Depuis le fameux épisode du crâne rasé de 2007, Britney Spears a été dépossédée de son destin. Plus de dix ans après cette image bouleversante, les fans du monde entier se réunissent autour du hashtag #freebritney pour tenter de mettre fin à une tutelle paternelle jugée abusive. Explications.
C’était la saga de l’été et elle continue à connaître des rebondissements. Il faudrait libérer à tout prix Britney Spears si l’on en croit le hashtag #FreeBritney brandi par les fans de la pop star (mais pas que) sur Twitter, TikTok et Instagram. Mais que se trame-t-il au juste? Est-elle séquestrée par un homme violent? Emprisonnée par des fans délirants? Incapable de s’échapper d’une prison dorée? En 2011, un l’écrivain français Jean Rolin imaginait une histoire invraisemblable dans Le ravissement de Britney Spears. Le pitch du roman: des menaces d’enlèvement par un groupuscule islamiste planaient sur la chanteuse et un agent des services français était envoyé à Los Angeles pour suivre tout ça de près. La réalité aurait-elle dépassé la fiction?
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On a tou·te·s encore gravé à l’esprit cette image de Britney, 25 ans, le regard vide, se rasant le crâne un jour de février 2007. Comme un geste punk semblant signifier qu’elle ne voulait plus répondre au fantasme de la petite fiancée de l’Amérique au brushing parfait. Durant cette année noire, elle enchaînera les haltes en maisons de repos et devant les tribunaux, jusqu’à la perte de la garde de ses deux enfants. Suite à de multiples pétages de plomb, elle est placée en février 2008 sous la tutelle de son père, Jamie Spears, et d’un avocat, Andrew Wallet. Le père aura désormais la main sur ses fréquentations, ses déplacements, sa carrière, tandis que l’avocat s’occupera de son énorme magot, estimé à 51 millions d’euros. Du paquet de dollars qu’elle a gagnés en travaillant sans relâche depuis l’enfance, la chanteuse ne touchera plus qu’une partie, un simple salaire. Rien n’a été rendu officiel à propos de ce jugement à l’époque. Mais dans le documentaire de MTV intitulé For the Record, datant de 2008, Spears avoue: “Quand tu vas en prison, tu sais quand tu vas sortir. Mais là, la situation n’a pas de fin.” Un comble pour celle qui chante des chansons libres et sauvages qui ont aidé des millions de femmes à s’émanciper.
Pendant que Britney va à la mine (qui scintille puisqu’on est à Las Vegas ou sur le plateau de X-Factor), deux hommes empocheraient donc des millions sur son dos -son père touche plus de 100 000 dollars par an. L’une des plus grandes popstars que la terre ait connue est dépossédée du contrôle sur sa vie: à 39 ans, la jeune femme ne peut pas voter, se marier ni conduire sans l’aval d’un tiers.
Anges gardiens
Comme l’avait bien senti Britney Spears au moment de For The Record, la tutelle va durer, alors qu’elle devait au départ s’arrêter à la fin de l’année 2008. Mais plus de dix ans plus tard, Brit-Brit n’est toujours pas libre. La chanteuse a bien essayé de s’en débarrasser en août dernier lors d’une comparution au tribunal très attendue par ses fans. Elle demandait que sa curatelle soit gérée par une tutrice professionnelle et non plus par son père. Elle s’est, hélas, vu refuser sa demande et sa situation a été prolongée jusqu’au 1er février 2021. Petite victoire cependant: lors de son passage au tribunal du 14 octobre dernier, elle a été autorisée à agrandir son équipe juridique pour être mieux défendue.
En attendant que les choses changent plus radicalement, le hashtag #FreeBritney, apparu discrètement en 2009, a fait un come-back fracassant. Ses fans n’en peuvent plus de voir leur idole dépérir sur des vidéos Instagram pathétiques tournées dans sa maison-prison, et s’improvisent maintenant anges gardiens et justiciers, voulant que tout le monde soit au courant de ce que traverse l’interprète de Toxic. “Difficile à croire, disent-ils, qu’on puisse travailler autant que la star et ne pas être capable de gérer soi-même ses affaires…” Le hashtag s’est même traduit par des manifestations IRL devant le tribunal, cet été.
Kevin, danseur et fondateur du compte Instagram Free Britney France nous explique: “ Le but du mouvement est de montrer au grand public (et pas qu’aux fans de Britney) qu’elle vit sous une tutelle abusive. C’est pour cela qu’elle refuse de travailler depuis l’annulation du show Domination, sa résidence à Vegas. Le hashtag a été mis en lumière ces derniers mois grâce à des artistes comme Cher, Miley Cyrus, Paris Hilton, Sharon Osbourne, David Lachapelle, Rose McGowan. Il y a aussi eu l’intervention de son fils Jayden (Ndlr: il a dit en début d’année ‘Mon grand-père peut aller mourir’). Nous avons eu le privilège de parler avec ses enfants sur Instagram, qui soutiennent #FreeBritney. Britney est reconnaissante de tout le soutien qui lui est apporté.”
