En Afghanistan, voir une femme sur un vélo n’est pas courant. La réalisatrice Sarah Menzies, 30 ans, est allée là-bas filmer celles qui prennent le risque d’aller pédaler et en a tiré un documentaire: Afghan Cycles.
Pour une femme, faire du vélo en Afghanistan relève du parcours du combattant. Pourtant, certaines risquent leur “honneur”, leur sécurité et parfois même leur vie pour aller pédaler. Ce sont ces héroïnes que Sarah Menzies a décidé de suivre et dont elle nous parle dans son documentaire intitulé Afghan Cycles.
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“En vélo, les femmes pourraient aller à l’école ou faire leurs courses plus facilement.”
Sarah Menzies pendant le tournage DR
Cette réalisatrice américaine, 30 ans, originaire de Seattle, a lancé sa société de production, Let Media, en 2012, après avoir travaillé en tant que productrice freelance. Inspirée par ces cyclistes afghanes qui risquent gros pour pouvoir s’adonner à leur passion, Sarah Menzies s’est lancée dans la réalisation de son premier documentaire long-métrage: “Les vélos sont courants en Afghanistan, les hommes les utilisent tout le temps, raconte la trentenaire, ce qui est inhabituel par contre, c’est de voir une femme sur un vélo. Pourtant, elles pourraient aller à l’école et faire leurs courses plus facilement avec ou tout simplement s’en servir comme moyen de transport, tout comme les mecs.” Si la réalisatrice cherche encore des fonds pour terminer son documentaire -dont la diffusion est prévue en 2016-, elle a pris le temps de répondre à notre interview “Vélo”.
“Pour une Afghane, l’acte même de mettre quelque chose entre ses jambes est considéré comme un acte déshonorant.”
En Afghanistan, faire du vélo est un acte rebelle pour les femmes?
Voir une femme qui fait du vélo en Afghanistan est aujourd’hui encore peu commun, voire tabou. Ce n’est pas interdit par la loi mais c’est controversé. Pour une Afghane, l’acte même de mettre quelque chose entre ses jambes est considéré comme un acte déshonorant. Il faut rappeler que le vélo a joué un rôle important pour le mouvement du droit de vote des femmes aux États-Unis à la fin du XIXème siècle et, en Afghanistan, il donne du pouvoir à la femme: une femme sur un vélo est libre et indépendante, et c’est difficilement accepté dans un pays dominé par les hommes.
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Que risquent-elles une fois en selle?
À chaque fois que ces femmes montent sur un vélo, elles prennent un risque. Elles ont été chassées des routes, on leur a jeté des pierres et elles se sont fait alpaguer. Quand une Afghane monte sur un vélo, elle sort par essence du troupeau et là-bas, il est bien plus sûr de rester dans le troupeau… Cela étant dit, les Afghans s’adaptent et peuvent accepter le changement, surtout dans les endroits les plus progressistes du pays. C’est d’ailleurs dans ces endroits que nous avons filmé car ce sont les seuls qui semblent assez sûrs pour ces femmes. S’il y a des risques inhérents à la pratique du vélo et des exemples de violence, il y a tout autant d’histoires de soutien et d’encouragements. Tout ça a été vraiment excitant à filmer et à raconter.
Ont-elles des endroits secrets pour pédaler en toute sérénité?
Il se trouve que oui! En Afghanistan, il y a de grandes routes encombrées qui sont assez dangereuses car d’énormes camions passent très près des cyclistes mais elles se sont débrouillées pour trouver de petits chemins où elles peuvent s’exercer davantage en sécurité. Le vélo est différent des autres sports parce qu’il est très visible et public. Pour pratiquer, elles doivent forcément être dehors car elles n’ont pas encore accès à des endroits couverts.
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Quelles tenues portent-elles?
Nous avons défini trois types d’équipes de cyclistes différentes en Afghanistan, et chacune d’entre elles est unique. Les femmes de l’équipe nationale à Kaboul s’entraînent pour devenir des cyclistes de compétition donc, quand elles font du vélo, elles portent le plus souvent des vêtements typiques de cyclisme. À cause de leurs croyances religieuses, elles doivent couvrir leurs bras et leurs jambes, elles portent par conséquent des pantalons de cyclisme et des maillots à manches longues.
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Nous avons également suivi un club à Bamiyân qui a autant pour but de remporter des compétitions que de faire progresser la culture autour du vélo. Elles utilisent ce dernier comme véhicule de transport donc leurs tenues varient entre leurs habits de ville et des vêtements plus athlétiques quand elles s’entraînent. La dernière équipe, un club de Kaboul, ne fait pas de compétition mais milite pour que les femmes puissent faire du vélo. Elles pédalent donc dans les rues remplies de la ville avec leurs vêtements de ville. Elles portent des grosses lunettes de soleils, des sneakers et des tissus colorés, c’est très beau!
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Le plus bel endroit pour faire du vélo en Afghanistan?
C’est une question à laquelle il est difficile de répondre car tout ce que j’ai vu en l’Afghanistan était incroyablement beau! Mais je dirais que Bamiyân est l’un des plus beaux endroits pour faire du vélo. C’est montagneux et bien plus sûr que d’autres régions. Les gens vont même faire de l’escalade et du ski là-bas. Pour le vélo, c’est un rêve absolu.
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Elles sont plutôt Lance Armstrong ou Jeannie Longo?
C’est une bonne question mais il m’est difficile d’y répondre car je ne connaissais pas Jeannie Longo avant cette question. Je ne suis moi-même pas une fervente cycliste. Mais après une brève recherche Google, je dirais qu’elles sont plus comme Jeannie Longo, c’est-à-dire des femmes fortes qui sont en train de changer le cyclisme!
Bientôt aux Jeux Olympiques?
Elles ne participeront pas aux prochains JO en tant qu’athlètes car elles n’ont pas pu participer aux courses nécessaires aux qualifications. Cependant Moutain2Mountain, un des partenaires d’Afghan Cycles, travaille avec le comité olympique pour les faire venir en tant qu’invitées spéciales pour qu’elles puissent y assister. Ça va être très excitant pour elles! Je suis sûre qu’aux JO d’après, elles prendront part à la compétition.
Propos recueillis par Anne-Charlotte Dancourt, avec Julia Tissier
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