Contrairement à leurs aînés, les millennials ont été sensibilisés aux dangers du soleil et rejettent de plus en plus le diktat qui voudrait qu’un teint hâlé soit le signe d’un été réussi. Sous le soleil… pas exactement.
“Il y a quelques années, j’étais capable de rester à la plage toute la journée. Je mettais du monoï et j’allais régulièrement faire des UV. Mais la maternité m’a fait passer d’un extrême à l’autre: devenir maman, c’est prendre des responsabilités pour soi et son enfant”, confie Leslie, juriste de 31 ans. Des cas de cancer de la peau dans son entourage l’ont définitivement sensibilisée aux risques du soleil. Plus question de se mettre en danger à la plage. Les bains de soleil, ce n’est jamais au-delà de midi, quitte à sacrifier la grasse matinée. Plus qu’elle-même, c’est surtout sa fille de quatre ans qu’elle protège au maximum en lui faisant porter des vêtements et des lunettes anti-UV. Elle s’assure que son conjoint, noir de peau, s’enduise également de crème solaire: “C’est faux de croire que les personnes noires sont protégées des coups de soleil.”
“Le désir de rester bronzé existe toujours, mais les comportements évoluent.”
À l’image de Leslie, 95% des Français·e·s sont conscient·e·s que s’exposer au soleil sans protection constitue un danger pour leur peau et leur santé. C’est ce qu’indique un sondage Ipsos pour la marque La Roche Posay paru en 2015 et mené auprès de 20 000 personnes dans 23 pays. Mais rares sont celles et ceux qui prennent toutes les précautions adéquates: seul·e un·e sondé·é sur dix déclare se protéger tout au long de l’année.
Prise de conscience
Pourtant, les campagnes de prévention mettent en garde contre les dangers du soleil. Sur les plages, à la radio ou dans les cabinets médicaux, les bons réflexes sont rappelés: ne pas s’exposer entre 12 heures et 16 heures, repasser une couche de crème toutes les deux heures ou porter des vêtements anti-UV. “Le désir de rester bronzé existe toujours, mais les comportements évoluent. On s’expose moins longtemps au soleil, de manière plus espacée, sans chercher à brunir à tout prix”, observe Bernard Andrieu, professeur en Staps à l’université Paris Descartes et auteur de Bronzage: une petite histoire du soleil et de la peau.
Aujourd’hui, difficile d’arborer le teint d’Ophélie Winter période M6 ou de Pamela Anderson période Alerte à Malibu sans passer pour un·e inconscient·e. Si bronzer est toujours à la mode, notre rapport au soleil est passé de l’ignorance à la prudence. “L’histoire du bronzage se découpe en trois périodes, poursuit Bernard Andrieu. La première, c’est celle des années 30, qui voit naître l’ambre solaire de L’Oréal, les congés payés et les maillots de bain de plus en plus légers. Entre les années 50 et 70, cette mode s’amplifie avec le développement du tourisme et la promotion des destinations ensoleillées. Dans leurs publicités, les voyagistes mettent en avant des corps bronzés, symboles de vacances réussies. Puis, depuis les années 80, le soleil est promu comme une source de bien-être et de vitamine D.”
La crème solaire, l’indispensable des vacances
Les études scientifiques qui se multiplient ces dernières années nous font passer à l’ère de la prudence. Difficile d’ignorer que se surexposer au soleil, c’est augmenter le risque de cancer de la peau. Chaque année, 80000 nouveaux cas sont recensés. Deux tiers des mélanomes, la forme la plus redoutable du cancer, sont causés par un excès d’UV naturels ou artificiels. Des célébrités ont évoqué publiquement leur cancer de la peau, comme l’acteur Hugh Jackman, qui a sommé ses fans de ne jamais aller dans des instituts de bronzage. “Les autres risques connus, comme le vieillissement prématuré de la peau et le creusement des rides, a un effet dissuasif sur la jeune génération attachée à son apparence”, précise Christine Lafforgue, pharmaco-dermatologue à l’université Paris Sud. Et quand des marques de prêt-à-porter se risquent à exposer des corps trop brunis, elles suscitent la polémique. En 2012, une publicité de H&M montrant la mannequin brésilienne Isabeli Fontana bronzée à outrance avait provoqué l’indignation des associations anti-cancer. La marque s’était excusée… sans retirer ses publicités.
