La cinquième saison de l’émission de dating Bachelor, le gentleman célibataire bat son plein sur NT1: manipulations et clichés sont au programme.
L’année dernière, on nous présentait Adriano comme un “homme ambitieux” ayant “gagné beaucoup d’argent”. Et en passant, il était aussi “propriétaire d’un grand appartement”. Message reçu. Cette année, NT1 a pris des pincettes: Paul est d’abord “beau, sportif, intelligent, drôle, sympathique et cultivé” (rien que ça) et ensuite: il vit à Singapour où “il a créé son entreprise” car il est (encore une fois) dans la finance et “épanoui dans son travail”. Entre manipulation des candidates et clichés éhontés, on vous explique pourquoi le Bachelor nous fait tout, sauf craquer.
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Une image négative de la femme
Entre des rôles clichés un peu trop rapidement distribués (la peste, la jalouse, l’amoureuse…) et un programme qui laisse de façon générale supposer que la nature féminine est intrinsèquement attirée par l’argent et le luxe, NT1 nous offre une image de la femme qui laisse à désirer. Si on ferme les yeux (très fort) sur la séquence de rugby féminin en maillot de bain de l’épisode 3, on pourrait penser que la gêne persistante ressentie en visionnant l’émission est seulement due au concept même de cette dernière: 25 femmes pour un seul homme. Voyons voir. Le bachelor type est: un homme d’environ 30 ans, avec un métier sérieux dans lequel il réussit, qui s’est bien amusé et qui a désormais envie de tomber amoureux pour de bon. Soit. Mais l’inverse? Si les États-Unis ont eu droit à de multiples saisons de The Bachelorette, qu’en est-il en France?
Chez nous, si l’on veut voir une femme jongler entre plusieurs hommes, on a deux options: la princesse ou la garce.
Chez nous, si l’on veut voir une femme jongler entre plusieurs hommes, on a deux options: la princesse ou la garce. La première cherche son “prince” et on lui demandera d’abandonner sa superficialité naturelle en ne choisissant pas un barman bodybuildé, mais un prétendant au physique “atypique” (socialement inadapté qui plus est) qui prétend avoir les qualités qu’elle recherche (La Belle et ses princes presque charmants sur W9). Pour la seconde, la garce, on prendra une candidate de télé-réalité bien connue du grand public pour s’être montrée légère et vénale et on obtiendra Marjolaine et les millionnaires. À cette femme, on annonce à la fin que son riche finaliste ne l’est en fait pas: va-t-elle alors lui préférer un chèque de 100 000 euros? À l’inverse, pas de concept farfelu pour le Bachelor mais juste un homme moderne à la recherche d’une partenaire de vie. Dans cette configuration, ce sont plutôt les candidates que l’on tente de faire rentrer dans des cases.
Des clichés exacerbés par l’isolement
Si le bachelor répond toujours au même profil du “bon parti”, du côté des candidates, le constat n’est pas beaucoup plus réjouissant. Bien que les 25 filles aient l’air de spécimens normaux, d’entrée de jeu leurs réactions excessives et leurs attitudes caricaturales surprennent. Au bout de 72 heures, un quart des filles sont “attachées” ou carrément in love. Il faut rappeler que les candidates de l’émission sont tenues à l’écart du reste du monde, isolées dans une villa chic à la campagne. Comme l’explique ici Karen Sternheimer, sociologue et professeur à l’université de South California, privées de ce qui les définit dans la vraie vie (travail, passions, amis), les candidates sont contraintes de construire leurs nouvelles identités exclusivement par rapport à leurs relations avec le bachelor. Être la favorite devient donc essentiel pour celles qui ont un peu d’estime personnelle.
Les candidates du Bachelor, comme les volontaires de l’expérience de Zimbardo, s’adaptent passivement aux rôles qu’on leur a implicitement choisis. Cette passivité endort les inhibitions de chacune.
Deuxième effet de cette isolation: avoir, pour Paul, un rendez-vous d’ordre romantique ou sexuel avec plusieurs femmes, ou échanger entre copines ses impressions sur le même homme autour d’un thé au gingembre, devient acceptable. Karen Sternheimer s’inspire de l’expérience de Stanford, réalisée par Philip Zimbardo, pour la comparer à l’émission. Le psychologue américain a, en 1971, choisi 24 personnes saines de corps et d’esprit pour se mettre dans le rôle de gardiens de prison et de prisonniers pendant six jours. À la fin de la semaine, les participants gardiens étaient devenus des sadiques sans merci, et les prisonniers des victimes fébriles, émotionnellement instables, tolérant volontairement les punitions qui leur étaient infligées.
Les candidates du Bachelor, comme les volontaires de l’expérience de Zimbardo, s’adaptent passivement aux rôles qu’on leur a implicitement choisis. Cette passivité endort les inhibitions de chacune. On se retrouve alors avec la garce manipulatrice prête à descendre les copines pour mettre la main sur le bachelor, la prétendante amoureuse victime de sa jalousie, l’hypocrite qui joue un jeu dès que le bellâtre apparaît, etc.
Provoquer un coup de foudre en trois leçons
Si la manipulation qui mène les candidates à s’auto-attribuer des rôles caricaturaux est passive, celle qui les pousse gentiment à tomber amoureuses, est, elle, bien active. Shauna Springer, psychologue et auteur du livre Marriage, For Equals: The successful joint (ad)-ventures for well-educated couples, soupçonne même la production d’utiliser les peurs des candidates pour les faire succomber.
Si une phobique du vide participe à l’émission, bingo, la production l’enverra faire un tour d’hélicoptère avec l’Homme fort.
Exemple: si une phobique du vide participe à l’émission, bingo, la production l’enverra faire un tour d’hélicoptère avec l’Homme fort. Toute fière d’avoir surpassé ses limites, elle pourrait apparemment “confondre le sentiment de triomphe avec un début de sentiment amoureux”. La psychologue américaine rejoint l’“Excitation-transfer theory”, théorie que l’on doit aux chercheurs de l’université du Texas: si on vous met dans un roller coaster de la mort avec un moche, l’adrénaline vous fera revoir votre jugement. Vous pourriez même confondre les battements de votre cœur qui a peur d’y rester avec de l’excitation romantique envers votre partenaire de jeu. La production fait alors croire aux candidates qu’elles vivent des expériences uniques avec et grâce au bachelor -alors que le monsieur n’y est très probablement pour rien dans le choix des activités. Mine de rien, les Martika, Louise et Camille de NT1, associent inconsciemment les balades à cheval sur la plage, les bains dans les criques translucides et les croisières privées sur des yachts à la petite personne de Paul. En réalité, elles sortent avec NT1.
Opération Mariage
Tout cela devient un tout petit peu flippant lorsque l’on réalise -autour de l’avant-dernier épisode- que les deux finalistes sont bien en train de choisir leurs bagues de fiançailles! Sans même avoir vu monsieur faire la vaisselle en caleçon devant le Téléfoot du dimanche matin…
Parce qu’il est bien là, le but de l’opération: le mariage. Comme seule alternative, élevée au rang de but ultime de l’espèce féminine. Quid donc des 7 millions de Français en union libre, du million quatre cent mille de couples pacsés (Insee) et des 26% de couples avec enfants non-mariés? Pour la télé-réalité réaliste, on repassera.
Hélène Coutard
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