De plus en plus de femmes ayant subi des agressions sexuelles dans les transports en commun filment leurs agresseurs et postent les images sur les réseaux sociaux. Sollicitée par les victimes, la RATP les incite à utiliser les numéros d’alerte. Mais sont-ils vraiment efficaces?
Regards insistants, mains aux fesses ou frottements, voilà ce qu’affrontent quotidiennement les femmes dans les transports en commun. Elles représentent 96% des victimes de violences sexuelles et 87% d’entre elles déclarent avoir déjà été victime de harcèlement sexiste et sexuel, d’agressions sexuelles ou de viols dans les transports en commun, selon une enquête de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut) en 2016. Elles sont d’ailleurs de plus en plus nombreuses à partager leurs histoires sur les réseaux sociaux.
C’est peut-être grâce à ces témoignages que, depuis mars 2018, un message de la RATP est désormais diffusé dans les stations pour inciter les voyageur·se·s à dénoncer les actes dont ils/elles pourraient être victimes ou témoins. Parmi les mesures instaurées, les numéros d’alerte -31 17 par téléphone et 31177 par SMS- sont souvent mis en avant par les agents de transport lorsqu’ils ou elles sont sollicité·e·s par les victimes. Sont-ils réellement efficaces? Permettent-ils une bonne prise en charge des personnes agressées? Ces dernières sont-elles encouragées à ensuite aller porter plainte?
Un dispositif bienvenu mais à revoir
Lorsqu’elle a été harcelée dans le métro parisien en décembre dernier, Safiétou Ndoye, 20 ans, n’a pas pensé à appeler ce numéro. Un homme, assis en face d’elle, s’est masturbé en la regardant avec insistance et l’a suivie durant une grande partie de son trajet. Voulant provoquer une prise de conscience, elle a filmé la scène et a partagé les images sur son compte Twitter. La vidéo a été vue plus d’un million de fois. Au téléphone, la jeune femme nous explique sa démarche: “Je voulais montrer que ces situations sont courantes. Ce n’est pas la première fois que ça m’arrive. Et je ne suis pas la seule, j’ai reçu beaucoup de témoignages, de vidéos et d’images de filles qui me disent qu’elles ont déjà croisé cet homme ou ont déjà vécu la même chose que moi.” Anaïs Nkoulou, 20 ans, fait partie de celles-là. Cette étudiante infirmière se rendait à ses cours en RER lorsqu’elle a été victime d’une agression sexuelle. “Un homme est venu s’asseoir à côté de moi. À un moment, j’ai senti quelque chose sous ma fesse. J’ai pensé que c’étaient les lanières de son sac à dos ou son manteau donc je me suis décalée. Mais j’ai continué à sentir quelque chose. J’ai regardé et j’ai vu sa main droite sous ma fesse. Derrière son sac à dos, qui était posé sur ses jambes, il avait sorti son pénis et se masturbait”, raconte celle qui a également partagé son histoire sur les réseaux sociaux.
“Je pense que le numéro n’est pas assez percutant. Il n’y a pas forcément de réseau donc on ne peut pas les appeler et de toute façon, par téléphone, la RATP ne peut pas faire grand-chose.”
Selon Ile-de-France Mobilités, le service du numéro d’alerte 31 17 a été sollicité 38 000 fois en 2017, pour 28 000 demandes en 2016. Les signalements pour “atteintes à caractère sexuel” ont, quant à eux, augmenté de 50% entre 2016 et 2017. Un signe que ce dispositif est bienvenu, mais est-il réellement efficace? Safiétou Ndoye est dubitative: “Je pense que le numéro n’est pas assez percutant. Il n’y a pas forcément de réseau donc on ne peut pas les appeler et de toute façon, par téléphone, la RATP ne peut pas faire grand-chose.” Contactée par les agents de la société de transports, la jeune femme ne leur a pas répondu car pour elle “c’était inutile, j’étais déjà arrivée sur mon lieu de travail et l’homme était parti”. Même son de cloche chez Anaïs Nkoulou: “Ce jour-là, et toutes les fois où j’ai été agressée sexuellement, je n’ai jamais appelé le numéro d’urgence car pour moi, le temps que j’appelle, soit j’ai déjà réussi à me sortir de la situation, soit le pire est arrivé”.
Temps de réaction trop long, réseau limité, c’est le constat fait également par Raphaëlle Rémy-Leleu, présidente et porte-parole de l’association Osez le féminisme, suite aux témoignages qu’elle a reçus. Travaillant en collaboration avec le réseau transilien depuis deux ans sur la campagne de sensibilisation, la militante féministe confirme qu’il y a “quelque chose à revoir pour le réseau dans le métro” et une marge d’amélioration en ce qui concerne l’accompagnement des victimes. Pour rendre la prévention plus efficace, “un bilan du dispositif ainsi que des formations des agents pour l’accueil des victimes sont nécessaires”. Elle ajoute: “La RATP doit continuer à travailler avec des associations spécialisées”.
Un effet sur le nombre de plaintes?
Si prévenir les agents de la RATP ne s’avère pas forcément efficace sur le moment, cette mesure pourrait-elle encourager les victimes à aller porter plainte par la suite? La régie autonome des transports parisiens les pousse dans ce sens. Anaïs Nkoulou explique n’avoir jamais donné suite car elle n’a jamais pris en photo les personnes et une description physique orale “ne servirait à rien”, assure-t-elle. Cependant, la jeune femme pense que les vidéos de caméras de surveillance peuvent aider car “c’est très souvent des preuves tangibles qui nous manquent lorsqu’on porte plainte pour agression sexuelle”.
Là encore, les victimes sont confrontées à la contrainte des images disponibles seulement 72 heures. “J’ai porté plainte et la police m’a dit qu’elle allait l’envoyer à la RATP le plus vite possible pour récupérer les vidéos mais je ne suis pas sûre de les avoir”, précise Safiétou Ndoye. La jeune femme pense que “si elles étaient fournies plus facilement, cela pourrait encourager les femmes à porter plainte”. Cette contrainte est compréhensible pour la présidente d’Osez le féminisme, vu le nombre considérable de clichés pris par jour. Pour elle, “Il faut que la société se donne les moyens d’encourager les femmes à porter plainte”.
Wendy Le Neillon