Dans son livre L’Actrice française est une femme comme les autres (enfin presque), la journaliste Florence Trédez passe à la loupe les comédiennes et le cérémonial qui les entoure. Elle commente pour nous 10 citations drôles, absconses ou étonnantes d’actrices en promo.
Florence Trédez, depuis 15 ans, c’est la plume musique du magazine Elle. Des années de critiques de disques, d’interviews de musiciens et quelques livres à la clef (une biographie De Georges Brassens, une de Madonna et une d’Amy Winehouse), indiquent que la journaliste connaît l’exercice promotionnel sur le bout des doigts. Et pourtant. Ses fonctions s’étant élargies avec le temps, Florence Trédez a eu l’occasion, à plusieurs reprises, de goûter à une expérience aussi étrange qu’inédite: l’interview d’actrice. “Faire une interview d’actrice, c’est très sérieux, explique-t-elle, je suis journaliste musique au départ et je vois vraiment la différence. Les chanteuses ou auteures-compositrices sont beaucoup plus faciles d’accès. Là, il y a plein de gens autour, ça se passe toujours dans une suite d’hôtel très impressionnante. On est assez surveillé et il n’est pas question de tutoyer l’actrice, par exemple”, raconte-t-elle.
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“Certaines actrices surjouent la joie, le mystère ou l’émotion.”
Dans L’Actrice française est une femme comme les autres (enfin presque), c’est “le personnage de l’actrice en promo” que Florence Trédez a voulu décrypter. Ce livre de 200 pages environ, présenté sous forme d’abécédaire (de A comme Adjani à Z comme Zylberstein), recense les moments de grâce et les moments de lose des actrices, dans un numéro d’équilibriste qui oscille entre humour, tendresse et mordant -celui-là même qui fait trop souvent défaut aux interviews d’actrices. C’est avec un second degré et une ironie similaires que Florence Trédez a accepté de commenter pour nous quelques unes des citations les plus improbables qu’elle a recensées dans son ouvrage.
“Vous allez voir, quand je serai démaquillée, je ressemblerai à une Twingo.” Leïla Bekhti, L’Equipe Magazine, 2012.
Certaines actrices surjouent la joie, le mystère ou l’émotion. À l’inverse, d’autres surjouent le côté très accessible et sympa et c’est un peu le cas de Leïla Bekhti. Elle a sans doute un petit complexe d’imposture, elle semble avoir toujours du mal à réaliser son bonheur d’être une star et, par conséquent, elle est un peu dans la dénégation. Dans toutes les interviews, elle raconte par exemple qu’elle aide les femmes de chambre à ranger dans les hôtels. Elle veut toujours appuyer le côté “je n’oublie pas d’où je viens”, au point que cela devient quasiment chez elle un syndrome. Cela dit, loin de moi l’idée de l’enfoncer, car en vrai, elle est réellement sympa. C’est d’ailleurs l’une des rares qui opte pour le tutoiement en interview.
“Je ne me considère pas comme féministe. Il faut se battre pour les droits des femmes, mais je ne veux pas que cela sépare les hommes et les femmes.” Marion Cotillard, Porter, 2015.
Le non-féminisme des actrices françaises me paraît totalement en contraste avec le féminisme des Anglo-saxonnes. Des femmes comme Kristen Stewart, Emma Waston ou Kate Winslet dénoncent le sexisme à Hollywood, le fait d’être moins payées que les autres. En France, on a l’impression que les actrices sont un peu rétrogrades. Aux États-Unis, c’est la jeune génération qui semble avoir brisé le silence en premier et, désormais, même les actrices de 40 ou 50 ans s’y mettent. Il y a un ras-le-bol généralisé, peut-être parce que là-bas c’est encore plus flagrant, elles le subissent de plein fouet. Et puis, l’actrice hollywoodienne est plus pragmatique. Elle sait que le cinéma est une industrie alors qu’ici, elle se considère tout d’abord comme une artiste -même si elle fait des comédies complètement nulles avec Dany Boon. (Rires.)
