Les réalisateurs de Little Miss Sunshine s’attaquent au match historique qui a opposé la joueuse lesbienne Billie Jean King au joueur misogyne Bobby Riggs. Une histoire qui a changé à jamais la face du tennis féminin.
1973. Après avoir battu à plates coutures la championne Margaret Court, le champion retraité Bobby Riggs (Steve Carell) met au défi Billie Jean King (Emma Stone), qui domine alors le tennis féminin mondial, de le battre sur un court de tennis lors d’une “Battle of the Sexes”. Riggs, la cinquantaine bien sonnée, est retraité du circuit officiel depuis une dizaine d’années, et continue de gagner de l’argent en se produisant dans des tournois aux allures de spectacles sponsorisés par des marques. Machiste et provocateur, il entend alors démontrer que le tennis féminin est inférieur à celui pratiqué par les hommes et déclare qu’“aucune joueuse en activité ne pourrait venir à bout d’un retraité”.
Cette bataille intime pour dissimuler son identité sexuelle s’impose comme un ressort dramaturgique important et permet aux réalisateurs de faire passer un message fort en faveur de l’homosexualité féminine.
En pleine deuxième vague du féminisme, la numéro 1 mondiale Billie Jean King a, quant à elle, fait de l’égalité des gains entre joueurs et joueuses son cheval de bataille. En 1971, elle rassemble, en association avec la fondatrice de World Tennis Magazine Gladys Heldman (Sarah Silverman dans le film), un groupe de 9 joueuses de tennis, The Original 9. Celles-ci sont les stars du Virginia Slims Tour, un tournoi de tennis féminin organisé par Heldman pour protester contre les inégalités de gains dans le circuit officiel et sponsorisé par Philip Morris. Ainsi, lorsque Bobby Riggs provoque Billie Jean King en duel, cette dernière n’a d’autre choix que de relever le défi: gagner contre lui lors d’un match retransmis dans tous les États-Unis serait le meilleur moyen de faire comprendre au grand public que le tennis féminin peut et doit être pris au sérieux. Dans leur film, la réalisatrice Valerie Faris et son comparse Jonathan Dayton retracent l’histoire de cette “bataille des sexes” qui les a marqués lorsqu’ils étaient plus jeunes, mais s’attardent aussi sur la vie privée de Billie Jean King. Au moment des faits, cette dernière vit alors sa première histoire d’amour avec une femme -son assistante Marilyn Barnett, transformée en coiffeuse dans le film sous les traits d’Andrea Riseborough-, alors qu’elle est marié à un homme, l’avocat Larry King. Cette bataille intime pour dissimuler son identité sexuelle alors qu’elle est au pic de sa célébrité s’impose comme un ressort dramaturgique important et permet aux réalisateurs de faire passer un message fort en faveur de l’homosexualité. Rencontre avec Valerie Faris et Jonathan Dayton.
En tant que réalisateurs, qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter l’histoire de Battle of the Sexes?
Valerie Faris: Ce qui nous a vraiment convaincus, quand nous avons lu le scénario pour la première fois en 2015, c’est d’apprendre ce qui se passait dans la vie personnelle de Billie Jean King à l’époque de ce match. On connaissait l’histoire du match, on était adolescents quand il a eu lieu, mais ce que nous ne savions pas, c’est qu’à ce moment-là Billie Jean King était mariée avec un homme, qu’elle vivait sa première histoire d’amour avec une femme, qu’elle se battait pour les droits des femmes, qu’elle avait lancé son propre tournoi. Toute cette pression, tout ce qu’elle a risqué dans l’unique but de prouver que le sport féminin était important et que les femmes devaient être payées autant que les hommes, c’est ce qui nous a donné envie de raconter son histoire.
Vous avez collaboré avec la vraie Billie Jean King sur le film. Quel souvenir garde-t-elle de cette période?
VF: Celui d’un moment difficile. C’était flagrant quand nous en avons parlé avec elle. Elle nous a raconté qu’avant ce match elle ne dormait que 4 heures par nuit, qu’elle est même tombée très malade à un moment. C’était ultra stressant.
