Pour les 10 ans de Cheek, une personnalité féministe revient chaque jour sur sa décennie. Aujourd’hui, Camille Froidevaux-Metterie.
Philosophe incontournable de cette dernière décennie, Camille Froidevaux-Metterie travaille dans une perspective phénoménologique qui pense le corps des femmes entre aliénation et émancipation. Depuis La Révolution du féminin en 2015, jusqu’à son dernier essai Un si gros ventre publié à la rentrée 2023, en passant par Seins: en quête d’une libération (2020) ou Un Corps à soi (2021), elle a accompagné, nommé et analysé les révolutions liées aux corps des femmes ces dernières années, tout en faisant même une entrée remarquée en fiction avec un premier roman sensuel et incarné, Pleine et douce (2023). Habituée des pages de Cheek où nous la suivons depuis plusieurs années, elle passe cette fois-ci en revue cette dernière décennie.
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Quelles avancées féministes t’ont le plus marquée?
La grande bataille menée depuis une dizaine d’années pour la réappropriation de nos corps, dans toutes leurs dimensions, et jusqu’au plus intime. Je me réjouis de cette dynamique qui vise à faire de nos corps-objets enfin des corps-sujets.
Et quels reculs?
Tous les coups portés aux droits sexuels et reproductifs me glacent. Que l’on puisse revenir sur cet acquis anthropologique de la maîtrise de nos corps procréateurs me paraît être une atteinte mortelle aux droits des femmes, mais aussi à la démocratie, puisqu’il s’agit de rien moins que d’en exclure les femmes en les réassignant à leur fonction maternelle.
Quels sont tes films et séries féministes de la décennie?
Mustang de la cinéaste turc Deniz Gamze Ergüven (2015), Aquarius du brésilien Kleber Mendonça Filho (2016), Woman At War de la cinéaste islandaise Benedikt Erlingsson (2018), les séries Borgen et Sex Education.
Et tes livres féministes de la décennie?
Du côté des romans, Notre désir de Carolin Emcke (Seuil, 2018); Arcadie de Emmanuelle Bayamack-Tam (P.O.L., 2018); Chavirer de Lola Lafon (Actes Sud, 2020); Pauvre folle de Chloé Delaume (Seuil, 2023). Du côté des essais: Ne nous libérez pas, on s’en charge de Bibia Pavard, Florence Rochefort et Michelle Zancarini-Fournel (La Découverte, 2020); Être écoféministe. Théories et pratiques de Jeanne Burgart-Goutal (L’Échappée, 2020); Transfuges de sexe. Passer les frontières du genre de Emmanuel Beaubatie (La Découverte, 2021). Et la traduction de tous les livres de bell hooks aux Éditions Divergences.
Quelles personnalités féministes t’ont le plus marquée?
La génération des jeunes militantes qui, dans les années 2010, ont lancé la dynamique de réappropriation de nos corps, toutes celles qui portent aujourd’hui les combats incarnés sur les réseaux sociaux, dans les rues de nos villes et jusque dans les cénacles politiques. La génération Cheek, en un mot!
Quel est pour toi le mot de cette décennie féministe?
L’intime (est politique).
Quels sont les défis à relever ces dix prochaines années?
Le plus grand selon moi, c’est celui de la pédagogie féministe. Il faut faire un travail de tous les jours, par tous les canaux possibles, pour diffuser et enraciner les notions qui sous-tendent nos luttes (patriarcat, continuum sexiste, violences systémiques, cultures du viol et de l’inceste).
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