, comme héritage et comme élément constitutif de soi, à la formation des traits identitaires de la personne. (…) Bref la coiffure est grandement présente dans la quête du sens qui traverse nos relations avec les autres.”
La dimension identitaire de recherche et d’acceptation de soi, qui traverse la chanson de Lady Gaga, est particulièrement présente lorsqu’elle l’interprète en live lors du iHeartRadio Music Festival en 2011. La diva pop fait une pause au milieu de ses chorégraphies millimétrées pour s’asseoir à son piano et interpréter Hair. Elle dédie cette performance à un très jeune fan, Jamey, qui s’est suicidé à 14 ans. Avant de délivrer une version brute de son titre, Lady Gaga déclare: “J’ai écrit cette chanson à propos du fait que notre identité est tout ce qu’on a quand on est à l’école. Jamey, je sais que tu nous écoutes depuis là-haut. Tu n’es pas une victime. Tu es une leçon pour nous tous.” Au milieu de la chanson, elle lance, émue, “bullying is for losers” soit “le harcèlement c’est pour les tocards”.
“Accepte toi avec fierté”
Utiliser ses cheveux comme un étendard politique ou une revendication identitaire n’est pas une spécificité de la pop culture américaine. En France, les chanteuses Imany et Inna Modja adoptent elles aussi des coiffures naturelles, loin des canons de beauté occidentaux. La chanteuse d’origine malienne a même consacré, et bien avant Solange, une chanson à ses cheveux intitulée “Kinks in my Hair” (“J’ai des frisotis dans mes cheveux”).
Instagram / @innamodja
Inna Modja clame sur un rythme enjoué “j’ai des frisotis dans mes cheveux, j’ai les cheveux crépus/J’ose avoir du style et je n’ai pas peur/Accepte toi avec fierté/Je m’accepte avec fierté”. Elle fait de son titre un hymne d’acceptation de soi autant pour les personnes qui ont les cheveux crépus que pour les gens avec des taches de rousseur ou avec une sexualité différente:
“Cette chanson me tient particulièrement à cœur, avoue-t-elle. Elle parle de la différence, de body shaming, d’homosexualité, de la couleur de peau, de tout ce qui fait qu’une personne aujourd’hui peut ne pas se sentir acceptée par la société. Évidemment, quand on me voit, la première chose qu’on voit, ce sont mes cheveux. Mais je n’ai pas envie de faire un effort pour changer ma chevelure, j’ai envie que la société m’accepte à 100%. Mais avant que la société m’accepte, il faut que moi je m’accepte à 100%. Je trouve que les jeunes manquent d’estime de soi la plupart de temps aujourd’hui.”
Inna Modja raconte que porter ses cheveux naturels est une manière pour elle de revendiquer ses origines, de s’assumer telle qu’elle est sans avoir à lisser son image pour rentrer dans un cadre. “La différence est ce qui est intéressant. Il est important d’avoir plusieurs standards de beauté pour permettre aux jeunes de se retrouver, d’avoir un exemple pour s’identifier”, ajoute-t-elle. L’artiste malienne, qui se produira à l’Institut du monde arabe le 13 mai 2017, confie qu’au début de sa carrière, on lui a déjà suggéré de “dompter ses cheveux” ou au moins de les attacher. Le rôle politique et identitaire des cheveux dans le monde superficiel de la pop culture a peu de chances de faiblir.
Clément Boutin
Cet article a été initialement publié sur le site des Inrocks.
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