On en parle peu, et pourtant, le baiser est un élément-clé de nos vies sexuelles, et pas seulement quand on est ado. Décryptage.
“On attend ça depuis le début, on se dit qu’ils se sont perdus, qu’ils ne pourront jamais se révéler leur amour. Et lorsqu’ils s’embrassent sous la pluie, c’est fou!” C’est ainsi que John, 31 ans, parle du baiser culte du film N’oublie jamais entre Ryan Gosling et Rachel McAdams. À l’image de cette scène qui a marqué la génération des millennials, le baiser est souvent le climax sentimental et sexuel entre deux personnes et, dans la plupart des films et des séries, on attend d’ailleurs la scène du bisou avec impatience. Il suffit de voir le déchaînement de tweets qui a suivi le baiser entre Arya et Gendry dans la saison 8 de Game of Thrones pour se rendre compte que ce geste passionne les foules. La réalisatrice Céline Sciamma ne dit pas le contraire quand elle évoque LA scène de son film Le Portrait de la jeune fille en feu, récompensé lors du dernier festival de Cannes: “J’ai réfléchi à cette scène pendant 6 mois.” Alors certes, avant d’embrasser quelqu’un, on ne se pose peut-être pas la question pendant six mois mais on y réfléchit souvent à deux fois avant de se jeter à l’eau.
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Le baiser, sérum de vérité
“Le baiser, c’est l’élément déclencheur […] C’est le début de toute chose, de la relation, nous dit Ovidie, réalisatrice du film Le Baiser. C’est la version soft de l’acte sexuel. C’est le moment le plus stimulant. Le baiser est un moment qui ne trahit pas.” Le témoignage de Rim, 27 ans, va dans le même sens: “Évidemment que je me souviens du premier baiser que j’ai échangé avec ma partenaire. C’était dans une cuisine à la fin d’une fête. On ne s’est pas tout de suite mises ensemble mais c’est un souvenir qu’on a toutes les deux et qui a marqué le début de notre relation.”
“Il a fallu réapprendre à mes acteurs qui venaient de l’industrie du porno à s’embrasser.”
Plus généralement, “quand il y a des sentiments, embrasser la personne est assez dingue. Plus le lien émotionnel est fort, plus le baiser est agréable”, confie Margaux, 29 ans. Le baiser est tellement lié aux émotions que “dans la plupart des scènes de film X, les acteurs évitent les baisers passionnés, poursuit Ovidie. Il peut y avoir une démonstration du baiser avec des langues qui vont se lécher, sans que les lèvres se touchent. Un vrai baiser, c’est trop de proximité. Pour mes films, en tant que réalisatrice, il a fallu réapprendre à mes acteurs qui venaient de l’industrie du porno à s’embrasser.”
Libérer le baiser
Le baiser, symbole de l’amour fleur bleue, mais acte érotique en puissance. Il est d’ailleurs encore censuré dans de nombreux pays: s’embrasser en public est interdit notamment en Arabie Saoudite, en Indonésie et en Inde. Les Américains, eux, ont compris depuis longtemps la charge symbolique du baiser, réglementé au cinéma à Hollywood dans les années 30 selon le code Hays qui a établi pendant trois décennies que “les baisers excessifs ou lascifs, les caresses sensuelles, les positions et les gestes suggestifs ne doivent pas être montrés”. Les baisers ne doivent alors pas dépasser 30 secondes, sous peine de censure. Ce n’est qu’en 1966 que cette interdiction est levée. Et on sait bien que les années 60 amènent un vent de liberté sexuelle.
Sensuel, le baiser? C’est l’avis de John: “Quand j’avais 17 ans, j’ai embrassé une fille pendant des heures. On n’a jamais couché ensemble mais pour moi c’est l’un des plus grands moments d’excitation que j’ai eus.” Pour Antoine, 25 ans, ça peut être quitte ou double: “Il y a des mecs qui font la machine à laver lorsqu’ils t’embrassent, ils t’enfoncent leur langue et tournent pour prouver ‘qu’ils savent faire’. S’ils font ça avec ma bouche, qu’est-ce qui va se passer si je pousse l’expérience plus loin? Ça me refroidit complètement.” Il suffit de voir le baiser du film Les Beaux Gosses pour que les souvenirs de baisers ratés -souvent accompagnés de beaucoup d’acné- affluent.