Le féminisme? Pas son combat… Marion Cotillard dans De Rouille et d’os © UGC Distribuition
“Tout à coup, j’ai envie de picoler. Je bois et tout devient alors plus léger, moi y compris.” Carole Bouquet, Paris Match, 1986.
Cette citation a 30 ans. La parole est beaucup plus verrouillée de nos jours, même si ça dépend des actrices. Dès qu’elles sont un peu solides dans la profession, comme Karin Viard, elles l’ouvrent un peu plus. Mais peu de jeunes osent se lâcher. En interview, on est face à une espèce de vide, un narcissisme énorme. Certaines demandent même, comme les hommes politiques, à réécrire l’article; bref, tout ce qu’elles disent est une affaire d’État. C’est sans doute lié au fait que, désormais, elles sont aussi égéries de mode, ce qui ajoute un enjeu commercial supplémentaire. Rappelez-vous, quand Emmanuelle Béart a pris la parole pour les sans-papiers à la fin des années 90: elle s’est fait supprimer son contrat par Dior. Quand on est égérie de mode, il faut être chic à tout prix, ne jamais être triviale, il y a certains mots qu’on n’emploie pas. L’actrice-égérie est dans l’obligation de séduire. C’est presque une esclave de la beauté, de l’apparence. Pourtant, comme le dit Isabelle Huppert à juste titre, “il n’y a rien de moins séduisant que l’obligation de séduire”.
“L’idée de me payer des vacances au prix d’une Twingo, cela me paraissait totalement impossible, indécent!” Audrey Tautou, Psychologies, 2013.
L’argent n’est pas un sujet qu’on aborde facilement avec l’actrice. N’oublions pas que cette dernière est avant tout une artiste qui vit de it-bags et d’eau fraîche. (Rires.) Il y a de toute façon plein de sujets qu’on n’évoque pas, et ce de manière tacite, comme par exemple la chirurgie esthétique -ou alors à pas feutrés, en parlant des autres: on demande ce qu’elles pensent des actrices qui pratiquent la chirurgie esthétique et évidemment, même la plus refaite ou la plus botoxée répond toujours qu’elle “ne les comprend pas”. Dans ces cas-là, on regarde l’actrice et on est un peu soufflé. On devient complice de ça, c’est assez étrange.
“Emmanuelle Devos dit que les acteurs sont encore plus coquettes que les actrices.”
“Je suis évidemment locavore, même si je consomme du quinoa qui vient du Pérou.” Marion Cotillard, Madame Figaro, 2013.
Les actrices sont un peu tout à la fois. C’est aussi la faute des journalistes, surtout dans les magazines féminins, qui leur demandent d’être la femme parfaite, la mère idéale, l’écolo concernée, l’experte beauté, la consultante de mode. Elle doivent répondre à toutes les questions et finalement, dans une interview d’actrice, on parle très peu de cinéma.
“Je sais ce qu’est être une belle blonde. Quand tu entres dans une pièce, tous les regards se braquent sur toi.” JoeyStarr, Le Nouvel Observateur, 2011.
Emmanuelle Devos dit que les acteurs sont encore plus coquettes que les actrices. (Rires.) En tout cas, on leur demande moins de choses et on leur permet d’être plus singuliers. Fabrice Luchini par exemple: on se moquait de lui au début, mais maintenant, c’est devenu un personnage un peu fou, qu’on consulte comme un oracle. Idem pour JoeyStarr, à qui on pardonne beaucoup de choses. Quelques actrices sont allées sur ce terrain-là, comme Béatrice Dalle qui fait des interviews incroyables. Mais elle s’en prend quand même plein la gueule, alors qu’un homme qui affiche la même liberté, on le laissera toujours un peu plus tranquille.
