Ce vendredi 13 novembre 2015, c’est une génération déjà loin d’être insouciante qui a été visée. On a demandé au psychologue Sébastien Dupont quel pouvait être l’impact de tels évènements sur une génération entière.
Les attentats de Paris ont visé la jeunesse qui sort, qui boit, qui rit le vendredi soir. Ce n’est pourtant pas l’insouciance qui caractérisait jusqu’ici ces jeunes vingtenaires et trentenaires: ils sont nés avec le sida, ont entendu parler chômage, crise économique et terrorisme dès le plus jeune âge. Ils ont vu les Twin Towers s’effondrer en direct sur leur écran de télévision, ils se sont regroupés le 11 janvier dernier comme des millions de Français pour défendre la liberté d’expression mais ils n’ont jamais perdu de vue leurs valeurs, celles de la famille, de l’amitié, de la solidarité et de la débrouille.
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Ce vendredi 13 novembre 2015, à défaut d’entendre encore parler du terrorisme, ils en ont été les toutes premières victimes car cette fois-ci, c’est eux que l’on a tout particulièrement visés. On a demandé à Sébastien Dupont, psychologue à Strasbourg et spécialiste du sentiment de solitude chez les jeunes, quel peut être l’impact d’un tel évènement sur une génération entière.
Le terrorisme faisait déjà partie de nos vies, qu’est-ce que le 13 novembre a changé?
Peut-être que pour la première fois, cette génération visée par les attentats, qui a déjà été témoin du terrorisme, se sent vraiment en guerre. Pour la première fois aussi, on a vu cette génération, pour laquelle le sentiment patriotique n’est pas toujours très fort, utiliser des symboles nationaux comme le drapeau –sur Facebook, beaucoup de gens ont changé leur photo de profil-, une Marianne ou encore La Marseillaise qui a été chantée spontanément dans des moments de recueillement. Les attentats de Paris ont peut-être bousculé cette génération autour de la question des sentiments collectifs, non pas que ce soit, comme on le dit, une génération individualiste, mais là, c’est un autre niveau de rapport au collectif, à la nation. Alors que, jusqu’à maintenant, pour cette génération née en temps de paix, les sentiments patriotiques étaient perçus comme réactionnaires et négatifs, là, il se peut qu’elle se réapproprie, par l’intermédiaire de la créativité, l’identité nationale au sens noble du terme.
Peut-on parler de traumatisme collectif? Quelles sont les conséquences d’un tel évènement sur une génération entière?
Je dirais que le traumatisme est plutôt individuel et que les solutions au traumatisme sont, elles, collectives. Ce qui est collectif, c’est ce que l’on met justement en place pour sauver l’individuel. Espérons que, ce qui reste, c’est le souvenir de ce qui a pu se passer dans le cadre d’élans de solidarité, et de réassurance collective. Ce sont des pistes à creuser d’ailleurs pour gérer les années à venir qui, malheureusement, vont probablement nous exposer de nouveau à des évènements semblables.
“Quel destin commun cette génération va-t-elle se choisir? C’est elle qui a les clés.”
Nous n’étions déjà pas insouciants, comment allons-nous surmonter ces évènements?
J’ai le sentiment qu’il y a une forte capacité de résilience chez les jeunes dont j’ai lu les témoignages, une capacité à résister, à ne pas sombrer dans la peur. Les gens ont parlé assez vite et assez spontanément de ce qui compte le plus, c’est-à-dire la vie, ceux qu’on connaît qui sont toujours en vie, ceux qui n’étaient pas si proches mais qu’on a quand même appelés pour savoir s’ils allaient bien. Toutes les autres difficultés auxquelles est confrontée cette génération, comme la crise économique ou la précarité professionnelle, sont d’un coup devenues futiles. Ce n’est pas une génération vide spirituellement, elle l’a prouvé aujourd’hui. Elle ne sombre pas dans la peur et a plus de valeurs qu’on ne le croit, que ça concerne les liens sociaux, la famille ou encore la solidarité.
Cette génération porte la valeur famille bien plus fortement que la génération de mai 68 qui considérait plutôt cette dernière comme un carcan. Aujourd’hui, il y a un retour à la famille au sens fort des liens sur lesquels on peut compter même quand la situation n’est pas idyllique. Beaucoup de jeunes de cette génération considèrent leurs parents comme leur camp de base, peu importe leurs problèmes.
L’enjeu pour notre génération est-il maintenant de résister?
Oui certainement, mais c’est aussi de s’engager, non qu’elle ne l’ait pas déjà fait. Il n’y a pas eu une bombe dans le métro, c’est quasiment une génération qui a été visée, celle qui va au concert, qui aime la culture, qui aime sortir le vendredi soir. Beaucoup d’études ont montré qu’elle n’avait pas toujours la voix au chapitre qu’elle méritait, dans toutes les formes de représentations possibles, qu’elles soient politiques ou autres. C’est elle qui est interpellée aujourd’hui et la suite dépend aussi d’elle. Va-t-elle aller vers le repli, la peur ou la résistance? Quel destin commun va-t-elle se choisir? C’est elle qui a les clés. C’est une occasion aussi pour elle de s’exprimer davantage et d’être un peu plus entendue.
L’ouverture d’esprit de cette génération peut-elle être remise en cause?
Elle ne va pas changer sur ses valeurs d’ouverture et de mixité car ça fait quasiment partie de ses gènes. Au contraire, ces évènements peuvent l’éveiller davantage, elle peut devenir encore plus attentive et “perceptive” des réalités internationales.
“Comment se fait-il que des jeunes grandissent dans cette société sans avoir le sentiment d’y appartenir?”
Le 13 novembre, c’est une jeunesse qui s’en est pris à une autre, comment en est-on arrivé là?
Ça pose bien évidemment la question du vivre ensemble. On peut avoir l’impression d’appartenir au même groupe mais être ami, ça ne va pas de soi, ce n’est pas si simple. Dans les années 90, les années 2000, on a voulu mettre de côté les identités passées, elles étaient devenues encombrantes, on avait l’impression qu’il fallait tout ouvrir et vivre dans un village global mais on a oublié que, sans identité, il n’y a pas de cohésion. Ces jeunes qui tuent, au-delà des problèmes psychologiques qu’ils peuvent avoir et de l’embrigadement auquel ils sont soumis, révèlent l’existence de problèmes d’appartenance, d’identité, de reconnaissance. Ils ne se sentent pas appartenir à la génération qu’ils ont visée car on ne tue pas les siens.
C’est une impression d’étrangeté qu’on ressent: on était les uns à côté des autres, on vivait ensemble et en fait, non. Il faut une réflexion globale autour de la vie sociale. Comment fait-on à l’école, dans les loisirs pour se donner l’impression qu’on fait partie de la même famille et se protéger ainsi des scissions? Derrière cette folie instrumentalisée par Daech, il y a une question: comment se fait-il que des jeunes grandissent dans cette société sans avoir le sentiment d’y appartenir?
Propos recueillis par Julia Tissier
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