Jonathan Dayton: D’ailleurs, si vous regardez l’enregistrement télé du match, vous remarquerez que lorsqu’elle gagne, elle n’a pas l’air heureuse. Elle est juste épuisée. Car l’ironie de tout ça, c’est qu’en remportant cette victoire très importante, elle est devenue plus connue que jamais et, du même coup, encore plus dans le placard quant à son homosexualité.
“Billie Jean King voulait que son vécu soit inspirant pour les jeunes générations, en particulier pour les adolescent·e·s qui ont des problèmes avec leur sexualité.”
Billie Jean King a été outée en 1981 lors du procès qui l’a opposée à Marylin Barnett, son ancienne assistante et maîtresse. Est-elle devenue alors une icône lesbienne?
JD: Non, au départ, elle a même nié son homosexualité. Elle a reconnu qu’elle avait eu une aventure, mais a prétendu qu’elle voulait rester avec son mari, que c’était un one-shot. Cela démontre le niveau d’homophobie qui règne dans notre culture.
VF: Elle a perdu tous ses contrats suite à cette révélation, elle a donc dû bosser encore plus pour réussir à gagner de l’argent avec le tennis. De nos jours, elle est devenue une icône pour la communauté LGBTQ et elle est d’ailleurs très active politiquement. Mais elle dit qu’elle ne se connaissait pas réellement elle-même avant d’avoir 50 ans. Voilà le temps que ça lui a pris de s’accorder avec qui elle était.
S’est-elle réjouie d’entrée de jeu que son histoire soit portée à l’écran?
JD: On ne peut pas vraiment dire ça, non. Car c’était une partie de sa vie très douloureuse. Mais elle a réalisé que c’était le bon moment pour la raconter.
VF: Elle voulait que son vécu soit inspirant pour les jeunes générations, en particulier pour les adolescent·e·s qui ont des problèmes avec leur sexualité. Elle se dit que si son histoire peut aider les gens, ça vaut le coup de la raconter. Mais le versant intime du film a clairement été le plus compliqué à appréhender pour elle.
A-t-elle posé des conditions spéciales pour travailler avec vous sur le film?
VF: Je crois que les producteurs, qui l’ont approchée en premier lieu, lui ont proposé d’être consultante mais sans avoir son mot à dire sur le film. De manière contractuelle, il a été écrit qu’elle n’aurait aucun pouvoir sur le montage final. Et elle était d’accord avec ça.
© Twentieth Century Fox
C’est la première fois que vous vous attaquez à un biopic, celui d’une personne toujours vivante, de surcroît. C’était une pression particulière?
VF: Oui, bien sûr. On savait qu’elle allait regarder le film, ce qui faisait monter la pression! Pour Emma Stone aussi, d’ailleurs. On était tous un peu angoissés à l’idée de mal faire, parce que le sujet nous importait beaucoup. On ne s’est d’ailleurs jamais vraiment détendus avant de projeter le film en public, avec Billie Jean dans la salle. On a redécouvert le film à travers ses yeux.
Dans votre film, Billie Jean King ne prononce jamais le mot “féministe”, elle ne se revendique jamais comme telle. Pourquoi?
JD: C’est vrai. Quand Bobby Riggs, au téléphone, lui dit “tu n’es qu’une féministe velue”, elle répond “non, je joue au tennis et il se trouve que je suis une femme”. Elle ne reprend pas le mot à son compte car, à l’époque, il était employé pour marginaliser les gens. Aujourd’hui, bien sûr, elle le revendique.
À l’écran, Billie Jean King est constamment entourée de femmes. Aurait-elle pu remporter cette victoire seule?
JD: Non, et c’est que nous voulions montrer. Le film a deux intentions: aider les jeunes gens à se sentir mieux dans leur sexualité, et montrer que cette victoire était celle d’un groupe. Celle des neuf femmes qui ont lancé le premier tournoi de tennis féminin. On a adoré montrer l’histoire de ces femmes qui travaillent toutes ensemble dans un même but.
“Il me semble que le changement social est plus difficile de nos jours qu’il ne l’a jamais été.”
Quel rôle a joué son mari, Larry King, à cette époque-là?
