À 22 ans, Camille Étienne s’impose comme l’une des militantes écolos les plus influentes de sa génération. Porte-parole du mouvement On est prêt!, l’étudiante a décidé de prendre une année de césure pour se consacrer pleinement à la cause qui l’anime depuis plusieurs années. Rencontre en plein confinement d’automne.
“Désolée, j’avais une urgence avec un député européen!”, s’excuse Camille Étienne, légèrement en retard. Une histoire de négociation sur les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de taxe de la spéculation dans le cadre du “Green deal” européen, explique-t-elle en se préparant un chocolat chaud au lait d’avoine -“pour être bien cliché”. Un jour comme un autre pour la jeune activiste, désormais habituée aux échanges avec les politiques dans le cadre de son engagement pour le climat.
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De fait, la porte-parole du mouvement On est prêt! -porté notamment par des youtubeur·se·s français·e·s-, a fait de ses talents d’oratrice son arme privilégiée. “Il y a plein d’autres manières d’agir. Il se trouve que dans mon cas, je ne suis apparemment pas trop nulle quand je parle à ces gens-là, en tout cas on m’écoute. J’adore essayer de les convaincre et je continuerai à le faire”, affirme-t-elle avec la même détermination et confiance que lors de ses interventions sur les plateaux télé, où elle est régulièrement invitée en tant que figure de la “génération climat”, et dans les messages vidéos qu’elle adresse parfois aux dirigeant·e·s sur les réseaux sociaux. Comme celle qu’elle a récemment publiée à l’attention du Premier ministre Jean Castex pour déconstruire sa croyance en la “croissance écologique”: “Vous savez, j’ai cru pendant très longtemps au Père Noël, ironise-t-elle. On a tous cru qu’on pouvait continuer comme ça sur le même chemin sans mettre en danger notre propre existence. On aimerait bien y croire nous aussi, à ce mythe agréable de croissance infinie… Mais bon, il est temps de grandir”.
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Miel du voisin et farine de sarrasin
Pour cette Savoyarde d’origine, qui nous appelle en visio depuis les montagnes, l’engagement pour le climat relève de l’évidence. “J’ai grandi en étant très proche de la nature, avec des parents qui ont un mode de vie écolo”, raconte celle qui, inspirée par une mère qui était dans l’équipe de France d’escalade et de snowboard et un père guide de haute-montagne, a fait beaucoup de ski de fond pendant son adolescence, jusqu’aux championnats de France. Une période durant laquelle elle s’engage aussi au sein du Secours catholique dans le camp de migrant·e·s à Calais pendant quelques semaines, guidée par un sentiment d’ “injustice qu’encore maintenant, [elle] n’arrive pas trop à gérer, qui [la] révolte beaucoup”, révèle-t-elle. Après son bac option montagne, elle met le cap sur Sciences Po Paris, où elle prend la mesure de la “déconnexion des citadin·e·s avec la nature”: “Je me suis rendu compte que mon éducation, le fait d’avoir grandi dans un village d’agriculteurs, était une chance, et qu’avec ce privilège venait une responsabilité qui était de parler de tout ça avec tou·te·s celles et ceux qui allaient devenir les futur·e·s dirigeant·e·s”. Comme elle le résumera plus tard dans son discours au Festival de Cannes en 2019 aux côtés de Cyril Dion: “J’ai grandi avec les légumes de notre jardin, avec l’idée que les aliments ultra-transformés c’était pire que la cigarette, que Monsanto était l’ennemi public numéro un. Ma madeleine de Proust à moi, elle est au miel du voisin et à la farine de sarrasin.”
“Drôle de sentiment que de se battre pour une guerre qu’on n’a pas nous-mêmes déclarée.”
