Réalisé par Rubaiyat Hossain, “Made in Bangladesh” retrace l’histoire d’un groupe d’ouvrières d’un atelier de confection à Dacca qui décident de monter un syndicat pour défendre leurs droits. Rencontre avec la réalisatrice et l’ouvrière qui lui a inspiré l’idée du fil.
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Dans une usine de textile à Dacca, quelques dizaines d’ouvrières s’affairent derrière leur machine à coudre, quand soudain, la salle s’emplit d’une épaisse fumée. Paniquées, elles s’empressent de quitter l’immeuble vétuste, mais une poignée d’entre elles perdent la vie dans l’incendie. Pour Shimu, l’une des ouvrières qui assiste au drame, l’heure de la révolte a sonné. Lorsqu’elle est approchée par une activiste d’une ONG engagée dans la défense les droits des femmes, elle comprend que la seule manière d’améliorer leurs conditions de travail -salaires dérisoires, risques d’accidents, licenciements abusifs…- est de monter un syndicat. Un projet pour le moins courageux, dans un pays où les libertés syndicales, le droit de manifester et le droit de grève sont régulièrement bafoués. Sans compter les réticences de ses collègues, effrayées par le patron qui menace de les licencier, de son mari, qui ne voit pas d’un bon œil son engagement politique, ou encore de la bureaucratie, peu habituée à voir des femmes porter des revendications…
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Librement inspiré du parcours de l’ouvrière Daliya Akhtar Dolly, qui a initié la création d’un syndicat en 2013, Made in Bangladesh dresse un portrait saisissant de femmes bien décidées à combattre les oppressions sociales et sexuelles qui pèsent sur elles. La réalisatrice bangladaise de 38 ans signe ici un film engagé, qui change à jamais la signification des étiquettes “Made in Bangladesh” ornant 60% des vêtements vendus en Europe.
Comment est née l’envie d’écrire et de réaliser ce film?
Rubaiyat Hossain: Je me suis toujours intéressée à la manière dont les femmes négocient leur espace dans la société, et les ouvrières du textile se sont imposées comme un choix évident. En faisant des recherches, je me suis rendu compte qu’elles étaient souvent présentées comme des victimes. Or celles que j’ai rencontrées étaient au contraire très courageuses et “badass”. Avant de travailler avec Daliya, j’ai discuté avec de nombreuses autres ouvrières remarquables. La seule différence avec elle, c’est qu’elle a immédiatement accepté de participer au film lorsque je lui ai proposé. Elle a rejoint l’équipe en 2016 et nous a aidé·e·s à le rendre le plus authentique possible.
Peux-tu nous en dire un peu plus sur ton parcours, Daliya? Comment as-tu vu évoluer les conditions de travail des ouvrières ces dernières années?
Daliya Akhtar Dolly: À la suite de l’accident en 2013 [du Rana Plaza, qui a coûté la vie à plus de 1130 ouvrier.es du textile, NDLR], les travailleur·se·s ont pris conscience qu’il·elle·s avaient des droits. Des mesures de sécurité ont été prises dans les usines, mais beaucoup d’entre elles ont dû fermer car elles n’avaient pas les fonds suffisants pour respecter les nouvelles normes. Dans celle où je travaillais, 2500 personnes se sont retrouvées sans emploi. Comme beaucoup d’autres ouvrier·e·s, je suis donc partie travailler à l’étranger, et j’ai passé dix mois en Jordanie. Ce qui m’énervait le plus était de voir que les ouvrières bangladaises avaient moins de droits et étaient moins payées que les ouvrières jordaniennes. Il y a un trafic de main-d’œuvre bon marché, si bien que même si votre t-shirt comporte une étiquette “fabriqué en Jordanie”, il peut avoir été cousu par une Bangladaise! Aujourd’hui, j’aimerais travailler pour une ONG qui défend les droits des ouvrier·e·s, y compris ceux qui sont installés hors de leur pays.
La création d’un syndicat est-elle réellement la garantie de faire valoir ses droits?
D.A.D: Deux ou trois mois après avoir enregistré notre syndicat, nous avons commencé à soumettre nos demandes: congés payés, prime de fin d’année, crèche pour les enfants, congés maladie et maternité, prévention en matière de harcèlement sexuel… Ils ont pris un certain temps avant de les accepter et de les prendre en compte, mais ils ont bien été obligés de le faire! La situation s’améliore, mais seules 3,8% des usines sont syndiquées aujourd’hui.
Qu’en est-il de la condition des femmes dans la sphère domestique? Shimu a une réplique frappante: “Nous sommes des femmes. Fichues si on est mariées, fichues si on ne l’est pas.”
R. H.: Ce sont les mots que Daliya a prononcés lorsque nous nous sommes vues la première fois. J’ai trouvé qu’elle avait une analyse féministe de la condition féminine, qui malgré le fait que le pays sont dirigé par une première ministre, ne s’est pas beaucoup améliorée. Elles sont nombreuses à travailler, mais on attend toujours d’elles qu’elles cuisinent et s’occupent des enfants. Quand le mari fait à manger, ça vaut un post sur Facebook! La pression qui pèse sur elles est énorme: avoir une carrière, être une super maman, se faire belle… Cela vaut pour toutes les femmes, pas seulement les ouvrières.
Le mari de Shimu ne travaille pas, si bien qu’elle doit subvenir à l’intégralité de leurs besoins. Cette situation est-elle fréquente?
R. H.: Absolument. Souvent, les maris attendent même devant l’usine le jour de paie, et dès que les femmes arrivent, ils prennent l’argent. Cette forme d’exploitation est souvent acceptée au nom de l’amour. Lorsque les hommes n’ont pas de travail, ils ont le sentiment que leur virilité est menacée, donc ils essaient de compenser en contrôlant leur épouse d’une autre manière. Le mari de Shimu la force par exemple à porter le hijab, lui ordonne d’arrêter de travailler…
D. A. D.: Sur le plan financier, mon mari était complètement dépendant de moi. Je couvrais aussi les frais pour sa mère et ses sœurs. Parfois, il travaillait un peu, mais l’argent qu’il gagnait, il en faisait mauvais usage et le gardait pour lui.
La société semble leur imposer des injonctions paradoxales: d’un côté, les clips à la télévision véhiculent une image hypersexualisée du corps féminin, et de l’autre, Shimu est contrainte par son mari de porter le hijab…
R. H.: Pour moi, mettre un hijab sur la tête d’une femme ou l’objectifier à travers la nudité, c’est problématique de la même manière. Dans les deux cas, cela revient à utiliser le corps féminin pour défendre une idéologie politique. Ce sont deux spectres opposés, mais je situerais Shimu au milieu. Elle respecte sa religion sans pour autant ressentir le besoin de porter le hijab. Dans le film, on la voit aussi bien danser que prier.
En salles le 4 décembre.
Lien de la bande-annonce: https://www.youtube.com/watch?v=XZyJxY2OZLI&feature=youtu.be
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