Parce qu’il fait froid, qu’il fait nuit et qu’on a envie de se coller sous un plaid avec un bon livre, voici une sélection de trois BD pour accompagner les longues soirées d’hiver au coin du feu (ou du radiateur).
California Dreamin’, de Pénélope Bagieu (Ed. Gallimard)
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© Pénélope Bagieu
On vous plante le décor: Depuis La Page Blanche, sorti en 2013, Pénélope Bagieu fait évoluer main dans la main son style et ses choix de sujets. Exit les trentenaires et l’autobiographie, les traits ronds et le technicolor. California Dreamin’ tourne une nouvelle page en noir et blanc. Bagieu y raconte l’histoire de Cass Elliot, de son enfance à l’arrière du deli de ses parents à Baltimore au premier passage en radio de California Dreamin’, le tube de son groupe The Mamas & the Papas. Dans ce récit en forme de roman d’initiation, la pétillante chanteuse rencontre en vrac l’amour, la drogue, la jalousie, l’échec et découvre douloureusement le regard des autres sur son poids.
Pourquoi c’est Cheek: Parce qu’en racontant l’histoire de Cass Elliot, Pénélope Bagieu raconte surtout les efforts d’une femme pour se faire entendre dans le milieu ultra-sexiste de la musique. Elle se fait refouler par les producteurs à cause de son surpoids, l’amour de sa vie s’intéresse à une autre femme, le leader des Mamas and Papas rabaisse ses qualités artistiques pour imposer ses idées… Pénélope Bagieu montre par touches, avec subtilité, comment ces micro-attaques réussissent à faire flancher le plus robuste des caractères. Mais l’optimisme, l’humour et surtout la superbe voix de son personnage, que la dessinatrice illustre de son trait léger en lui faisant d’immenses yeux tendres, gagnent la mise haut la main. Seul bémol: il faut accepter d’avoir l’immortel California Dreamin’ dans la tête tout au long de la lecture. Voire deux semaines après.
Velue, de Tanx (Ed. 6 Pieds Sous Terre)
On vous plante le décor: Isabelle est née avec une condition particulière qu’elle a hérité de sa mère: son corps est intégralement couvert de poils. Pour son père, c’est une honte et il impose à sa progéniture de se raser plusieurs fois par jour. Quand il considère que cette précaution ne suffit plus, il déscolarise sa fille et l’isole du monde. Mais à l’adolescence, Isabelle décide qu’il est temps de s’inscrire au lycée. Commence alors une fable violente sur la marginalisation, dans laquelle la jeune femme assumera sa différence, laissant derrière elle ses aventures amoureuses et ses amitiés.
Pourquoi c’est Cheek: Tanx est certainement l’une des dessinatrices les plus passionnantes et les plus radicales de la scène BD actuelle. Velue raconte tous les sacrifices, acceptés par tous, qu’il faut faire pour se plier aux désirs destructeurs de la machine capitaliste et patriarcale. Celui qui souhaite échapper aux normes est immédiatement expulsé aux frontières de la société, qui prennent dans Velue des formes de souterrains ou de forêts isolées. La fable de Tanx se lit comme un brûlot contre la société mais aussi et surtout comme un manifeste féministe ivre de liberté. Velue propose un superbe exercice stylistique qui passe d’un trait noir traçant des visages durs et pleins de rage, à un chapitre final qui emprunte aux ciels de Munch, un autre sublime marginal.
L’Attente infinie, de Julia Wertz (Ed. L’Agrume)
© Julia Wertz
On vous plante le décor: Julia Wertz est la reine de l’autobiographie. Elle a commencé à raconter sa vie sur Internet au milieu des années 2000 avec son blog Fart Party, où elle enchaînait les blagues potaches et les histoires de cul. Jusqu’au point de rupture, où Wertz a eu envie de raconter les événements bouleversants de son existence. Dans L’attente Infinie, elle s’y colle et raconte avec son humour cynique et sans concessions ses petits boulots, sa maladie auto-immune, son déménagement à New York, ses problèmes persistants avec l’alcool, ses amitiés, sa relation avec son frère…
Pourquoi c’est Cheek: Avide de liberté et un peu paumée, Julia Wertz est un pur produit de la génération Y. Elle parle -et rit- mieux que personne des histoires d’amour compliquées, du porno sur Internet, de la difficulté de trouver sa voie et n’hésite pas à être honnête quitte à l’être brutalement. Elle aborde aussi les sujets qui fâchent, comme le sexisme au travail, n’hésitant pas à être soudainement grave lorsqu’un homme se déshabille devant elle dans le métro et qu’elle réfléchit aux agressions quotidiennes dont sont victimes les New-Yorkais. Une réflexion bourrée de punchlines sur une jeune femme soudainement mise face à sa propre mortalité. Et qui a décidé d’en rire, malgré tout.
Pauline Le Gall
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