Isabelle Koenig est convoquée aujourd’hui devant le Conseil de l’Ordre des Sage-Femmes pour avoir pratiqué des accouchements à domicile. On a posé quelques questions à Marie-Hélène Lahaye, auteure du blog Marie accouche-là, à propos de cette pratique.
L’accouchement à domicile n’en finit pas de créer le débat. En témoigne la convocation devant le Conseil de l’ordre des sage-femmes d’Isabelle Koenig, sage-femme depuis 35 ans. Après avoir travaillé la majeure partie de sa carrière en hôpital, elle ouvre son cabinet en libéral près de Tours, en 2014, où elle continue de suivre des femmes pendant leur grossesse et jusqu’à leur accouchement. Cependant, elle reste en lien avec le centre hospitalier de Chinon, pour les cas où le besoin de médicalisation se fait sentir. Ce vendredi 30 juin, elle est convoquée devant ses pairs pour se défendre, notamment, d’avoir “mis en danger des mères et des bébés” et de travailler sans assurance. L’une des plaintes émises contre elle par le Conseil de l’ordre d’Indre et Loire, et qui lui fait risquer la radiation, est d’avoir « tardé à transférer des patientes à la maternité » à la suite de complications.
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Au site Francetvinfo, l’une des trois mères concernées par ces complications explique toutefois qu’Isabelle Koenig est loin de l’avoir mise en danger. Elle a appelé l’ambulance quand il le fallait, mais celle-ci a mis deux heures à arriver. “Je ne lui en veux pas du tout, déclare la jeune femme. Au contraire elle m’a sauvé la vie, si elle n’avait pas accepté de me suivre, j’aurais accouché seule”. Dans une lettre ouverte au Conseil de l’ordre, des parents et professionnels réunis au sein du collectif les bébés d’Isabelle pointent l’inanité de certains des griefs imputés à Isabelle Koenig, et revendiquent le choix et la possibilité de réaliser des accouchements en dehors des structures hospitalières. Pour mieux comprendre les enjeux du débat autour de l’accouchement à domicile, nous avons posé trois questions à Marie-Hélène Lahaye, juriste et auteure du blog Marie Accouche-là.
Un thread sur le procès en sorcellerie qui se tiendra demain à l’@CNOSF contre la sage-femme Isabelle Koenig.
— Marie-Hélène Lahaye (@MHLahaye) June 29, 2017
Tu parles de procès en sorcellerie. De quoi le cas d’Isabelle Koenig est-il emblématique?
Il s’agit d’une tournure de style, bien sûr, mais aussi de renvoyer à une période historique bien précise. La chasse au sorcières, qui a eu lieu du Moyen-Age jusqu’au XVIIIème siècle, visait des femmes et des sage-femmes. C’est une référence à une période historique très misogyne, qui visait les femmes libres et autonomes. Celles qu’on appelait sorcières étaient souvent à la tête de rébellions, apportaient du soutien aux femmes, leurs proposaient de la contraception, des IVG, etc. Or dans toute l’histoire, les sage-femmes ont été visées par l’État: au XVIIe siècle, il s’attaquait déjà aux matrones, qui avaient pour mission d’aider les femmes dans la maternité. Et depuis le XIXème siècle, il existe une guerre entre les médecins et les sage-femmes. Cette lutte n’est pas récente. Il faut la dénoncer, et la dénoncer d’un point de vue féministe: celles qui sont combattues, ce sont des femmes qui offrent de l’aide à d’autres femmes. Jusqu’ici, on n’avait jamais questionné cette façon de s’en prendre aux sage-femmes. On trouve normal de voir des médecins les poursuivre, mais personne ne réfléchit à l’essence de leur métier, qui est l’accompagnement.
Comment cette lutte se traduit-elle aujourd’hui?
On demande par exemple aux sage-femmes des assurances aux sommes exorbitantes (Ndlr: jusqu’à 25 000 euros par an). L’absence d’assurance est d’ailleurs l’un des reproches faits à Isabelle Koenig. Mais ces sommes sont mirobolantes parce que l’on continue de prendre leur activité du point de vue du risque maximal. Or ces sage-femmes n’acceptent pas les grossesses à risque! Celles-ci sont suivies par des gynécologues obstétriciens. Depuis plusieurs décennies, l’État pousse toutes les femmes à accoucher à l’hôpital, cela lui permet, dans sa logique nataliste, d’exercer un véritable contrôle médical. Mais cela prive les parturientes du choix des modalités de leur accouchement. Il ne s’agit donc pas simplement du cas d’une seule femme: le procès intenté à Isabelle Koenig, c’est le symptôme d’un problème systémique.
11. Elles s’attirent toujours les foudres des médecins et de l’Etat qui, au nom d’une soi-disant protection des femmes, les entravent.
— Marie-Hélène Lahaye (@MHLahaye) June 29, 2017
Pourquoi vouloir accoucher chez soi, alors que l’accouchement à l’hôpital est généralement perçu comme un progrès?
L’idée paraît étonnante parce que la peur de l’accouchement est ancrée dans la société. Aujourd’hui, la population sait mal pourquoi les femmes mouraient en couches, et continue de penser que l’accouchement lui-même est dangereux. Or c’est faux: la plupart des blessures étaient dues à des infections, à de mauvaises conditions de vie, bien loin de la position douillette dans laquelle nous vivons dans les maisons et appartements d’aujourd’hui. Et puis, depuis le XIXème, il y a eu beaucoup d’évolutions: Pasteur a eu le temps de découvrir la théorie microbienne, les antibiotiques ont fait leur apparition, et tout cela a drastiquement réduit la mortalité maternelle. Il y a une confusion sur le pourquoi les femmes mouraient, mais c’était à cause des suites de l’accouchement, ça n’existe plus.
La médicalisation reste-t-elle nécessaire?
Bien sûr! Il y a quantité de cas où accoucher à l’hôpital est nécessaire, ne serait-ce que lorsque la femme souhaite une péridurale. Mais il faut comprendre que dans certaines situations, cette médicalisation apporte plus de problèmes qu’elle n’en résout. Il y a les cas de maltraitantes obstétricales, les dégâts liées à la surmédicalisation, à la stricte application du protocole hospitalier qui ne laisse plus forcément place à la femme qui est en train d’accoucher… Certaines d’entre elles veulent échapper à ça, parce qu’elle ont vécu des violences lors de précédents accouchements ou simplement parce qu’elles sont en bonne santé, conscientes de leur corps et des enjeux. Elles choisissent donc l’accouchement à domicile, en étant suivies par une sage-femme.
Dans quels pays accorde-t-on le plus de liberté en matière d’accouchement?
Dans énormément de pays occidentaux, on laisse la femme choisir les modalités de son accouchement. En Belgique, c’est comme en France du point de vue des chiffres, les femmes vont principalement à l’hôpital. 1 à 2% d’entre elles choisissent une autre solution, sage-femme ou maison de naissance. Mais l’accouchement à domicile est possible, il n’y a pas de répression envers les sage-femmes. Aux Pays-Bas, en revanche, c’est bien plus la norme: quelque 30% de femmes accouchent à domicile. Quant au Canada, ça fait une vingtaine d’années qu’on y constate la résurrection des sage-femmes qui accompagnent les femmes enceintes, des maisons de naissance… Bref, on y propose plus d’accompagnement pour les femmes, on leur donne le choix.
Propos recueillis par Mathilde Saliou
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