En lançant le site américain Jezebel, Anna Holmes a prouvé qu’un magazine féminin pouvait aussi être féministe, et a posé l’une des premières pierres du modèle de la presse en ligne. Elle a répondu à notre interview “journalisme & féminisme”.
À 41 ans, la New-yorkaise Anna Holmes fait partie de la génération des pionnières du journalisme Web, celles qui se sont lancées quand (presque) rien n’existait. “Lorsqu’on m’a proposé de bosser sur le projet Jezebel en 2006, beaucoup de gens m’ont prise pour une dingue, à l’époque on ne savait pas ce que la presse sur Internet allait donner. De mon côté, j’ai trouvé le pari de créer un magazine à la fois terrifiant et excitant, d’autant que j’étais assez remontée contre la presse féminine traditionnelle.” En effet, quand une amie du groupe Gawker vient la chercher pour lancer ce nouveau site -aujourd’hui une référence parmi les pure players- Anna Holmes est passée par de nombreuses rédactions dont Glamour et InStyle et en a ras-le-bol de travailler pour des titres “qui sont paternalistes et prennent les femmes pour des idiotes qui ne s’intéressent qu’aux mecs et au maquillage”.
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“Les femmes s’intéressent à beaucoup plus de choses qu’aux fringues.”
Féministe convaincue, Anna Holmes décide alors de décliner sa vision de la femme sur un site qui parlerait à la fois des dernières actus people et des manifs prochoice. “Parce que les femmes s’intéressent à beaucoup plus de choses qu’aux fringues.” Son intuition lui donnera raison: lancé en 2007, Jezebel enregistre aujourd’hui 15,5 millions de pages vues chaque mois. Anna Holmes n’y travaille plus, ses trois années et demie passées là-bas l’ont essorée, mais elle fait désormais partie des personnalités féministes qui comptent aux États-Unis. Aujourd’hui critique littéraire au New York Times et responsable du digital au sein de la chaîne de télévision Fusion, elle se réjouit de ne pas avoir suivi une ligne droite après la fac de journalisme -“une grosse perte d’argent, je ne crois pas avoir appris grand-chose de mon métier à l’école”– et d’avoir cru tout de suite en Internet. Celle qui se dit optimiste quant à l’avenir de la presse, en pleine réinvention actuellement, a répondu à notre interview “Journalisme & féminisme”.
Considères-tu que Jezebel a été le premier média féminin et féministe?
Je dirais qu’il a été le premier média féminin et féministe grand public. Avant, il y avait des blogs et des sites persos qui parlaient déjà de féminisme, mais pas de média mainstream.
Parler de politique à des femmes, c’est donc un acte militant?
En tout cas, ça n’existait pas dans les titres pour lesquels je travaillais. Le modèle était rentable, les annonceurs étaient contents, donc personne n’avait aucune imagination pour les faire évoluer. Aujourd’hui, les lignes bougent, et même les féminins classiques s’inspirent de sites Web comme Jezebel. Je crois que les lectrices sont en demande d’un dialogue plus authentique avec les journalistes.
As-tu toujours été attirée par le journalisme?
Depuis que je suis ado, je sais que je veux écrire, même si je n’ai jamais été sûre du moyen d’y parvenir. Je ne vous cache pas qu’aujourd’hui encore, il m’arrive de me dire: “Je ne sais pas ce que je veux faire quand je serai grande.” En tout cas, j’ai toujours aimé la lecture et l’écriture, et j’ai toujours su que ça ferait partie de ma vie d’une façon ou d’une autre. J’ai écrit deux livres, mais je ne suis pas sûre d’en publier un troisième, ça demande trop de travail et rapporte trop peu d’argent (Rires.)
“Pour moi, le féminisme n’est pas une question de mode.”
As-tu toujours été féministe?
Oui! J’ai été élevée par une mère féministe et fière de l’être, donc je n’ai jamais eu de problème à me revendiquer comme telle. Je remarque d’ailleurs qu’il est plus simple de se déclarer féministe de nos jours que quand j’étais étudiante, où c’était considéré comme un gros mot. On commence à réaliser que les clichés sur les féministes sont faux, et beaucoup de jeunes femmes se penchent sur la question.
On a beaucoup parlé de pop féminisme ces derniers temps, est-ce devenu un concept à la mode?
Je n’aime pas ce mot, car “à la mode” une saison signifie démodé la saison suivante. Pour moi, le féminisme n’est pas une question de mode, mais maintenant que la pop culture s’en empare, c’est peut-être un moyen de le faire connaître au plus grand nombre.
Beyoncé, Taylor Swift, Emma Watson… toutes ces stars n’ont-elles pas contribué à redorer le blason du féminisme?
Il est certain que le discours d’Emma Watson à l’ONU a suscité un regain d’intérêt pour le sujet. Mais je ne crois pas que ces personnalités aient initié un mouvement. Il existait déjà, et elles ont trouvé des mots qui correspondaient à ce qu’elles ressentaient, d’où leur réappropriation du concept.
Internet et les réseaux sociaux ont-ils offert aux femmes de nouveaux moyens d’expression?
Ils ont permis à davantage de femmes de prendre la parole et de faire entendre leur voix. Ils leur ont aussi permis d’interagir entre elles et d’entrer en contact avec des personnes qui leur ressemblent. Moi, j’habite à New York et je n’ai aucun mal à trouver des gens comme moi, mais pour des coins plus reculés des États-Unis, ça a changé la donne.
“Le Web permet de faire entendre des voix beaucoup plus diverses.”
Le féminisme est-il l’avenir du journalisme?
Les supports féministes ne vont pas pouvoir se multiplier indéfiniment, mais il y a encore de la place. (Rires.) Ce qui est certain, c’est que le journalisme sur Internet permet aux femmes de monter leurs médias et de prendre un peu de place parmi tous ces hommes blancs qui ne veulent rien lâcher de leur pouvoir. De façon générale, le Web permet de faire entendre des voix beaucoup plus diverses.
Quel conseil donnerais-tu à un jeune média comme le nôtre?
Faites confiance à votre intuition et écrivez les articles que vous avez envie de lire. Passez du temps sur des sujets qui vous plaisent, ils plairont aussi aux lecteurs. N’essayez surtout pas d’appliquer des recettes ou de faire quelque chose qui ne vous ressemble pas.
Propos recueillis par Myriam Levain
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