“Mélanie Laurent s’en est tellement pris plein la gueule que maintenant, tout ce qu’elle fait est formidable.”
“J’ai arrêté de m’angoisser le jour où on m’a dit qu’on m’avait vue bourrée dans un bar où je n’étais pas. J’ai compris qu’il n’y avait rien à faire contre la méchanceté, la jalousie et l’aigreur.” Mélanie Laurent, Paris Match, 2011.
Quand elle a débarqué, Mélanie Laurent a surpris tout le monde. Je la trouvais assez intéressante parce qu’au moins, son ego-trip était à découvert. Il y avait un côté “happening narcissique” qui n’est pas très courant chez l’actrice française, un côté mutant hollywoodien. Elle s’est pris le backlash de plein fouet mais, finalement, ça l’a plutôt aidée: elle s’en est tellement pris plein la gueule que maintenant, tout ce qu’elle fait est formidable. Il y a désormais un consensus autour d’elle.
Kristen Stewart joue les assistantes de star dans Sils Maria © Carole Bethuel
“Je me mets dans un verger avec des pommiers, je ne vois personne et je peux faire des compotes.” Léa Seydoux, Elle, 2013.
Léa Seydoux dit aussi “même quand j’ai les cheveux longs, j’ai les cheveux courts”, une citation que j’aime beaucoup. (Rires.) Le coup des compotes, c’est le délire de l’actrice française qui passe sa vie dans les avions et sur les plateaux et qui veut faire croire qu’elle a une vie normale. Mais en même temps, il faut toujours qu’elle exagère, l’actrice française. Si elle se met à faire des compotes, elle fait 3000 pots en un week-end, si elle est amoureuse c’est forcément à couper le souffle… Enfin, c’est toujours mieux que nous de toute façon, pas la peine de chercher!
“On porte aux nues des tas de jeunes actrices en disant qu’elles sont la révélation de l’année, et il suffit qu’elles tournent un film un peu bof pour qu’on passe à autre chose.”
“Je ne suis pas dingue, je suis seule, c’est la réalité de ce métier.” Kristen Stewart, Obsession, 2015.
Être actrice, ça ne fait quand même pas du tout envie. On a d’ailleurs l’impression que le fait de jouer, ce n’est finalement qu’une toute petite parcelle de leur temps. Les actrices ont la pression d’être toujours belles. Comme le dit Isabelle Huppert, maintenant, une actrice de 18 ans qui a fait deux films a déjà sa styliste personnelle et son attachée de presse. Tout est contrôlé à l’extrême, c’est très angoissant. Et puis, il y a un turnover incroyable! On porte aux nues des tas de jeunes actrices en disant qu’elles sont la révélation de l’année, et il suffit qu’elles tournent un film un peu bof pour qu’on passe à autre chose. Beaucoup d’actrices sont bombardées dans des premiers rôles, elles portent tout le film sur leurs épaules et on s’étonne ensuite qu’elles ne tiennent pas leurs promesses dans le film suivant. On leur demande trop, tout de suite. Et puis, être célèbre aujourd’hui, c’est faire des tonnes d’interviews, répondre à des centaines de questions sur tout. C’est normal que certaines se réfugient dans le mutisme.
“C’était quand même super bizarre de voir des moulages de ta propre chatte. C’est ta chatte à toi, mais ailleurs!” Adèle Exarchopoulos, Première, 2013.
Il y a clairement une nouvelle génération beaucoup moins formatée qui essaie de la jouer un peu différement, comme Adèle Exarchopoulos, Anaïs Demoustier, Céline Salette ou Adèle Haenel. Ces filles-là s’aperçoivent du côté étouffant et un peu ringard, finalement, de l’actrice à l’ancienne qui en fait des caisses et qui fatigue tout le monde. Elles ont l’air vraiment intéressantes, mais est-ce qu’elles arriveront à changer vraiment le système?
Propos recueillis par Faustine Kopiejwski
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