La dessinatrice Louison a suivi les derniers mois de François Hollande président et en a tiré un album plein d’humour et de tendresse.
Entre Louison et Cheek, c’est une longue histoire. Car avant de croquer des présidents de la république, la dessinatrice de presse a fait partie de l’équipe de la première heure de notre magazine, en inventant avec nous le personnage de Romy Idol, presque 30 ans, presque un mec, presque un boulot. Mais preuve que des rencards foireux aux petits fours de l’Élysée, il n’y a qu’un pas, c’est pour son nouveau livre -le premier qu’elle a réalisé entièrement en solo- qu’on la rencontre quatre ans après notre première collaboration. De l’eau a coulé sous les ponts, et la dessinatrice désormais trentenaire n’a pas chômé depuis. Albums pour ados ou femmes enceintes, mais aussi matinale télé et croquis viraux post-attentats, Louison a côtoyé l’actu de notre pays de plus ou moins près.
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C’est sa proximité avec le dessinateur Tignous, décédé dans l’attaque de Charlie Hebdo et dont elle assiste aux funérailles, qui l’amène à rencontrer Christiane Taubira en janvier 2015 alors que celle-ci est encore ministre de la Justice. Cette dernière lui permet de participer dans la foulée à un voyage présidentiel de commémoration à Auschwitz, que Louison relate dans les premières pages de sa bande dessinée Cher François. Car c’est dans la neige et le froid polonais, et accessoirement dans un Falcon, que Louison prend contact pour la première fois avec le président Hollande. Il se trouve que ce jour-là, la délégation repart du camp d’extermination sans Louison, qui se retrouve “oubliée” à Auschwitz, avant qu’une voiture ne vienne la récupérer. “Deux ans plus tard, on me parlait encore de cet épisode quand je croisais un membre du voyage à l’Elysée”, sourit la jeune femme, qui, dans un trait d’humour noir, souligne l’ironie de cette situation pour la petite-fille de déportée qu’elle est.
“Je crois qu’en cette fin de mandat, François Hollande a eu envie de laisser une trace.”
L’idée de faire une BD sur les coulisses de la présidence ne germera pas tout de suite après ce déplacement, malgré le bon contact qui s’établit ce jour-là avec François Hollande. Tout au long de l’année, Louison réfléchit à une chronique en images autour de ce personnage tout sauf normal, sans trouver le bon format. Pas évident, d’autant que les attentats de novembre 2015 viennent à nouveau assombrir l’actualité et bouleverser l’agenda présidentiel. Ce n’est que l’été suivant, alors que Louison entame une collaboration avec le magazine Grazia et que le début de la campagne présidentielle approche dangereusement, qu’elle a l’idée de donner rendez-vous au chef de l’État une fois par semaine et en dessins dans le titre féminin. Le conseiller en communication de l’Élysée approuve l’idée et rendez-vous est donné au mois de juillet pour une célébration sportive dans la résidence présidentielle.
© Louison
Sauf que la semaine suivante, après les festivités du 14 juillet, un nouvel attentat bouleverse Nice et le reste de la France. Commence pour Louison une période intensive de dessins d’actu, pas toujours drôles, dans l’ombre de François Hollande, dont on prévoit encore à l’époque la candidature à l’élection présidentielle. Dans une succession d’événements que personne n’a vu venir et dont on connaît aujourd’hui l’issue, elle apprendra comme tout le monde au mois de décembre suivant que François Hollande se retirera de cette course. C’est cette période historique qu’elle relate dans Cher François, un livre inspiré de la chronique du même nom dans Grazia, et qui retrace les derniers mois du quinquennat Hollande, jusqu’au lendemain du deuxième tour au printemps 2017. Du jour où elle a obtenu son 06 (qu’elle a entré dans son répertoire sous le nom de Frankie Gouda) à la visite des pièces secrètes de l’Élysée en passant par la galette des rois présidentielle, Louison nous dévoile avec beaucoup d’intelligence et de drôlerie les coulisses d’un univers absolument pas normal. Interview.
Alors, il est comment en vrai, François Hollande?
