Durant quinze jours, à Paris, la manifestation pluridisciplinaire Hors Pistes se penche sur l’idée de nation et les fictions qu’elle porte. Une proposition mêlant artistes, intellectuels et militants, pour repenser les horizons.
Manifestation pluridisciplinaire proposée par le Centre Pompidou sur des sujets d’actualité et sur leurs échos dans le champ de l’art contemporain et de la pensée, le festival Hors Pistes invite, du 19 janvier au 4 février, pour sa 13e édition, artistes et intellectuels à réfléchir à la question de “la nation et ses fictions”.
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Comment raconter la nation autrement qu’à travers le filtre de ses réflexes de fermeture aux autres ?
Cette thématique fait évidemment écho à la progression, palpable depuis plusieurs années, des thèses identitaires, et à la nouvelle ferveur patriotique et nationaliste, mondialisée pour le coup – une manière de saper les fondements du multilatéralisme et de l’ouverture des frontières. Comment saisir la réactivation de cette idée politique contre laquelle l’Europe s’est notamment bâtie depuis l’après-guerre ? Et surtout, comment raconter la nation autrement qu’à travers le filtre de ses appartenances rigoristes et de ses réflexes de fermeture aux autres ?
L’émotion de l’appartenance
“Une nation est une âme, un principe spirituel”, écrivait Ernest Renan dans son célèbre texte Qu’est-ce qu’une nation, en 1882. Et ajoutait : “Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis.”
Qu’avons-nous fait de ce désir de vivre ensemble ? L’historien Patrick Boucheron, invité de Hors Pistes, avoue lui-même aujourd’hui : “L’histoire nationale ne m’intéresse pas tant que ça, mais l’émotion de l’appartenance, oui ! Il est inconséquent politiquement d’abandonner cette émotion puissante qui a été compromise par l’histoire et le nationalisme.”
Des “first nations” aux “archipels”, de “l’utopie post-nationale européenne” à la réalité syrienne qui fait de la nation le lieu d’un conflit du sens et des symboles
Durant quinze jours, dans le Forum-1 du Centre Pompidou, historiens, philosophes, anthropologues, écrivains, artistes… se réuniront autour d’autres manières de “dire” la nation, de dire d’autres nations, d’inventer des nations alternatives, “para” ou “extra-nations”. De Tristan Garcia à Emanuele Coccia, de Philippe Artières à Fanny Taillandier, de Catherine Coquio à l’artiste Tiphaine Calmettes, du collectif PEROU à l’artiste Laurie Bellanca, du collectif Kom.post aux designers Ruedi et Vera Baur, du poète Frank Smith au programme d’expérimentation en arts politiques de Sciences Po (engagé dans une enquête sur les nouvelles utopies institutionnelles), de nombreux intervenants, aux profils multiples, ouvriront d’autres pistes de réflexion.
A rebours du discours national identitaire, ces paroles se proposeront de dire autrement les sentiments d’appartenance, de nouer avec d’autres que ses proches un monde commun et construire ce que Tristan Garcia appelait dans son dernier livre un “Nous“. Hors Pistes cherchera aussi à interroger d’autres conceptions de la nation, des “first nations” aux “archipels”, de “l’utopie post-nationale européenne” à la réalité syrienne qui fait de la nation le lieu d’un conflit du sens et des symboles.
Entre gestes artistiques et récits de citoyens
Au fil des paroles collectées, l’horizon de ce dispositif original, entre le forum et la performance, est donc de proposer un autre récit, ouvert et collectif, en accord avec l’idée de Jacques Rancière selon laquelle “le réel doit être fictionné pour être pensé”. Les conversations, lectures, séminaires alternatifs, ateliers, performances, commentaires de textes juridiques, disputes, ciné-club… seront autant de formes venant réinventer notre idée de la nation.
“Entre images, imageries et imaginaires, entre gestes artistiques et récits collectés de citoyens qui sont tout autant acteurs que spectateurs, cette édition d’Hors Pistes ne cherche pas à écrire la contre-histoire d’une nouvelle nation mais à ouvrir la possibilité d’inscrire les multiples narrations de ce qui lui échappe tout en la composant”, explique Camille Louis, philosophe et dramaturge, proche du collectif interdisciplinaire Kom.post. Ouvrir l’idée nationale à d’autres voies que celle d’un nationalisme étroit et excluant : les chemins suggérés par Hors Pistes seront ceux de la liberté rêvée par des utopistes concrets.
Festival Hors Pistes – La Nation et ses fictions Du 19 janvier au 4 février 2018, Centre Georges-Pompidou, Paris IVe
https://horspistes13.fr/ (site créé par la dramaturge de l’événement, Camille Louis)
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