Hannah Oiknine et Sarah Azan sont sœurs et associées. Ensemble, elles ont monté la société Babbler, qui révolutionne les relations presse à l’heure des médias en ligne.
Les journalistes que nous sommes ne peuvent rien opposer au constat fondateur de Sarah Azan et Hannah Oiknine: seuls 3 % des mails envoyés à la presse sont ouverts par leurs destinataires. En cause, une avalanche de courriers électroniques envoyés aux médias dans l’espoir qu’ils feront l’objet d’un article, le plus souvent sans le moindre ciblage. On en profite d’ailleurs pour dire au fournisseur de semelles orthopédiques pour personnes âgées qu’il peut arrêter de nous envoyer ses communiqués de presse, il n’y a aucune chance que cela intéresse le lectorat de Cheek Magazine un jour.
Sarah Azan, 33 ans, est attachée de presse de formation et sait que ce spamming est monnaie courante et ne profite ni aux uns ni aux autres. Mais c’est sa petite sœur, Hannah Oiknine, qui la pousse en 2012 à révolutionner la façon dont elle travaille ses relations presse et à en faire un business. La cadette, aujourd’hui âgée de 29 ans, commence alors une carrière dans le marketing digital et galère à obtenir des entretiens pour des stages à New York en envoyant des mails. Par contre, en contactant via Twitter l’interlocuteur qu’elle désespère de joindre, elle obtient une réponse. Forte des discussions qu’elle a avec son aînée, elle sent qu’il est temps de modifier les méthodes de prises de contact old school, et qu’il y a une place à prendre sur le marché de niche que constituent les relations presse.
En janvier 2013, les deux jeunes femmes annoncent la création de Babbler. La plateforme fonctionne comme un réseau social et offre aux journalistes la possibilité de s’abonner à des comptes de marques pour ne recevoir que le contenu ciblé qui les intéresse. Les marques, elles, bénéficient d’une base de données assez précise et peuvent à l’inverse ne contacter que les personnes qui ont signifié un intérêt pour leur domaine. “Les besoins en communication ne sont pas réservés aux grands groupes, analyse Sarah Azan. Le resto du coin cherche lui aussi à faire des relations presse.” Chez Babbler, il y a donc différentes offres et notamment des packages destinés aux start-ups, qui sont confrontées à des besoins de communication spécifiques tout en ayant des budgets microscopiques.
“J’ai découvert la solidarité des femmes entrepreneures, qui est réelle.”
Dans la foulée du lancement, Babbler remporte le concours Imagine Cup de Microsoft en France, ce qui assure à la jeune boîte une couverture médiatique inespérée à ce stade du projet. Très vite, le bouche-à-oreille fonctionne. Sarah Azan bénéficie d’un bon réseau dans le secteur et réussit à convaincre des clients et agences prescripteurs de la suivre dans cette aventure 2.0, qui correspond aussi à la mutation de la presse de plus en plus présente sur le Web.
Quatre ans plus tard, les deux associées emploient 22 personnes à Paris et 4 à New York: Hannah Oiknine a déménagé outre-Atlantique pour manager l’équipe. “C’est vrai que c’est allé plutôt vite, mais je vous assure, sur le moment, on a souvent trouvé le temps long”, sourit Sarah Azan, qui confie être workaholic tout en étant jeune maman de deux enfants. “Le congé mat’? Connais pas! Il faut dire que j’ai accouché de mon deuxième entre le lancement de la version bêta et celui de la version officielle.” Enceinte jusqu’aux yeux un vendredi, la jeune femme est revenue au bureau le mardi suivant. “J’aurais voulu que ça se passe autrement mais je n’avais pas le choix et j’étais en forme donc j’y suis retournée direct. Bien sûr, j’ai culpabilisé les premiers mois quand j’étais au boulot, mais je culpabilisais aussi de ne pas assez bosser quand j’étais à la maison. Depuis j’ai trouvé un équilibre, et quand je suis avec mes enfants, je suis vraiment avec eux, quitte à rebosser une fois qu’ils dorment.”
“Il faut sortir d’une vision trop scolaire de la réussite, l’important c’est ce qu’on fait de notre bagage!”
Pour Sarah Azan, être une femme dans le milieu très masculin de l’entrepreneuriat et de la tech a rarement été un handicap, et plutôt un atout. “On est tellement peu nombreuses qu’on nous voit tout de suite. C’est arrivé qu’on ne nous prenne pas au sérieux ou qu’on nous fasse une réflexion misogyne, mais j’ai surtout découvert la solidarité des femmes entrepreneures, qui est réelle. Certaines personnes que j’ai rencontrées dans le boulot sont devenues des amies, c’est précieux de pouvoir échanger et s’entraider.” La jeune entrepreneure reconnaît toutefois que les femmes manquent encore trop de confiance en elles et se posent beaucoup plus de questions que les hommes avant de se lancer. Elle aimerait aussi rappeler qu’un diplôme ne fait pas un bon entrepreneur et que pour réussir, la débrouillardise est une carte maîtresse. “Hannah et moi n’avons pas fait HEC, mais on a toujours bossé et eu des idées, insiste-t-elle. Il faut sortir d’une vision trop scolaire de la réussite, l’important c’est ce qu’on fait de notre bagage!”
