France 5 diffuse ce soir le documentaire Yémen, le cri des femmes de la journaliste Manon Loizeau, tourné après le “printemps arabe”. Un film qui dresse le portrait d’une nouvelle génération de femmes yéménites, loin des idées reçues. Interview.
Après ses Chroniques d’un Iran interdit, documentaire remarqué en 2011, la journaliste Manon Loizeau -lauréate du prix Albert Londres- poursuit son travail sur les femmes des pays arabes. Yémen, le cri des femmes sera diffusé ce soir sur France 5 et dresse le portrait de la jeune génération de femmes yéménites, dans un pays qui fut précurseur pendant le “printemps arabe”. Pour ce reportage, Manon Loizeau a choisi d’aller tourner dans “un endroit où les journalistes ne vont pas”, à l’heure où les principaux foyers médiatiques se situent en Égypte, en Tunisie et en Syrie. Elle co-signe le film avec Sybille d’Orgeval, qui a vécu au Yémen, parle l’arabe et l’a suivie dans cette aventure. Après cinq mois de refus, les autorités ont finalement délivré des visas aux deux jeunes femmes qui, soutenues par France 5, ont pu partir à la découverte de ce pays “fascinant et compliqué”, où les femmes sont descendues dans les rues pour réclamer la liberté. Manon Loizeau nous raconte les coulisses du tournage.
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Le Yémen occupe-t-il une place à part dans les pays arabes?
De l’avis de tous les experts, nous sommes en train d’assister à une réelle transition démocratique. Tous les chefs de tribus, qui ont été de tout temps ennemis, ont réussi depuis six mois à s’asseoir autour d’une table et à engager un dialogue national. Les femmes ont été les premières à sortir du foyer en bravant cette interdiction, dans ce pays où des mariages forcés sur des petites filles de 8 ans ont lieu. Ces femmes se sont libérées de leurs chaînes et elles offrent un fabuleux espoir de paix. Aujourd’hui, elles sont devenues visibles, elles sont intégrées et l’on se pose les bonnes questions: quelle place donner à la femme? Quelle place donner aux jeunes dans le dessin de cette nouvelle société?
N’était-ce pas compliqué de tourner au Yémen?
Notre voyage a dépassé de loin nos espérances. Les femmes, et plus globalement le peuple yéménite, qu’on connaît trop peu, nous ont réservé un très bel accueil. Notre premier tournage s’est déroulé en janvier 2012, et nous avons mis plus de treize mois à pouvoir retourner au Yémen. Les attentats, les kidnappings se sont multipliés après notre premier séjour, Al-Qaïda est entré pour la première fois à Sanaa, du jamais-vu dans ce pays. En juin dernier, nous avons pu revenir pour un tournage de six jours. Nous nous sommes faites très discrètes. Je n’avais pas peur mais le climat avait terriblement changé, et deux semaines après notre départ, un journaliste était enlevé. Mais la consolidation d’une transition démocratique est en marche, c’est l’un des seuls pays à y être parvenu. Au moment où tout le monde éprouve une certaine désillusion face au “printemps arabe”, ici c’est possible.
Quelle est la place des femmes dans les entreprises et dans la société civile?
Les femmes ne sont pas encore à la tête des entreprises parce qu’il n’y a presque plus d’entreprises. On n’en est pas encore là, tout reste encore à faire; le pays connaît de terribles problèmes de pauvreté, voire de famine dans de nombreuses régions. Mais au niveau politique, les femmes constituent aujourd’hui 27% des représentants au Parlement. Avons-nous ce taux à l’Assemblée nationale? Même les hommes réclament qu’un tiers de femmes soient représentées dans tous les corps de métiers. Ils regardent les femmes et les écoutent pour la première fois. En ce sens, ils sont plus féministes que les hommes en France! Il faut les voir par milliers soutenir Tawakkol Kurdan pour qu’elle accède au pouvoir… Aujourd’hui, l’enjeu est d’inscrire dans la future constitution les droits fondamentaux que les femmes se sont octroyés ces deux dernières années.
Vous avez rencontré et filmé Tawakkol Kurdan, qui a reçu le prix Nobel de la paix. En quoi est-elle le symbole des contradictions yéménites?
Elle porte le voile et fait partie d’un mouvement proche des Frères musulmans mais il faut savoir qu’au Yémen, ce parti est plus progressiste. Elle, elle est à l’intérieur, tous l’écoutent: comme elle est prix Nobel de la paix, ils peuvent difficilement l’empêcher de parler et de donner ses idées. Elle est un peu un Cheval de Troie à l’intérieur de ce parti, c’est une femme d’exception que tous admirent. C’est vraiment la nouvelle Reine de Saba!
Quelle place occupe la jeunesse dans ce processus?
C’est une jeunesse très connectée qui, au moment de la révolution, a beaucoup partagé sur Facebook, malgré les nombreux problèmes d’électricité qui ne permettent pas toujours de bénéficier d’une bonne connexion. Nous avons eu la chance de rencontrer et de filmer Nadia, la camerawoman de la révolution. Elle est très enthousiaste, d’autant plus que son destin d’étudiante a basculé, elle est devenue la représentante de la jeunesse au sein du dialogue national. Nous avons aussi pu filmer des scènes incroyables de jeunes hommes demandant aux jeunes filles qui portaient encore le niqab de “se délivrer de leur prison”. D’ailleurs, ils nous encourageaient nous aussi à ne pas nous couvrir la tête. Les hommes sont pour l’égalité, ils démontent toutes les idées reçues que l’on peut avoir sur ce pays.
Propos recueillis par Laura Soret
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