Alors, avant les vacances, les plus prudent·e·s prennent leurs dispositions. À quelques jours de son départ pour l’Espagne, Quentin, la quarantaine, passe par la pharmacie.“Je rechignais à mettre de la crème solaire, je trouvais ça trop féminin. Depuis que j’ai attrapé un gros coup de soleil il y a quelques années, j’en emporte toujours en vacances. Je me protège même lors d’une simple balade en ville”, détaille-t-il. Et tant pis pour le bronzage. “Je n’évalue pas mon séjour à la teinte de ma peau!”
Crèmes avec ou sans huile, indice 10, 30 ou 50, neutre ou parfumé… En pharmacie, la protection solaire est un soin à part entière. “Depuis quelques années, les crèmes solaires commencent à se vendre en avril et non plus début juillet, observe Armelle, pharmacienne dans le 19ème arrondissement de Paris. Les clients n’attendent plus la canicule: ils s’équipent dès les beaux jours. Les ventes n’ont pas explosé mais elles s’étalent sur une période plus longue.” Les vacanciers se montrent prudents jusque dans le choix du produit. “Les personnes soucieuses de ne pas polluer les océans privilégient les crèmes naturelles, sans produit chimique”, commente la pharmaco-dermatologue Christine Lafforgue.
S’affranchir de la “nouvelle norme pigmentaire”
Parfois, la prudence tourne à l’impératif. Candice, libraire parisienne à la peau mate, se décrit comme “intolérante au soleil”. “Je ne peux pas sortir trente minutes sans être cramée et attraper des boutons, confie-t-elle. Cette intolérance l’oblige à appliquer de la crème “toutes les dix minutes” et à chercher sans arrêt un coin d’ombre. Elle doit aussi faire une croix sur les jupes, les t-shirts et sur les sorties entre amis à la plage. “Comme mon grand-père a eu un cancer de la peau, je fais attention”, précise la jeune femme.
Malgré toutes ces précautions, éviter le soleil ne protège pas du cancer. “Rester à l’ombre n’est pas la solution miracle. Plusieurs facteurs entrent en jeu comme l’héritage génétique et le type de peau (phototype). Les personnes avec la peau, les yeux et les cheveux clairs seront toujours plus vulnérables à l’exposition solaire”, ajoute Christine Lafforgue. Sans forcément le vouloir, les “phobiques” du soleil s’affranchissent, par leur prudence, de la “nouvelle norme pigmentaire” décrite par l’historien Pascal Ory dans son Invention du bronzage. Cette “norme”, c’est celle du teint hâlé, érigé en symbole de bonne santé. “La peau participe de la vie sociale. Dans les pays occidentaux, le bronzage est dicté par les canons de la cosmétologie et devient le signe de la réussite sociale”, commente la dermatologue Sylvie Consoli.
“Une éducation au soleil est importante, via l’école ou la famille.”
Sauf que le teint bruni n’est plus toujours valorisé. “Etre bronzé à l’extrême, c’est montrer que l’on perd le contrôle de soi et de son corps. C’est poursuivre un idéal sans prendre en compte des risques connus de tous. En cela, une éducation au soleil est importante, via l’école ou la famille”, estime Bernard Andrieu. Certains pays ont prohibé les salons de bronzage, comme l’Australie et le Brésil, pour empêcher une exposition aux UV tout au long de l’année. Autre illustration de cette prudence: “Au Brésil, la dernière mode est la combinaison de plage surnommée ‘99%’ car elle couvre la quasi totalité du corps.” Une tendance inattendue dans le pays du corps-roi, qui confirme que le bronzage sera peut-être bientôt le vestige d’une autre époque.
Jean-Marc De Jaege