Dans son livre intitulé Je ne suis pas Parisienne, en librairies aujourd’hui, la journaliste Alice Pfeiffer, 34 ans, s’est intéressée au mythe marketing de la Parisienne et de la Française en général. Un moyen pour elle de déconstruire et de questionner cette représentation jugée trop blanche et hétéronormée. Interview.
“J’ai beau être de Paris, je ne me reconnais pas dans le cliché de la Parisienne”, lâche Alice Pfeiffer d’entrée de jeu. La journaliste, spécialisée dans les questions de genre, publie aujourd’hui aux éditions Stock son premier livre intitulé Je ne suis pas parisienne. Se définissant elle-même comme “Parisienne de Malakoff et de Montreuil”, celle qui dirige les pages mode des Inrocks et pige pour le quotidien britannique The Guardian et le magazine Vogue décortique dans cet ouvrage le mythe de la femme française, fantasmée depuis des générations.
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Ce livre est né au fur et à mesure de sa prise de conscience: “Je le débute d’ailleurs en évoquant le mythe de la cagole, car je l’ai découvert au lycée, explique la trentenaire. Le chapitre sur les femmes noires arrive ensuite après le scandale sur le web qu’a provoqué l’élection de Miss France 2013, Flora Coquerel, qui est noire. Il est suivi par un focus sur le fantasme de la beurette, après avoir été témoin des réactions qu’ont provoqué le défilé de Zahia. Ça a été une accumulation de chocs.” À travers ces différentes représentations, Alice Pfeiffer met en lumière les femmes qui ne se reconnaissent pas dans cet objet de consommation mondialisé qu’est la “frenchwoman”.
Qui est la Parisienne?
C’est une sorte de Jane Birkin actuelle. Si je devais définir ses aspects les plus clichés, je dirais que c’est une femme dont le métier est rarement évoqué (donc qui ne semble pas avoir de problème d’argent), qui ne se brosse pas les cheveux (qui a donc les cheveux lisses!), qui porte un sac de marque mais vintage (hérité de sa mère ou de sa grand-mère, donc qui vient d’une famille privilégiée), qui porte un “boyfriend jean” (qui est donc hétéro), et ne porte pas de soutien-gorge (on se souvient du fameux “cachemire sur peau” de Sonia Rykiel) – donc est mince. Entre les lignes, on comprend que ce look est réservé à une femme blanche, filiforme, bourgeoise -ce qui est profondément excluant pour la majeure partie des françaises.
Et la Parisienne que vous voyez tous les jours?
Ça reste subjectif mais, de mon point de vue, la Parisienne que j’ai pu voir ne vient généralement pas de Paris intramuros, mais plutôt de province ou du Grand Paris. Elle s’habille en fripes, ne porte pas que du 36, ne vit pas dans un grand appartement haussmannien mais galère comme tout le monde avec un emploi déguisé en stage et un pass Navigo qui lui coûte un bras chaque mois. Et elle a le droit de se dire Parisienne!
Comment les minorités font-elles évoluer la vision stéréotypée de la femme française?
On ne les voit pas assez et elles ne sont jamais représentées comme parisienne. Le look parisien n’est réservé qu’à certains corps, alors qu’on veut voir une plus grande diversité! Des associations comme Lallab, des femmes comme Gabrielle Deydier, l’autrice de l’ouvrage On ne naît pas grosse, ou encore la militante Rokhaya Diallo… toutes ces femmes ne sont pas présentes dans le marketing de la femme française mais le méritent tout autant.
Les clichés de la “beurette” ou de la “niafou” sont des “concepts” 100% français. Pourquoi représenter les femmes françaises racisées de cette façon?
Je pense que c’est la continuation d’un processus colonial où la femme blanche, représentée à la fois comme la norme et l’idéal, perpétue un processus normatif et une hégémonie caucasienne. C’est une hiérarchisation entre femmes qui passe par l’apparence et qui reflète la misogynoir encore très active dans l’inconscient collectif, une discrimination ethnique au cœur de l’oppression patriarcale sexiste.
Pensez-vous qu’un jour une influenceuse à la coupe afro pourrait illustrer la couverture d’un livre sur la Parisienne?
J’adorerais, mais les conseils beauté pour devenir une “vraie Parisienne” ne marchent qu’avec des normes caucasiennes. Patricia Hills Collins a beaucoup écrit dessus: il ne faut pas que les femmes racisées soient seulement “la version noire ou arabe de”. Il faut qu’elles soient considérées comme parisiennes au même titre que les figures classiques. Je pense que Paris est prêt, on voit un début de changement avec des personnalités comme l’influenceuse Adeline Rapon ou la journaliste Laurianne Melierre par exemple. Mais est-ce-que le marché du luxe est prêt? Pour eux, consommer français est encore et toujours consommer blanc.
Aya Nakamura pourra-t-elle un jour incarner la femme française?
Je dirais qu’elle est justement une Parisienne typique de 2019. Elle s’assume à mort, ne mâche pas ses mots, a une répartie cinglante, joue avec des codes sexués mais n’a pas peur d’apparaître pas ou peu maquillée, qui sont des traits“updatés” de l’image classique de la Parisienne. Ce n’est pas plus réservé à une classe sociale qu’à une autre. En plus, Aya Nakamura fait chanter tout Paris. Nabilla pourrait aussi à sa manière représenter la Parisienne, tout comme l’actrice Déborah Lukumuena. La Parisienne aujourd’hui, c’est plein de femmes différentes qui ne s’identifient pas forcément à la France car elles n’ont pas eu le droit de se revendiquer parisienne.
Propos recueillis par Christelle Murhula
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