En attendant que la parité s’installe dans un monde du cinéma secoué par l’affaire Weinstein, on vous donne notre palmarès féministe idéal pour cette édition 2018 des Césars.
Si, comme nous, vous êtes adeptes des pronostics pré-César, votre liste est a priori déjà faite et les Curly sont prêts pour le plateau télé de ce soir. Comme chaque année, on a rendez-vous aujourd’hui avec le monde du cinéma français mais cette fois-ci, les retrouvailles auront sans doute une saveur légèrement différente. Près de six mois après les révélations concernant Harvey Weinstein, la planète continue de ressentir les effets du séisme que cette affaire a représenté. Moment historique pour les femmes, qui commencent seulement à se faire entendre –parfois avec peine-, il y aura un avant et un après, et nous nous apprêtons à assister aux premiers César d’après, juste avant les premiers Oscars d’après. À la lumière de ces événements, la liste des nominations françaises paraît encore globalement trop masculine, même si on perçoit que les lignes commencent doucement à bouger. En attendant les résultats, voici la Cheek liste des lauréates qu’on aimerait voir récupérer un trophée ce soir.
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Meilleure actrice
Les nommées: Juliette Binoche pour Un beau soleil intérieur, Jeanne Balibar pour Barbara, Emmanuelle Devos pour Numéro une, Marina Foïs pour L’Atelier, Charlotte Gainsbourg pour La Promesse de l’aube, Karine Viard pour Jalouse, Doria Tillier pour Monsieur & Madame Adelman.
Notre César: Bien qu’on ait beaucoup aimé la performance de Doria Tillier dans Monsieur & Madame Adelman, en cette année #MeToo, on ne voit pas d’autre option que d’attribuer le César à Emmanuelle Devos pour son rôle de grande patronne en minorité dans un monde quasi exclusivement masculin dans Numéro Une. Le film de Tonie Marshall nous plonge dans l’univers glacé du pouvoir et nous rappelle que l’ambition n’a pas de sexe, même si elle est pour l’instant beaucoup mieux admise chez les hommes. Si la réalisatrice et la comédienne se sont logiquement engagées depuis dans le mouvement #MaintenantOnAgit, qui se veut une déclinaison française de Time’s Up, on regrette toutefois qu’elles continuent de défendre Woody Allen au nom de la dissociation d’un artiste et de son œuvre.
Meilleure actrice dans un second rôle
Les nommées: Laure Calamy pour Ava, Anaïs Demoustier pour La Villa, Sara Giraudeau pour Petit Paysan, Adèle Haenel pour 120 Battements par minute, Mélanie Thierry pour Au revoir là-haut.
Notre César: On les aime toutes beaucoup, mais c’est Laure Calamy qu’on a envie de voir récompensée. Déjà parce qu’elle explose dans le très beau Ava, en mère fantasque et immature d’une jeune fille qui devient progressivement aveugle. Mais aussi, et ça n’a rien à voir, parce qu’on l’adore dans la série Dix pour cent.
Meilleur espoir féminin
Les nommées: Iris Bry pour Les Gardiennes, Laetitia Dosch pour Jeune Femme, Eye Haïdara pour Le Sens de la fête, Camélia Jordana pour Le Brio, Garance Marillier pour Grave.
Notre César: Eye Haïdara, qu’on remercie de nous avoir fait rire cet hiver dans Le Sens de la fête et qui restera l’une des premières femmes noires du cinéma français à qui l’on ait confié un rôle dont la couleur de peau n’était pas précisée dans le scénario; autrement dit, qui aurait pu être joué par n’importe quelle actrice. Une exception dans notre pays où les comédien·ne·s noir·e·s se voient encore quasiment systématiquement proposer des rôles de sans-papiers ou de vigiles. Dommage qu’Alice Isaaz, qui était époustouflante en femme battue et amoureuse dans Espèces menacées, n’ait pas passé le cap de la présélection.
Meilleurs costumes
Les nommé·e·s: Isabelle Pannetier pour 120 Battements par minutes, Mimi Lempicka pour Au revoir là-haut, Pascaline Chavanne pour Barbara, Anaïs Romand pour Les Gardiennes, Catherine Bouchard pour La Promesse de l’aube.
Notre César: Il est totalement affectif et revient à 120 Battements par minutes, qui a déterré les 501 délavés et les surchemises à carreaux de notre adolescence, nous replongeant vestimentairement dans les années 90 dans ce qu’elles avaient de plus normcore pendant deux heures.
