Quelques rôles remarqués au cinéma, un spectacle de danse et deux vidéos qui font d’elles l’une des sensations musicales attendues de 2018: à 25 ans, Aloïse Sauvage fait feu de tout bois. Et le fait très bien.
On l’a vue donner de la voix dans 120 Battements par minute de Robin Campillo, où elle animait les réunions hebdomadaires d’Act Up. Elle est actuellement en tournée avec la création 5èmes hurlants, de Raphaëlle Boitel, où elle fait de l’acro-danse, la spécialité avec laquelle elle est sortie diplômée de l’école du cirque. Cet automne, Aloïse Sauvage a aussi trouvé le temps de sortir Ailleurs Higher et Aphone, deux titres clippés qui présentaient sa facette de rappeuse et ont instantanément émoustillé les internautes et les labels. En 2018, elle sera dans le nouveau film de Vincent Mariette (Tristesse Club) aux côtés de Lily-Rose Depp. Le long-métrage s’appelle Les Fauves, et ça lui va comme un gant. Car Aloïse Sauvage n’aime pas se laisser enfermer. Son patronyme la prédestinait peut-être à défendre coûte que coûte sa liberté -ce n’est pas un pseudonyme et Jacqueline n’est pas de la famille, on a demandé-, mais à part ça, aucun déterminisme dans le parcours artistique de la jeune femme de 25 ans. Pour qu’on en sache un peu plus sur sa vie, la manageuse et attachée de presse Melissa Phulpin, présence bienveillante et avisée qui accompagne une palanquée d’artistes de l’ombre à la lumière, nous a donné un rendez-vous matinal dans un resto italien du 9ème arrondissement de Paris. Après Fishbach ou Juliette Armanet, Aloïse Sauvage est la nouvelle artiste en laquelle elle croit très fort. Et on doit bien avouer, au lendemain de son concert en première partie d’Eddy de Pretto, qu’on se se range à son avis.
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Sur scène, Aloïse Sauvage a déjà la présence d’une artiste confirmée. Entre les morceaux, son humour nerveux et échevelé trahit encore un trac palpable, mais lui permet aussi d’instaurer une connivence avec son public, façon comédienne de stand-up. En fait, dans sa manière d’occuper les temps morts et l’espace, Aloïse Sauvage nous rappelle Christine and the Queens à ses débuts. Comme cette dernière, elle donne l’impression d’une grande maîtrise de la mise en scène à un stade peu avancé de sa carrière, et l’on sort de son show avec le sentiment qu’un jour tout sera plus grand, plus produit, plus abouti, mais que l’essentiel est déjà là. Christine and the Queens, d’ailleurs, était présente ce lundi 27 novembre dans la petite salle des Étoiles à la station Château d’Eau, en mode incognito dans l’ombre de la mezzanine, pour applaudir sur les planches sa presque homonyme -on vous rappelle que le vrai prénom de Christine est Héloïse. Les deux jeunes femmes se connaissent depuis deux ans, les danseurs de l’une étant des amis de l’autre.
“J’ai toujours envie de faire du mieux possible.”
Les rencontres sont ce qui a jalonné le parcours de celle qui ne vient de nulle part et d’aucune lignée artistique. Aloïse Sauvage a grandi au Mée-sur-Seine, une commune de 20 000 habitants située en Seine-et-Marne, elle est la cadette d’une fratrie de trois et ses parents sont cheffe d’établissement scolaire et documentaliste. Elle parle d’une voix un peu ébréchée, débite des mots à un rythme saccadé, quand elle raconte sa vie c’est presque du slam, une discipline qu’elle a un temps pratiquée. Comme pas mal d’artistes de sa génération, Aloïse Sauvage revendique haut et fort ses origines banlieusardes, célèbre la culture des MJC et la “richesse du métissage”, elle qui a toujours tout pratiqué en même temps, le break dance et le latin, la flûte traversière et l’allemand première langue, le saxophone et les mathématiques. Élève d’un collège classé ZEP, avec ses “jeunes profs parachutés là au début de leur carrière, qui avaient la fougue des premiers instants et voulaient changer le monde”, Aloïse Sauvage s’est épanouie à l’école. C’est même là qu’elle a découvert le théâtre, présidé sa première association et monté ses premiers spectacles, toujours avec ces profs qu’elle adorait et qui sont devenus des amis. Plutôt littéraire dans l’âme, Aloïse Sauvage a passé un bac S pour être dans une bonne classe, avec les mathématiques en spécialité. “J’ai toujours envie de faire du mieux possible et la spécialité maths me semblait la plus compliquée, donc je m’y suis attelée.” C’est d’une implacable logique.
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Si Aloïse Sauvage devait avoir une devise, ce serait sûrement “Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué”. Cela permettrait aussi de comprendre ce qui l’a poussée à devenir artiste, alors que de belles études bien balisées lui tendaient potentiellement les bras: “Être artiste, c’était un rêve depuis longtemps, mais l’ancrer dans une réalité quotidienne, c’était compliqué”, nous dit-elle. Compliqué, donc tentant. De même, en école de cirque, elle a choisi une spécialité pas simple, l’acro-danse. Une discipline qui allie, si l’on devait résumer très grossièrement, des acrobaties au sol à “une recherche de mouvements et une vision chorégraphique.” L’une des seules filles de sa promo, Aloïse Sauvage était aussi une exception dans la très compétitive Académie Fratellini, elle qui s’est formée en autodidacte à la danse hip hop et n’avait pour seul bagage qu’un an de classe préparatoire aux écoles du cirque. “Ça a été dur, certains profs un peu traditionnels estimaient que je n’y avais pas ma place.” Ce qui ne l’a pas empêchée de décrocher son diplôme en 2014, et d’évoluer professionnellement dans le milieu depuis trois ans.
C’est Raphaëlle Boitel, metteuse en scène du spectacle 5èmes Hurlants, qui lui a mis le pied à l’étrier, d’abord en la castant, puis en lui présentant son agent, une certaine Méline Saint-Marc, qui la représente désormais pour le cinéma. Le facteur chance, dans son parcours, Aloïse Sauvage sait qu’il existe, “sans doute”. “Mais j’espère qu’il y a aussi beaucoup de travail et un peu de talent”, ajoute-t-elle. De l’audace, aussi. Pour faire son chemin, elle n’a jamais hésité à contacter en direct les gens du milieu, labels, producteurs·rices ou attaché·es de presse. Mais se défend d’être rentre-dedans ou d’avoir les dents qui rayent le parquet. “C’est juste qu’à des moments j’ai besoin d’aide et je considère que j’ai le droit de la demander, poliment et sincèrement.” C’est comme ça qu’Aloïse Sauvage s’est entourée du compositeur et producteur Abraham Diallo pour mettre en son ses textes, une collaboration qui donnera naissance à un Ep prévu pour le printemps 2018. Une année qui “ouvre des possibles qu[‘elle n’avait] même pas envisagés.” Et qu’elle vivra sûrement à fond, elle qui avoue ne “pas savoir faire les choses autrement”.
Faustine Kopiejwski
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