Il a quelque chose de magnétique, qui doit être propre à la fonction de président. Quand je l’ai rencontré pour la première fois dans ce fameux Falcon, ça faisait trois ans que je le dessinais pour différents titres de presse, et en le voyant en chair et en os, j’ai eu l’impression d’être en contact direct avec l’inspiration, c’était bizarre. En le côtoyant par la suite, j’ai découvert qu’il était très drôle mais parfois aussi très grave. Il a une excellente mémoire, il se souvient toujours de tout, même six mois après.
À ton avis, pourquoi a-t-il accepté de se laisser dessiner?
Je crois qu’en cette fin de mandat, il a eu envie de laisser une trace. On avait un bon relationnel et je dirais que ça l’amusait de se lancer indirectement dans ce projet avec moi. Il m’a fait totalement confiance, n’a jamais demandé à relire et n’a découvert la BD que quatre jours avant sa sortie, au mois d’octobre. J’avoue que quand j’ai vu mon livre dans ses mains, ça m’a fait quelque chose.
© Louison
Quel est le truc que tu as pu faire grâce à Cher François et que le commun des mortels ne pourra jamais faire?
J’ai pu visiter le salon Paulin à l’Elysée, qui n’est pas accessible au public, mais aussi tout simplement me balader dans les jardins, sans qu’il y ait un parcours balisé comme c’est le cas quand un événement y est organisé. J’ai aussi eu la chance de rencontrer le chien du président, de monter dans son Falcon et d’aller à Belle-Île en hélico: je n’en avais jamais pris de ma vie.
As-tu eu conscience de vivre des moments historiques?
Oui et non. Au bout d’un moment, j’avais tellement le nez dedans que je ne me rendais pas forcément compte. Par exemple, le soir du premier tour de l’élection présidentielle, j’ai posté une photo de François Hollande en train de découvrir les résultats dans son bureau et je ne me suis pas rendu compte que je n’étais plus dans mon rôle. J’ai compris au nombre de notifications que j’ai reçues sur Instagram que j’avais capturé quelque chose de pas commun.
“Même avec un petit Chablis dans le sang, comme au salon de l’Agriculture, il restait toujours sous contrôle.”
Qu’as-tu découvert sur le monde si spécial de la politique?
J’ai eu la confirmation qu’être président, ce n’est pas un métier normal. Quand quatre personnes t’accompagnent pour aller pisser, ce n’est pas une vie normale. Je me suis souvent demandé comment il tenait, dans ces journées qui ne finissent jamais et où les gens viennent en permanence lui parler. En fait, un président fait un métier que quasiment personne ne peut faire.
As-tu réussi à le faire sortir de son costume de président?
Il y a eu quelques instants fugaces, quand un gros mot s’échappait de sa bouche, ou quand il parlait de quelqu’un en disant “ce type”, où je me souvenais qu’il y avait une personne derrière le costume. J’aimais bien ces moments. Mais même avec un petit Chablis dans le sang, comme au salon de l’Agriculture, il restait toujours sous contrôle. La fonction exige ça.
L’entourage d’un président, est-ce un milieu aussi masculin qu’on le dit?
Oui, ça reste très costume gris, chaussures noires et cravates sombres. Lors de ma première visite à l’Élysée, avant que je ne me lance dans ma chronique, je suis arrivée en Converse et je me suis dit “merde”. (Rires.) Mais j’ai travaillé avec beaucoup de femmes car tout le service de presse était féminin, et l’Élysée est pas mal géré par des femmes. Même à la tête du service de sécurité, il y avait une cheffe et non un chef.
Il y a quelques grands absents dans ton livre, notamment François Fillon et Julie Gayet…
J’ai volontairement omis certains moments de la campagne que j’avais dessinés, comme l’affaire Fillon, dont je me demandais ce qu’il en resterait six mois plus tard au moment de la sortie du livre. Quant à Julie Gayet, c’était hors sujet, on n’a jamais parlé de la vie privée de François Hollande et je ne suis pas Closer. Le seul clin d’œil que je me suis autorisée, c’est quand on a fait évoluer la chronique Cher François dans Grazia après l’élection d’Emmanuel Macron et qu’elle a été la première invitée de la nouvelle version.
Est-ce que le héros de ta prochaine BD sera une héroïne?
C’est tout à fait possible car je rêve de faire un livre sur ma grand-mère de 96 ans.
Propos recueillis par Myriam Levain
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