Mais c’est vraiment au cours de sa troisième année d’études, qu’elle passe en Finlande, que son militantisme pour le climat prend forme. Passionnée par les cours qu’elle prend à la fac d’agriculture et d’agroforesterie sur place, elle se mobilise dans le cadre d’un projet étudiant contre la construction d’une nouvelle ligne de chemin de fer à travers la forêt finlandaise. En rentrant en France, elle donne un TEDx Talk sur l’agriculture sur la manière dont on peut “redonner du sens” à notre consommation. “À Sciences Po, j’avais suivi des cours de rhétorique, j’avais fait du théâtre aussi, donc c’est venu assez naturellement, explique-t-elle. Ce TedX m’a ouvert un certain nombre de portes auprès de décideur·ses et de chef·fe·s d’entreprises. Je me suis retrouvée à JP Morgan et au Ritz à faire des conférences sur l’agriculture”.
Rendre l’écologie “sexy”
Depuis, on la retrouve sur tous les fronts: politique, médiatique mais aussi artistique. À la fin du premier confinement, elle publie avec son ami et réalisateur Solal Moisan un clip engagé, “Réveillons-nous”, qui totalise 5 millions de vues toutes plateformes confondues. Le duo, baptisé Pensée sauvage, y déploie un texte truffé de punchlines. “Drôle de destin que celui de cette génération Y, drôle de sentiment que de se battre pour une guerre qu’on n’a pas nous-mêmes déclarée, clame l’activiste. Voilà un pari bien risqué que de remettre notre sort entre les mains d’une poignée de boomers”.
Elle commente: “Les rapports scientifiques et les chiffres, moi ça me touche, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. En revanche, on a tous déjà chialé devant un film… C’est quand même fou, le pouvoir du cinéma et de l’art.” Même constat pour les réseaux sociaux dont elle se dit “terrifiée par la puissance”, et où elle se prend parfois des “vagues de haine”. Celle qui “déteste Monsanto-Bayer autant que la coriandre” selon sa bio sur Insta a bien compris que le combat était aussi et peut-être avant tout culturel. Sur son deuxième compte, @atterrissage_, consacré au slow travel, elle s’évertue ainsi à “rendre sexy des vacances en Ardèche”.
Un combat de longue haleine
L’écho qu’elle rencontre est aussi preuve que la voix de la fameuse “génération climat” porte. “On dit souvent qu’on n’écoute pas assez la parole des jeunes mais toujours est-il que je trouve ça assez fou que des grand·e·s CEO, des dirigeant·e·s au niveau européen ou français se débrouillent pour avoir des rendez-vous et écouter ce que j’ai à dire”, souligne-t-elle. Invitée aux Universités d’été du Medef -où elle a suggéré qu’il faudrait “peut-être travailler moins, mais avec un peu plus de sens”- elle admet avoir été la cible de moqueries et de ricanements mais se montre confiante pour l’avenir: “Avant, on ne donnait même pas la parole aux écolos. Ils et elles finiront par se ranger. D’ailleurs, leurs réactions face caméra et hors caméra sont souvent très différentes: beaucoup me remercient d’avoir mis ces idées sur la table parce que ça leur permet ensuite d’avoir des débats en interne dont ils n’ont pas l’habitude.”
Elle poursuit: “C’est très gratifiant mais en même temps, ça met la pression!” Alors pour être calée sur ses sujets, la jeune militante échange régulièrement avec les scientifiques qui selon elle “se rendent compte de la portée médiatique qu’on a; on devient leurs porte-parole, en quelque sorte”. Elle a aussi noué des liens avec d’autres activistes sur le continent pour coordonner les actions à l’échelle européenne: Adélaïde Charlier et Anuna de Wever en Belgique, Luisa Neubauer en Allemagne et bien sûr Greta Thunberg en Suède. Et pour l’avenir? “C’est important pour moi d’être ce contre-pouvoir et d’avoir ce regard extérieur, estime-t-elle sans écarter l’idée de se lancer un jour elle-même en politique. Je n’ai pas encore assez vécu, je trouverais ça prétentieux de faire de la politique à 22 ans”.
Sophie Kloetzli
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