“ J’ai l’impression qu’on lui a tous juré fidélité quand on avait 9 ou 10 ans.”
Cet immense élan d’empathie envers l’artiste tient beaucoup au fait que la planète a vu Britney grandir, puisqu’elle a commencé à chanter à 11 ans avant de devenir une superstar à 16 ans. On a l’impression que la jeune femme fait partie de notre cercle proche, telle une grande sœur restée humaine et simple derrière les paillettes. Andréa, styliste de 31 ans et fan de Britney Spears, confie: “Je trouve toujours hyper touchant aux concerts de Britney de voir une telle diversité du public. À chaque fois, j’ai l’impression qu’on lui a tous juré fidélité quand on avait 9 ou 10 ans et que, malgré l’évolution et les directions parfois opposées qu’on a pu prendre (j’ai déjà vu des emo dans la foule!), on se retrouve toujours à communier autour de cette même personne depuis toutes ces années. C’est comme une réunion de famille. Mon moment préféré dans ses lives, c’est quand elle chante Stronger. Le public est tellement en osmose avec elle en hurlant les paroles qui collent si (tristement) à son parcours que c’en est terriblement émouvant. À tous les coups, je chiale.”
Théories du complot
Sauf que certain·e·s fans ne se contentent plus de témoigner leur émotion ou leur colère. De nombreux·ses amateurs·trices de Brit-Brit sont persuadé·e·s qu’elle est prise en otage et qu’elle appelle à l’aide à travers des messages cryptiques distillés sur les réseaux sociaux. Pour ces dernier·e·s, son père la menacerait de ne plus voir ses enfants si elle mettait un terme à la lucrative tutelle. D’autres prétendent qu’il aurait fait interner sa fille pour la punir car elle ne prenait plus ses médicaments pour soigner son trouble bipolaire (trouble évoqué par la chanteuse dans une émission filmée en 2013).
Des YouTubeurs analysent le compte Instagram de Spears pour y traquer des signes. Un smiley étrange en commentaire d’un message, un regard perdu, des chorés saccadées, un moment de silence, tout devient matière à s’affoler. Cet été, un fan demandait à Britney de porter du jaune dans une vidéo pour qu’elle indique si elle devait être secourue. Peu après, l’artiste arborait justement un top de cette teinte sur Instagram. Répondait-t-elle au fameux message du fan? La toile était en ébullition, tout comme lorsqu’elle s’est mise à porter du noir ou encore à soi-disant tracer le numéro d’appel d’urgence aux Etats-Unis (911) avec ses cils. De son côté, Britney Spears tente le plus souvent de calmer le jeu avec des messages rassurants postés sur Instagram, remerciant ses fans pour leur “amour et [leur] dévouement incroyables.” Son père ne voit pas les choses du même œil, déclarant dans le magazine Page Six que ce mouvement n’est qu’une vaste blague.
Résilience
Sauf que la blague n’en est pas vraiment une. Tout sauf drôle ou anecdotique, le mouvement #FreeBritney permet d’attirer l’attention sur deux sujets majeurs. La santé mentale, d’abord, puisque la bipolarité de star trône au cœur de l’affaire. Le deuxième, c’est la façon -sexiste- dont des hommes ont souvent mis la main sur les trajectoires des femmes puissantes de la pop music. Ces dernières ont du lutter pour obtenir leur indépendance. Mariah Carey vient de sortir un livre dans lequel elle explique comment Tommy Mottola exerçait le contrôle sur sa carrière et sa vie. Avant cela, Kesha déposait plainte pour abus sexuels et manipulation contre son producteur. On peut ajouter à cette liste Taylor Swift et Fiona Apple ayant eu maille à partir avec des contrats quelque peu abusifs. Chacune, à sa manière, s’est insurgée contre le statut de “victime”, souvent soutenues par les fans sur les réseaux sociaux.
C’est aussi le cas de Britney Spears, qu’il ne faudrait pas voir, malgré ses fragilités et ses moues alarmantes sur Instagram, comme une faible créature. Jean-Victor Blanc, psychiatre et auteur de Pop & Psy nous rappelle: “C’est en quelque sorte une figure du rétablissement; Après l’année 2007, on aurait pu lui prédire un destin funeste comme celui de Whitney Houston ou d’Amy Winehouse. Mais on l’a vue aller mieux, chanter, monter sur scène, s’occuper de ses enfants. C’est ce que résume bien ce slogan qu’on a vu tourner ces dernières années : ‘Si Britney a survécu à 2007, tu peux survivre à cette journée’. Elle est l’exemple vivant qu’on peut tomber et se relever, sous tutelle ou pas. ”
Violaine Schütz
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