Meilleure réalisation
Les nommé·e·s: Robin Campillo pour 120 Battements par minute, Albert Dupontel pour Au revoir là-haut, Mathieu Amalric pour Barbara, Julia Ducournau pour Grave, Hubert Charuel pour Petit paysan, Michel Hazanavicius pour Le Redoutable, Eric Toledano et Olivier Nakache pour Le Sens de la fête.
Notre César: On salue Robin Campillo et Hubert Charuel pour leur travail formidable sur 120 Battements par minute et Petit Paysan, mais on décerne sans hésiter notre César de la meilleure réalisation à Julia Ducournau. Seule femme de la liste, elle est une réalisatrice ultra convaincante qui suscite d’énormes espoirs avec Grave, un premier film impressionnant de maîtrise. Un scénario fou -on suit l’entrée en école de médecine de Justine, adolescente qui se découvre cannibale-, une mise en scène millimétrée, un rythme haletant, une photo léchée et une actrice principale, Garance Marillier, intense et précise: tout est réuni pour que Julia Ducournau tire son épingle du jeu. Récompenser ce film gore et charnel, qui explore en sous-texte la métamorphose d’une jeune fille en jeune femme et l’éruption du désir, est aussi important pour la visibilité de personnages féminins loin des stéréotypes. Clairement notre coup de cœur, même s’il faut avoir ce dernier bien accroché.
Meilleur film de court-métrage
Les nommé.e.s: Les Bigorneaux, d’Alice Vial, Le Bleu blanc rouge de mes cheveux, de Josza Anjembe, Debout Kinshasa!, de Sébastien Maître, Marlon, de Jessica Palud, Les Misérables, de Ladj Ly.
Notre César: La catégorie du meilleur court-métrage est de loin la plus intéressante. Exemplaire en termes de parité et de diversité, elle est aussi celle où s’expriment les futur·e·s grand·e·s réalisateur·rice·s de demain. Toutes et tous ont déjà le talent entre les mains et l’excellence en point de mire, et il a été difficile de les départager. Entre la beauté dramatique du Marlon de Jessica Palud, la justesse des Misérables de Ladj Ly, la malice du Debout Kinshasa! de Sébastien Maître et la finesse des Bigorneaux d’Alice Vial, le choix a été cornélien. C’est finalement ex aequo au Bleu Blanc Rouge de mes cheveux, signé de la prometteuse Josza Anjembe, et aux Bigorneaux d’Alice Vial, que l’on décerne ce César. La première pour la force et l’originalité de son histoire, portée par une actrice épatante qui porte bien son prénom, Grace Sery. La deuxième pour le choix de s’attaquer au thème de l’infertilité d’une trentenaire et aux questions bouleversantes que cette découverte pose à sa féminité, et pour sa belle Bretagne grise et sauvage en toile de fond.
Meilleur film documentaire
Les nommé·e·s: 12 jours, de Raymond Depardon, À voix haute, la force de la parole, de Stéphane de Freitas et Ladj Ly, Carré 35, d’Eric Caravaca, I Am Not Your Negro, de Raoul Peck, Visages Villages, d’Agnès Varda et JR.
Notre César: Si Visages Villages n’est sans doute pas le film le plus indispensable d’Agnès Varda, cette dernière mérite quand même notre César à plusieurs titres. D’abord, parce qu’elle continue de filmer avec la passion de ses 20 ans alors qu’elle en a désormais 88 -d’après nous, c’est cela qu’on appelle “bien vieillir”, coupe de cheveux incluse. Ensuite, parce qu’elle est la seule femme réalisatrice à avoir reçu un César d’honneur -c’était en 2001-, toutes les autres femmes “honorées” étant généralement des actrices. Enfin, car même en prenant la route avec un homme -l’artiste JR, planqué sous son chapeau et ses lunettes noires, anti-charismatique à souhait- et en rendant visite à un grand nombre d’hommes -ouvriers, dockers, facteur…-, Agnès Varda n’oublie jamais les femmes. Ainsi, elle choisit de mettre à l’écran une chauffeure de poids lourds, une éleveuse de chèvres engagée ou des mémés au caractère bien trempé. Lors d’une interview avec des femmes de dockers au Havre, elle s’étonne que l’une d’elle dise être toujours “derrière” son mari pour le soutenir. “Derrière? Pourquoi pas ‘à côté’?”, la questionne-t-elle. Sous les couches de bons sentiments, accentués par la guitare mielleuse de -M-, derrière le maniérisme de la narration et cette fantaisie toute vardasienne qui frôle souvent la nunucherie, il y a un cœur de féministe qui bat encore très fort et, on l’espère, pour très longtemps.
