Jusqu’ici documentariste et journaliste, Laure Flammarion se lance dans l’art contemporain avec Honoré Visconti, son label de programmation artistique.
C’est dans une paisible galerie du 6ème arrondissement de Paris que Laure Flammarion, 32 ans, nous reçoit. Elle est aussi lumineuse que l’endroit, une grande pièce blanche qui donne sur un petit jardin. C’est l’ancienne imprimerie d’Honoré de Balzac. Située rue Visconti, elle a inspiré le nom du label de la jeune femme, fondé en 2014: Honoré Visconti.
Laure Flammarion le dit elle-même, elle ne veut pas devenir galeriste. Honoré Visconti est l’un des nombreux projets de cette touche-à-tout, ex-journaliste et documentariste, qui a également dans les cartons un long métrage et des engagements associatifs. Mais quelques mois dans l’année, elle ouvre à un large public le monde de l’art contemporain, quitte à en bousculer les codes, dans ce lieu au cœur de la capitale.
“L’une de mes envies, en me lançant dans l’art contemporain, était d’essayer d’en faire bouger les lignes.”
Depuis le 20 avril, elle y présente Les Adoptés, une exposition qui réunit sept artistes ayant travaillé à partir de photos trouvées. Tous explorent le rapport à l’image préexistante. Le leur, en tant que photographes, et le nôtre, en tant qu’humanité, qui n’a jamais produit autant de photos qu’aujourd’hui.
Pourquoi ce nom, Les Adoptés?
Parce que tous les artistes exposés ont travaillé à partir d’images qui n’étaient pas d’eux. Je ne voulais pas que cela soit synonyme d’appropriation, qui est un terme que je n’aime pas du tout, mais plutôt d’adoption, comme celle d’un enfant. Ils ont récupéré, transformé, enrichi les photographies d’origine. Par exemple, Thierry Struvay est parti à la recherche de photographies dans les marchés aux puces, au fond des poches de vêtements et dans de vieux portefeuilles. Son œuvre Wallet Treasures met en valeur tout l’attachement que les propriétaires ont pu avoir vis-à-vis de ces clichés qu’ils ont transportés avec eux toute leur vie.
Comment sélectionnes-tu les artistes avec lesquels tu travailles?
L’une de mes envies, en me lançant dans l’art contemporain, était d’essayer d’en faire bouger les lignes. Le marché de l’art, comme son nom l’indique, est régi par l’argent. On demande aux jeunes artistes de faire des travaux commerciaux, qui vont bien se vendre, et aux plus reconnus de continuer de faire ce qu’ils ont toujours fait, puisque ça rapporte aussi. C’est insupportable pour eux. Je m’intéresse à tous et à tout ce qu’ils font, à leur évolution, à leur liberté artistique. Je cherche avant tout à montrer leurs innovations.
“J’ai des amis qui me disent qu’ils aimeraient avoir une œuvre d’art dans leur salon plutôt qu’une toile Ikea.”
Cette liberté, c’est aussi ce que tu veux transmettre au public?
Oui c’est pour cela que je n’ai pas mis les noms sous les œuvres. Donner le nom de l’artiste est souvent une manière d’imposer un jugement préconçu. Ici, chacun a la possibilité d’aimer ou de détester une installation ou une photo.
L’art contemporain fait souvent l’effet d’un milieu fermé, c’est une manière de le démocratiser?
Je cherche à le rendre plus accessible, sans le vulgariser pour autant. En attirant des non-initiés, mais aussi en proposant des œuvres au prix abordable. Beaucoup de gens n’osent pas entrer dans les galeries, et encore moins acheter. J’ai des amis qui me disent qu’ils aimeraient avoir une œuvre d’art dans leur salon plutôt qu’une toile Ikea, mais c’est un pas difficile à sauter. Pour moi, vendre une première œuvre à un client, c’est une immense victoire. C’est avoir réussi à ouvrir des portes, provoquer un dialogue. L’art est un moyen de créer des ponts entre les milieux.
Quel est ton prochain projet?
Une exposition basée sur l’échange, qui débutera en juillet prochain. Les œuvres ne seront pas à vendre, mais à échanger. Par exemple, quelqu’un pourra offrir à l’artiste un mois de vacances dans sa maison de campagne ou, je ne sais pas, lui faire une tarte aux pommes tous les mardis pendant un an. Le but est non seulement que les gens qui n’ont pas d’argent puissent acheter, mais aussi que ceux qui en ont beaucoup reprennent conscience de la valeur d’une œuvre. Que chacun se pose la question de ce qu’il est prêt à donner pour de l’art, pour sentir de nouveau le lien affectif qu’on peut entretenir avec une œuvre.
Propos recueillis par Clémentine Spiler