Avec Virago, la comédienne charismatique du collectif Golden Moustache Aude GG délaisse l’histoire drôle pour la drôle d’histoire, celle que vous ne lirez jamais dans les livres scolaires. Un voyage à travers les siècles nécessaire pour mieux saisir l’air du temps.
“Virago” sonne comme un nom d’agence d’assurances ou de médoc en toc. Détrompez-vous: l’on déploie ces trois syllabes pour désigner une “femme forte”, de celles qui tiennent tête… dans le meilleur des cas. Le pire? Voir en la virago “une femme d’allure masculine, autoritaire et criarde”, dixit le Larousse. Drôles d’attributs. Mais avec sa chaîne YouTube éponyme lancée en janvier 2017, Aude Gogny-Goubert répond à ces aléas de langue et réattribue à la virago sa patine d’exception. “À l’origine, une virago est une femme puissante et héroïque, une guerrière, puis le terme est devenu une insulte, désignant celle qui, pas assez féminine, ‘se montre trop’ avec ses gros sabots. Avec mes vidéos, j’en reviens au sens originel!”, raconte-t-elle. Cette vidéaste venue de la Comédie Française souffle ces mots d’une voix assurée et enthousiaste, accoudée à une table en ébène de la Recyclerie. Ce restaurant-café branché de Clignancourt lui ressemble: convivial et populaire, à la fois élégant et itinérant (puisqu’ancienne gare), laissant couler entre ses murs une musique immédiatement familière. Sauf qu’ Aude GG -son pseudo sur YouTube-, disons le tout de go, ne “recycle” rien: Virago ne ressemble qu’à elle.
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Des femmes qui changent le monde
Série de portraits où le fantasque convoite les faits, Virago conte le temps de pastilles punchy la vie de femmes “qui ont changé le monde à leur échelle”, de la journaliste militante Marguerite Durand à l’épique Athéna en passant par la chanteuse de génie Nina Simone. Non contente de secouer les codes de la vulgarisation historique en prônant l’égalité des sexes, la comédienne prête ses traits à des figures qui parfois se résument à des ombres aperçues dans les livres. Chaque incarnation est le fruit de dix jours passés à dévorer bios et thèses. À la fois charismatique animatrice sapée pour accueillir du beau monde et sujet d’étude réincarné dans un tableau, Aude GG dialogue avec elle-même pour faire résonner des féminités que des siècles de luttes, d’inégalités et de révolutions séparent. “Ces femmes ne se revendiquent pas toutes féministes, mais c’est leur capacité à transcender les choses qui fait de leur parcours un combat féministe”, explique cette interprète engagée. Initiée au théâtre à 5 ans et investie au sein de la Comédie Française dès ses 17 printemps (en tant qu’assistante metteuse en scène) Aude délaissera l’académie pour pénétrer la sphère de l’humour Web. D’abord au fil des sketchs du Palmashow, puis au sein du collectif Golden Moustache, vaste labo de récits loufoques et doux-amers. Aussi bien sevrée aux pièces classiques de Molière qu’à l’absurde 2.0, l’hétéroclite trouve aujourd’hui en Virago l’occasion de transgresser ces deux dimensions.
“Ces personnages sont des oubliées de l’histoire, alors je ne veux pas qu’ils s’excusent d’être là! Tant pis s’ils sont rentre-dans-le-lard, expressifs, autoritaires, caractériels, revendicatifs…” me soutient celle qui, fuyant aussi bien la caricature vaudevillesque que l’immersion schizo façon Actor’s Studio, attribue postures et tonalités à des personnalités aussi diverses que la chimiste Irène-Juliot Curie (fille de) ou la philosophe néoplatonicienne Hypathie. Pour nous faire ressentir leur présence, Aude GG agit en sculpteuse à la Camille Claudel, entre larges gestes et subtiles esquisses. “Lorsque je me retrouve devant ma glace et que la maquilleuse commence à brosser des traits, je sens le personnage arriver par petites touches en moi, je devine ses mimiques, mouvements d’épaules, expressions de bouche, tout ce qui me permet d’adapter ma voix, mon regard, la façon dont mes épaules seront rentrées”, me détaille cette observatrice assidue. Sans la moindre grimace, l’actrice se glisse même dans la peau d’une femme noire (l’étincelante chanteuse Eartha Kitt) et évite avec brio la blackface et le whitewashing, persuadée qu’ “on peut incarner une personne de couleur intelligemment, sans déserter l’hommage”.
Une voix à part
Si son format incisif est des plus tendance, Aude GG fuit la dictature de l’humour qui sévit sur YouTube. C’est plutôt le décalage qui s’insinue chez elle, une candeur enfantine (les déguisements, sans doute) qui exclut tout misérabilisme. Même quand il s’agit de nous conter les périples de la valeureuse espionne britannique Noor Inayat Khan, frappée à mort par les soldats allemands. “J’éprouve une forme d’autocensure, due à une sacralisation des personnages: je distille les vannes le plus possible pour ne pas brouiller l’écoute ou abimer l’image de ces femmes. Si Virago contient de la comédie, elle se limite aux lèvres plissées et au petit sourire au coin. On est loin des grands éclats de rire!” assure-t-elle… en riant aux éclats. Positive mais perspicace, la vidéaste impose ces voix au sein d’un paysage traversé de testostérone suante, là où “100 000 abonnés pour une vidéaste femme équivaut au million pour un mec”.
© Adrien Rebaudo
Dans la galerie d’Aude GG ne manque finalement qu’un portrait: le sien. L’histoire d’une admiratrice des “beautés libérées et franches” de Charlotte Gainsbourg et Sophie Marceau. D’une férue de costumes dont les sourires lumineux voilent poliment une part d’ombre -elle confesse être “quelqu’un de très sombre, assez solitaire et désabusée, parfois déprimée”. D’une actrice émancipée aussi, qui, lassée d’être “la moche de service” du Palmashow, vit “pour être quelqu’un d’autre tous les jours” et restaure son identité à travers les masques de ces viragos -elle en aligne 400 sur un tableur Excel. Sans nostalgie, Aude GG scrute le passé pour mieux penser le futur, Me Too en tête. “C’est une vraie révolution. On a l’impression que c’est un coup d’épée dans l’eau mais ce mouvement crédibilise et libère la parole des femmes. Il marquera l’histoire”, s’enthousiasme l’historienne en herbe. Un rivage qui renvoie aux viragos. “Pourquoi se faire traiter de ‘bonhomme’, c’est insultant? Être féministe, c’est aussi arrêter l’injonction à la masculinité: ne plus dicter aux hommes ce que c’est que d’être un homme”, cingle-t-elle à l’heure d’Eddy de Pretto et de Lomepal. Allez, let’s go, viragos!
Clément Arbrun
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