Si l’expérience a considérablement rapproché les deux sœurs, elles savent que les dîners de famille ne seront plus jamais les mêmes. “On parle beaucoup de Babbler, on est désolées pour nos proches, mais pour nous, c’est la meilleure idée qu’on ait pu avoir de se lancer ensemble, on a une relation de confiance profonde, on se parle beaucoup, et comme on est très différentes, on s’apporte mutuellement plein de choses. Le vrai problème de bosser en famille, c’est qu’on n’a pas de limite sur les horaires et qu’on n’hésite pas à s’appeler à deux heures du mat’ à cause du décalage horaire.” Sarah Azan avoue d’ailleurs être accro à son téléphone, une excellente raison de la soumettre à notre entretien connecté.
Geek de la première heure ou geek formée sur le tas?
Je ne suis pas geek au sens premier du terme, mais j’ai tout de suite été à fond sur les réseaux sociaux. Ça m’a toujours aidée pour le boulot, je suis donc quelqu’un de très connecté depuis longtemps.
Mac ou PC?
Mac! Je ne sais même pas comment fonctionne un PC. (Rires.)
Plutôt Twitter ou Facebook?
Les deux mais pas pour les mêmes choses. Twitter, je m’en sers pour le boulot, j’échange avec mon network et je l’utilise pour améliorer constamment la notoriété de Babbler. Facebook, j’y suis tous les jours, à la fois pour le perso et pour le pro. J’ai organisé ma confidentialité afin de réserver certains contenus vraiment persos à un petit cercle, mais je trouve que c’est un bon moyen de créer des relations plus friendly avec des gens du réseau professionnel. Et surtout, ça devient ma source d’infos principale, grâce aux articles qui y sont partagés, par les médias ou les amis que je suis.
Ton appli culte?
Uber. Ça a vraiment changé mon mode de vie, tellement c’est simple: le week-end, maintenant, je fais venir et je raccompagne ma grand-mère en Uber. Le soir, quand je rentre tard, je ne me pose pas de questions et j’en appelle un. J’adore aussi Clac des doigts, une conciergerie en ligne par SMS, qui m’a sauvé la vie plusieurs fois.
Combien d’heures tiens-tu sans smartphone?
Je ne peux pas compter en heures mais en minutes, à part quand je dors, c’est horrible non? (Rires.)
As-tu des périodes detox?
Le week-end, déjà, je désactive mes notifications, pour ne pas être sollicitée en continu. Mais sinon, j’ai peu de périodes detox, car je ne me sers pas de mon téléphone que pour bosser. Je ne porte plus de montre donc je regarde l’heure dessus, en vacances, je prends des photos avec, et puis, en tant que jeune maman, je veux absolument être tout le temps joignable. Il n’y a que sur la plage que j’arrive à le laisser un peu plus longtemps dans mon sac.
Ton compte fétiche sur Instagram?
En ce moment, je suis tout le temps sur @ilesguadeloupe car j’y ai passé mes vacances de Noël pour aller rendre visite à un oncle qui vit là-bas. C’est magnifique, c’est en France, le tourisme n’y est pas bling: je me dis que les Antilles n’ont rien à envier aux Maldives et qu’elles mériteraient d’être plus visitées.
WhatsApp ou Snapchat?
WhatsApp! J’y ai plein de groupes, que ce soit de la famille ou des amis, et je commence à beaucoup m’en servir pour le boulot aussi. D’ailleurs on m’a récemment fait un commentaire sur ma photo de profil, où je porte un énorme chapeau de soleil et mon fils dans les bras, je n’avais pas réalisé que c’était ça que mes contacts pro voyaient aussi.
Ce que le Web a le plus changé dans ta vie?
Il a transformé mon quotidien. Que ce soit pour chercher une recette, trouver des infos sur les petits bobos des enfants ou faire mes courses en ligne, je me suis rendu compte que je faisais tout via le Web. Surtout, ça a métamorphosé ma façon de m’informer. C’est vrai que je lis moins de livres et de magazines qu’avant, mais j’ai un accès à l’information infini. Aujourd’hui, quand un sujet t’intéresse et que tu veux approfondir, tu as tout sur Internet.
Propos recueillis par Myriam Levain