À l’heure où Emmanuel Macron nous tease avec une loi anti-Fake News aux contours flous, la YouTubeuse et journaliste Aude Favre, alias Aude, lutte contre la désinformation à sa manière: à coups de filouteries fact-checkées et de coups de fil caustiques.
2018. Alors que Donald Trump souffle sa première bougie d’investiture, Emmanuel Macron fait la chasse aux “bobards inventés pour salir” en proposant une loi “anti fake news”, censée responsabiliser l’information sur les réseaux sociaux en période électorale. Désignant aussi bien les contrefaçons de sites traditionnels -détournés à des fins économiques- que les nouvelles imprécises des médias mainstream, le mensonge politicien et les théories complotistes, la fake news a envahi le langage commun jusqu’à dérégler la notion de vérité. Rassurons-nous, Aude Favre est là pour démêler ce sac de nœuds. Sur sa chaîne YouTube What the Fake, cette jeune journaliste à l’œil pétillant ridiculise depuis un an déjà les dealers de rumeurs, de canulars et autres news “putaclick” qui pullulent sur le Web.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“Depuis que je fais des reportages, j’ai toujours accroché avec les gamins. Il est important de dialoguer avec eux, qu’ils ne se fassent pas avoir.”
Il lui suffit d’une caméra, d’un téléphone, d’un brin de fantaisie et d’une rigueur à toute épreuve. Florian Philippot publie un faux tweet en faveur du discours anti-système du Front National? Chiche, Aude Favre l’appelle pour vérifier les faits. Le modérateur de la page Facebook Anonymous France aligne des bêtises à buzz? Coup de fil. Même sort pour le gérant de la page On sait ce que l’on veut qu’on sache, qui maltraite autant la grammaire que l’intelligence du lecteur. Quand d’autres restent en surface, Aude Favre, elle, retourne à la source, et offre aux crédules de vrais tutos de désintox.
“Qui dit, prouve” est son credo. La trentenaire soutient face à ses milliers d’abonnés un regard noisette tantôt amusé tantôt consterné, appuyé par une voix assurée où s’enlacent lassitude et causticité. Comme un reflet du métier qu’elle fait depuis dix ans désormais. Passée par le CFPJ après des mois de bachotage, Aude Favre galère d’abord à iTélé, où on la relègue “au placard”, selon ses mots, à s’occuper des bandeaux, à tout faire sauf “du vrai journalisme”. S’ensuivent des expériences plus heureuses, pour M6 (66 Minutes, Zone Interdite, Capital), France Télévisions et Canal Plus, à réaliser des enquêtes où la soif de sens l’emporte sur la fatigue. De là éclot en mars 2016 What the Fake, répartie cinglante au journalist bashing nourri par Donald Trump, François Fillon et la fachosphère. “Quand je dis que je suis journaliste, ça créé un effet d’attraction-répulsion, comme si j’étais un milk shake au Smecta”, soupire-t-elle dans sa première vidéo.
Sa solution? Dévoiler les dessous du métier pour restaurer la confiance du monsieur Tout-le-Monde. Ces appels alignés à domicile, ces galères élémentaires d’investigation, ce dialogue de sourds avec ceux qui font, défont et falsifient l’info – “pas toujours des manipulateurs brillants, plutôt des gars au ras des pâquerettes”, rit-elle. Son making of du journalisme est pop au possible. Montage “un peu vener”, gamineries en grand angle et vannes décochées face cam’, Aude Favre s’éclate comme le ferait un·e ado dans sa chambre. L’écrin parfait pour une jeune audience sevrée aux podcasts nerveux. “Depuis que je fais des reportages, j’ai toujours accroché avec les gamins. Il est important de dialoguer avec eux, qu’ils ne se fassent pas avoir”, s’amuse celle qui se plaisait à intervenir dans les classes avant même de voir les pouces en l’air s’accumuler. La vulgarisation teintée de dérision est son arme. “Je suis un peu comme Lorant Deutsch… en moins cher”, blague-t-elle devant l’objectif.
“Responsabilisons tout le monde: que les politiques arrêtent de dire des bobards eux aussi!”
Pas pédago pour un sou, Aude Favre ose le “fun & fact”. Ses méthodes évoquent la malice de l’émission On n’est pas des pigeons. Mais ce sont d’autres plumes qui l’ont façonnée: celles de Charlie Hebdo, dont elle effeuillait les pages ado. C’est scotchée sur BFM TV qu’elle prend connaissance de l’attentat qui emporte Charb, Cabu, Wolinski et Tignous. À ce moment-là, Aude Favre travaille pour l’agence Premières Lignes, voisine de couloir du journal satirique. Trois ans après, elle est restée Charlie, obstinée à essayer “de penser contre soi […] déconner et informer à la fois”, préférant “la complexité des choses aux vérités prêtes-à-liker”, écrit-elle sur son mur Facebook. Déconner, mais sans sombrer dans le bullshit.
Loin de la frénésie de l’info qui fait vibrer votre smartphone, les formats courts de la vidéaste aspirent au temps long, celui de l’esprit critique. “J’ai dû trouver la bonne façon de parler aux gens, car certains me disent: je peux pas blairer les journalistes, mais ce que vous faites, c’est OK”, note Aude Favre, persuadée qu’il faut être tout à fait transparent pour terrasser cette image de “superhéros infaillibles ou de société secrète” qui colle à la profession. D’où ses tâtonnements face à l’initiative anti-fake news du Président. “Responsabilisons tout le monde: que les politiques arrêtent de dire des bobards eux aussi!”, épingle l’enquêtrice qui redoute le risque de “légitimer l’argument complotiste, face à ce qui serait perçu comme une forme de censure”.
Mais Aude Favre ne compte pas consacrer sa vie à la chasse aux “nouvelles sans queue ni tête”. D’autres moulins à vent se profilent à l’horizon. La cause animale, par exemple, à laquelle elle a consacré un an de sa vie d’enquêtrice, secouée par les vidéos de l’association L214 -“On est loin des images cucul, type Brigitte Bardot qui bécote les animaux”. La journaliste sait que le public souhaite voir une autre réalité. Mais sa verve piquante l’emporte parfois sur son idéalisme: “Tu peux passer un an sur un sujet, 200 personnes iront le voir. Puis, le lendemain, on parlera encore de Nabilla…”, souffle-t-elle. Comme quoi, la vérité n’est pas toujours bonne à entendre.
Clément Arbrun
{"type":"Banniere-Basse"}