Elle disait que se faire prendre en photo pour illustrer le portrait que j’écrivais d’elle, lui donnait “envie de pleurer”. Elle n’avait pas la confiance en elle, en l’autre, pour “donner son visage”. Elle l’a fait pourtant, le torse nu mais le regard de côté, puis elle nous a remerciés.
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J’ai rencontré Kate Barry deux fois. La première, pour ce portrait publié en dernière page de Libération. La seconde, pour moi. Parce que derrière la pudeur, les mains affolées et les phrases interrompues en plein vol, il y avait cette fantaisie évidente, ce décalage irrésistible qui l’a fait photographier Helena Bonham Carter assise dans une armoire, une tasse de thé à la main. Avec elle, je pourrais m’amuser. Accepterait-elle, sur le principe, à l’occasion, que nous travaillions ensemble? Des portraits à deux, moi le stylo, elle l’appareil. Il était 16h, la brasserie d’en bas était vide, elle a commandé un croque-monsieur sans les frites au serveur étonné d’apprendre qu’elle n’avait rien mangé de la journée, et elle m’a répondu “oui, bien sûr!”. Elle avait la générosité des mal assurés. Je l’ai aimée pour ça. Je pensais bêtement avoir la même.
Je ne lui ai pas dit, mais je trouvais génial qu’elle photographie des mauvaises herbes, un de ses derniers projets personnels, je crois. J’avais demandé à son ami Jean Rolin, ce qu’elle serait, si elle était un paysage. Il avait décrété: “Un joli petit arbuste un peu décoiffé sur fond de lande écossaise ou galloise”.
Elle aimait la pluie, les friches, les zones portuaires. Elle avait ce rêve d’une maison au Havre, face à son Angleterre. Elle trouvait les maisons des autres “émouvantes”, comme celle de l’écrivain américaine Flannery O’Connor. Elle riait: “Tu souffles dessus, on dirait qu’elle va tomber”.
Elle était proche, quoique toujours un peu loin.
On était en juin, pourtant elle portait de grosses chaussettes grises qui me donnaient envie d’enlever mes baskets et de me pelotonner dans le canapé.
Sous le canapé justement ronflait l’un de ses deux chiens. Elle a eu un perroquet, aussi. Elle voulait que j’en parle dans l’article, prévenir les éventuels acheteurs qu’un bébé perroquet, c’est fourbe, ça demande “autant de soin qu’un prématuré”.
Je me souviens qu’elle avait peur de l’avion. Je lui expliquais que les turbulences, c’est comme quand la route est mauvaise, on est ballotté mais on ne risque rien. J’ai dit un truc nul comme “Je sais de quoi je parle, mon mari travaille dans l’aéronautique”. Ça a fait son petit effet, elle m’a transmis des questions à lui poser.
Elle signait ses mails “Je vous embrasse”. Elle était proche, quoique toujours un peu loin. Décontenancée, je répondais “À bientôt”.
Elle disait qu’elle avait besoin de solitude. Elle disait “l’ombre me va bien”.
Au revoir, Kate. Je vous embrasse.
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