Si les beaux jours vous donnent des envies d’évasion, il y a ces mois-ci matière à rêver à un monde meilleur, avec quatre publications réjouissantes.
Vous êtes-vous déjà demandé à quoi ressembleraient une santé sexuelle, une ville, un langage ou un monde du travail égalitaires? Les autrices de notre sélection y consacrent leurs ouvrages respectifs. Féministes et didactiques, leurs lectures critiques servent à mieux ouvrir le champ des possibles. Revigorant.
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Flâneuse, reconquérir la ville pas à pas, de Lauren Elkin
En résumé: À 25 ans, Lauren Elkin a fui sa banlieue new-yorkaise natale pour Paris. Elle y a découvert les délices de la flânerie. Vingt ans et quelques escapades plus tard, elle signe un essai très personnel sur le sujet, articulant littérature, urbanisme, politique et féminisme.
Ce qu’on a aimé: Il est celui qui regarde sans être vu, s’inspire de ses déambulations pour créer, et jouit de sa liberté et de son temps sans restriction. On l’appelle le flâneur. Lauren Elkin fait l’impasse sur son cas, et demande plutôt: qui est la flâneuse? Injustement restée dans l’ombre d’un Baudelaire ou d’un Hemingway, elle n’est pourtant pas moins inspirée. Virginia Woolf, Agnès Varda, George Sand ou encore Sophie Calle sont convoquées tour à tour, toutes plus inventives et aventureuses les unes que les autres dans leur rapport à la ville. L’autrice nous emmène à Paris, Venise, Londres et Tokyo, où elle mêle ses réflexions et son expérience à celles de ces promeneuses illustres. Une réjouissante lecture, fourmillant de pistes littéraires à explorer. Et un rappel utile: une fois obtenue la chambre à soi chère à Virginia Woolf, la liberté se conquiert encore dans la rue.
Paru aux éditions Hoëbeke, 368 pages, 23 euros.
Le Capitalisme patriarcal, de Silvia Federici
En résumé: Le Capitalisme patriarcal recueille six textes et conférences de Silvia Federici, datés de 1975 à aujourd’hui. On y retrouve des thèmes chers à la penseuse et universitaire, connue pour son remarquable Caliban et la sorcière: la nécessité d’une critique féministe de la théorie marxiste, ou encore le travail invisible des femmes dans la société capitaliste.
Ce qu’on a aimé: Si la pensée de Silvia Federici peut sembler ardue dans les premiers chapitres, il suffit de s’accrocher un peu pour en découvrir toute la force. Cette féministe et radicale articule de façon très pédagogique ce que le capitalisme a fait et continue de faire aux femmes -ainsi qu’aux communautés minorisées. Loin d’être les conséquences du capitalisme, les inégalités en constituent le socle. Les femmes ont donc été cantonnées dans la deuxième moitié du XIXème siècle au travail de reproduction, invisible et gratuit, pour “fournir un flux régulier de travailleurs”. Aux femmes le travail de soin, de procréation et sexuel, aux hommes le travail salarié. Véritable impensé politique, y compris par la gauche, le travail domestique des femmes continue de les aliéner, les empêchant d’accéder à l’indépendance. L’autrice aborde des pistes politiques révolutionnaires, comme le partage des tâches de reproduction et de soin et la création d’un salaire pour le travail ménager. Le dernier chapitre offre une critique particulièrement édifiante du travail sexuel des femmes et du chemin qu’il reste à parcourir en matière de libération sexuelle.
À paraître le 19 avril, aux éditions La Fabrique, 192 pages, 15 euros.
Corps accord: Guide de sexualité positive, de Nesrine Bessaïh et la CORPS féministe
En résumé: Véritable bible sur la santé sexuelle et reproductive des femmes, Our Bodies Ourselves -surnommé OBOS- s’est vendu à 4 millions d’exemplaires à travers le monde depuis sa première parution en 1974. Pas moins de 34 traductions plus tard, voici la première mouture francophone depuis bien longtemps (1979). Plus qu’une traduction, la CORPS (la Collective pour un ouvrage de référence participatif sur la santé féministe) et Nesrine Bessaïh proposent l’adaptation québécoise actualisée de ce classique.
Ce qu’on a aimé: Corps accord commence par déconstruire les normes sexuelles québécoises, en les replaçant dans le contexte de la colonisation. Très accessible et exhaustif, l’ouvrage aborde des sujets qui font l’actualité, comme les violences médicales, l’intersexualité, les poils, la grossophobie ou encore le consentement enthousiaste. Les autrices ont procédé comme leurs aînées, en recueillant des centaines de témoignages de leurs concitoyennes. Elles conservent ainsi la spécificité d’OBOS, c’est-à-dire sa démarche de réappropriation du corps par les femmes et les personnes non binaires elles-mêmes. Le propos du livre est simple, le rendant accessible dès le plus jeune âge. Pourtant, la vision inclusive et saine de la sexualité et du rapport au corps qu’il promeut est encore loin d’être normalisée. À mettre entre toutes les mains, donc. En attendant que la version française Notre corps, nous-mêmes, paraisse, si tout se passe bien, en septembre prochain.
À paraître le 23 mai, aux éditions Remue-ménage, 182 pages, 15 euros.
La Mère de toutes les questions, de Rebecca Solnit
En résumé: La Mère de toutes les questions clôt la trilogie engagée avec Garder l’espoir et Ces hommes qui m’expliquent la vie. Rebecca Solnit y “parle d’espoir autant que de violence et de lutte”. Dans les douze textes ici réunis, elle revient notamment sur le mouvement #MeToo, la tuerie misogyne de Santa Barbara en Californie, les viols sur les campus universitaires américains ou encore l’émergence d’un humour féministe.
Ce qu’on a aimé: Une “détective du langage”, voilà ce que s’emploie à être Rebecca Solnit à travers ses écrits. Dans sa quête de ce que les mots “ne veulent pas nous dire”, elle avait déjà débusqué une fâcheuse habitude masculine qui, depuis, est entrée dans nos esprits par le terme de “mansplaining”. De sa plume vive et drôle, la penseuse féministe continue de détricoter les idéologies sexistes propres à notre époque. Dans ce nouvel ouvrage, elle s’attaque par exemple à notre conception étroite du bonheur féminin, au mythe erroné du chasseur préhistorique solitaire ou encore à l’érotisation des violences faites aux femmes dans la littérature canonisée. Dans le plus long de ses essais, Brève histoire du silence, elle montre à quel point le silence est politique. Ce livre n’est rien d’autre qu’une invitation à le briser, afin de formuler les récits pluriels et non stéréotypés de demain. Car, Rebecca Solnit n’a de cesse de le démontrer, la brutalité qui s’exerce contre les femmes est un continuum, qui commence par les mots, et aboutit au viol et au meurtre. Une mine d’arguments pour continuer à défendre l’écriture inclusive.
À paraître le 18 avril aux Éditions de l’Olivier, 264 pages, 18,50 euros.
Clara Delente
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