Meilleur premier film
Les nommé·e·s: Grave, de Julia Ducournau, Jeune femme, de Léonor Serraille, Monsieur et Madame Adelman, de Nicolas Bedos, Patients, de Grand Corps Malade et Mehdi Idir, Petit Paysan, de Hubert Charuel.
Notre César: Jeune femme, de Léonor Serraille. La trentenaire paumée incarnée par Laetitia Dosch dans le film est irritante au dernier degré, et c’est justement pour ça qu’on remercie Léonor Serraille. Récompensé en 2017 à Cannes par une Caméra d’or -prix attribué aux premiers films toutes sélections confondues-, Jeune Femme dresse le portrait d’une anti-héroïne qui ne vend pas du rêve, mais qui finit par trouver son chemin seule, alors qu’on vient de lui couper les ailes. Larguée par son mec chez qui elle vivait, Paula se retrouve à la rue et s’efforce, entre mensonges et comportements déplacés, de trouver sa propre vérité et de définir son cadre. “L’itinéraire du film, c’était de montrer comme point de départ une femme toute cassée, en bordel, et d’arriver à quelqu’un de solide. (…) On a une attente des femmes, une attente de définition, de modèle, de représentation. Je ne voulais pas qu’elle rentre dans une étiquette ou un concept mais qu’elle soit très libre”, nous expliquait Léonor Serraille en interview. Un personnage hors-normes et un film porté, ce qui ne gâche rien, par une équipe féminine: une réalisatrice, une productrice (Sandra Da Fonseca), une cheffe opératrice (Emilie Noblet), une cheffe monteuse (Clémence Carré), une ingénieure du son (Anne Dupouy) et même une compositrice de musique pour la bande originale (Julie Roué). Ce César, évidemment, leur revient à toutes.
Meilleur film étranger
Les nommé.e.s: Le Caire confidentiel, de Tarik Saleh, Dunkerque, de Christopher Nolan, L’Échange des princesses, de Marc Dugain, Faute d’amour, d’Andreï Zviaguintsev, La la Land de Damien Chazelle, Noces, de Stephan Streker, The Square, de Ruben Östlund.
Notre César: On a hésité avec L’Échange des princesses, qui se penche sur le destin de Mlle de Montpensier et Anna Maria Victoria, des filles devenues femmes avant l’heure en étant promises à des rois au XVIIIème siècle. Mais c’est finalement Noces qui emporte notre César, pour ce récit glaçant d’un mariage forcé et d’un crime d’honneur en Belgique. Magistralement interprété par la révélation Lina El Arabi, ce film met en lumière le tiraillement qu’inflige encore parfois la double culture aux femmes européennes d’origine étrangère, quand leurs familles sont encore prisonnières de schémas patriarcaux ancestraux, alors qu’elles ne veulent qu’une chose: vivre comme les femmes libres qu’elles sont.
Meilleur film
Les nommés: 120 Battements par minute, de Robin Campillo, Au Revoir là-haut, d’Albert Dupontel, Barbara, de Mathieu Amalric, Le Brio, d’Yvan Attal, Patients, de Grand Corps Malade et Mehdi Idir, Petit Paysan, d’Hubert Charuel, Le Sens de la fête, d’Eric Toledano et Olivier Nakache.
Notre César: Si l’absence de femmes parmi les nommés au César du meilleur film est évidemment une amère déception, ce n’est malheureusement pas une surprise. L’Académie des César, qui n’a pas récompensé de femme à ce titre depuis plus de dix ans -la dernière femme consacrée pour le meilleur film était Pascale Ferran en 2007, pour Lady Chatterley-, prouve à quel point elle continue d’agir comme un boys club où l’on se tape dans le dos pour se congratuler entre hommes. Depuis les années 70, seuls quatre films portés par des femmes ont remporté la prestigieuse statuette (contre 43 réalisés par des hommes): 3 hommes et un couffin, de Coline Serreau (1986), Venus beauté institut, de Tonie Marshall (2000), Le Goût des autres, d’Agnès Jaoui (2001) et donc Lady Chatterley. Heureusement, reste cette année un film extraordinaire pour lequel on ne milite (presque) pas par défaut: 120 Battements par minute. Réalisateur virtuose, acteurs et actrices génia·ux·les (dont Adèle Haenel et Aloïse Sauvage), le long-métrage ressuscite la communauté homosexuelle des années 90 décimée par le Sida et célèbre une certaine manière d’être un homme: non pas dans l’expression d’une virilité exacerbée mais dans l’engagement, la conviction et la solidarité. Une belle proposition, à laquelle on ne peut qu’adhérer.
Faustine Kopiejwski et Myriam Levain
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