VF: Larry était un soutien très important, car lui-même était sensible à la question des droits des femmes. C’est d’ailleurs lui qui lui a souligné qu’il avait une bourse pour aller à l’université, alors qu’elle n’en avait pas. Il lui a dit que ce n’était pas juste, qu’elle était meilleure joueuse de tennis que lui et qu’elle devrait avoir une bourse aussi. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’il est resté avec elle malgré ce qu’il savait se son homosexualité. Il savait qu’elle aurait des problèmes s’il révélait quoi que ce soit. C’était un homme très progressiste.
Le personnage de Gladys Heldman, joué par Sarah Silverman, pourrait faire l’objet d’un spin off à lui tout seul…
VF: Complètement! Gladys Heldman était une femme fantastique. Elle avait lancé son propre magazine de tennis. Elle y assurait toute la rédaction, mais aussi la promotion, la publicité, et même la maquette! Elle faisait tout toute seule. C’était une femme d’action.
JD: À l’époque, il y avait une réelle envie d’action. Les gens descendaient dans la rue, se lançaient dans des boycotts… Ils mettaient en place des choses concrètes. Aujourd’hui, pour les jeunes générations, c’est un challenge d’essayer de changer la société. Car les réseaux sociaux donnent l’impression que quelque chose se passe, mais rien ne devient jamais vraiment concret.
De nombreuses mobilisations réelles sont pourtant nées sur les réseaux sociaux. L’exemple le plus marquant est sans doute celui des révolutions arabes…
JD: Bien sûr. Dans certains pays, les réseaux sociaux ont permis une communication qui n’était pas possible avant. Et cela a donné naissance à des manifestations.
VF: C’est vrai, et Facebook se plaît souvent à le rappeler… Tout en oubliant d’assumer la responsabilité d’un tas de problèmes, comme les fake news. Il y a désormais tant de sources d’information, qu’on peut aller directement puiser où l’on veut pour nous confirmer ce que nous croyons déjà. Il me semble que le changement social est plus difficile de nos jours qu’il ne l’a jamais été.
© Twentieth Century Fox France
Emma Stone est l’actrice la mieux payée d’Hollywood en 2017 et pourtant, 14 hommes sont encore mieux payés qu’elle. Jouer dans le film était-il pour elle l’occasion de prendre la parole sur les inégalités salariales?
VF: Absolument, et c’était d’ailleurs l’une des raisons de sa participation.
JD: C’est intéressant car, à travers cette expérience, Emma s’est davantage prononcée sur le sujet. Elle a désormais à peu près le même âge que Billie Jean avait à l’époque, 29 ans, elle s’est donc sentie très proche du personnage.
Pensez-vous que Billie Jean ait des héritières de la génération d’Emma Stone? Quelle joueuse de tennis actuelle vous semble avoir repris le flambeau?
VF: Serena Williams dit en tout cas qu’elle ne serait pas où elle est aujourd’hui sans Billie Jean. Elle a d’ailleurs pris la parole récemment pour dénoncer les énormes inégalités salariales entre femmes noires et hommes blancs aux États-Unis. Elle est assez active et je pense que ce serait elle, son héritière.
Dans le dernier plan du film, le styliste homosexuel de Billie Jean King lui dit: “Un jour, nous pourrons être qui nous sommes et aimer qui nous aimons.” Plus de 30 ans plus tard, on en est encore loin…
JD: En effet, et on a d’ailleurs eu un débat sur cette réplique, pour savoir si on la gardait ou pas. Même si on est effectivement loin du but, je pense qu’il était important de transmettre un message d’espoir.
VF: Et puis, nous voulions ramener le film une dernière fois sur sa sexualité. Parce qu’OK, elle a gagné le match, c’était une victoire pour les droits des femmes, mais il restait toujours le problème auquel elle allait être confrontée pendant de nombreuses années encore. Celui de pouvoir vivre sa sexualité au grand jour. Et je pense que c’est aussi un problème pour les acteurs à Hollywood de nos jours. Il y a bien sûr des problèmes de paie, mais il y a aussin un très gros problème avec l’homosexualité et les identités sexuelles dans l’industrie du cinéma.
JD: À mon avis, il y encore des tas et des tas d’actrices qui ne sont pas sorties du placard.
Propos recueillis par Faustine Kopiejwski