Même adultes, le roulage de pelles est une étape importante, voire une étape en soi, comme le rappelait l’humoriste Agnès Hurstel sur la scène parisienne de son talk TedX. Ovidie, elle, attribue l’importance du baiser à son rôle de préliminaire à l’acte sexuel: “On a tous des façons différentes d’embrasser, c’est très varié. Il y a des hommes qui vont être dans une conquête de territoire, qui vont aller directement au fond de ta glotte ou d’autres qui vont prendre du temps. Le baiser c’est un avant-goût du rapport sexuel, ça permet de savoir si l’autre est délicat, attentif à l’autre, s’il va savoir stimuler certaines zones ou être très -trop- direct.”
Comme le résume Antoine, 25 ans: “Si le baiser se passe hyper mal, c’est vrai que je me dis que l’acte sexuel qui va suivre risque d’être assez naze. À l’inverse, quand il y a une connexion, que le baiser est hyper excitant, je sais que la baise derrière sera sûrement à la hauteur. Et cette impression ne m’a jamais trompé.”
Bactéries et génétique
Alors oui, le baiser est le symbole de l’amour, et un indicateur de compatibilité sexuelle. Mais c’est aussi, et surtout, un ensemble de réactions biologiques très naturelles: lors de cet échange de 80 millions de bactéries (attention à ne pas transmettre cette information aux hypocondriaques), embrasser fait augmenter l’ocytocine et la dopamine -ce qui stimule le désir sexuel- et baisser le cortisol, c’est-à-dire l’hormone du stress.
“Quand on s’embrasse, on fait appel à tous nos sens.”
Si tout cela est très abstrait pour les non biologistes, les philamotologues (les spécialistes de la science du baiser et des activités labiales) expliquent que le baiser transmet des informations importantes sur son partenaire. Sheril Kirshenbaum, autrice américaine du livre La Science du baiser, nous explique ce processus: “Quand on s’embrasse, on fait appel à tous nos sens. On apprend énormément de quelqu’un lors d’un baiser parce que notre système olfactif, nos papilles gustatives, notre sens du toucher sont activés. Tous ces sens envoient de l’information à notre cerveau. Pour citer un exemple, les scientifiques ont découvert que les femmes préfèrent l’odeur d’un homme possédant un code génétique immunitaire très différent du leur. Un couple au code génétique dissemblable aura, au bout du compte, des enfants dotés d’un meilleur capital génétique.” Le baiser est donc, en premier lieu, un incroyable échange d’informations non verbales dans le but de trouver le ou la partenaire adéquate pour donner naissance au bébé le plus robuste et sain possible.
Efficace, mais aussi hautement symbolique, ce geste est devenu politique avec l’avènement de l’image. En 1979, le torride baiser entre Brejnev, éminente figure de la Russie communiste et Honecker, principal dirigeant de l’Allemagne de l’Est a certainement permis, grâce à l’échange de salive, un apaisement dans la guerre froide, et sera même dessiné sur le Mur de Berlin. Autre époque, autre cause: En 2012, en France, deux jeunes femmes décident de s’embrasser pour protester contre le rassemblement d’un collectif anti-mariage pour tous. Cette action pacifique déchaîne les réactions haineuses.
Si l’acte de s’embrasser partout semble relever d’un droit fondamental, il ne faut jamais oublier qu’il n’est pas acquis pour tous. Ce petit acte, qui semble anodin, peut aussi bien être le thermomètre d’une relation que d’un climat social. Sans aller jusqu’à battre le record du plus long baiser -détenu par un couple de Thaïlandais qui a tenu 58 heures, 35 minutes et 58 secondes (on ne comptera pas le nombre de bactéries échangées)-, c’est le moment de se lancer, et l’été devrait peut-être réchauffer les plus timides. Ça tombe bien, le 6 juillet, c’est la Journée internationale du baiser.
Alice de Brancion
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