Si vous êtes perdu·e·s dans les sorties BD, pas de panique. Nous avons sélectionné sept romans graphiques 100% Cheek à dévorer.
Longtemps mises de côté dans un genre trusté par les figures masculines, les autrices débarquent en force en cette rentrée BD avec des œuvres aussi différentes que passionnantes. On les retrouve dans tous les styles: autobiographies intimes, reportages, comics féministes ou romances poétiques. Pour vous aiguiller parmi cette foule de nouvelles sorties, on a sélectionné sept lectures immanquables signées par des femmes.
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Moi ce que j’aime, c’est les monstres, d’Emil Ferris
Ça raconte quoi: Karen est une jeune fille fascinée par les films d’horreur et les monstres. Dans son cahier à spirales, elle raconte son quotidien fantasmagorique où elle mêle l’histoire de sa famille, sa vie difficile à l’école, l’enquête qu’elle mène sur le meurtre de sa voisine et ses visites au musée.
Pourquoi on la lit: Difficile de résumer la bande dessinée fleuve d’Emil Ferris, qui éblouit autant par son trait virtuose au stylo bille que par son histoire d’une grande richesse. L’imaginaire de Karen, construit au travers des films et des tableaux, permet à Emil Ferris de tisser un récit d’initiation sur l’identité, sur l’éveil à la sexualité et sur l’homosexualité. En s’imaginant en monstre, Karen invente un nouveau genre, une nouvelle manière de se positionner auprès de sa famille et de ses camarades de classe. Lorsqu’elle se plonge dans l’histoire de sa voisine, assassinée au début de l’histoire, elle dresse aussi un portrait fascinant du parcours d’une femme juive pendant la guerre. Quand on referme ce premier tome, on se demande comment 48 éditeurs américains ont pu passer à côté de ce chef-d’œuvre. Et on se sent encore plus chanceux de savoir qu’il a pu finir entre nos mains.
Moi ce que j’aime, c’est les monstres (Monsieur Toussaint Louverture) traduit par Jean-Charles Khalifa.
Moi en double, de Navie et Audrey Lainé
Ça raconte quoi: Dans cette BD très autobiographique, Navie raconte son rapport à son corps, son trouble du comportement alimentaire, sa perte de poids et ce que cette dernière a engendré en elle.
Pourquoi on la lit: Parce qu’il est rare de lire un témoignage aussi sincère et vrai sur le rapport qu’une femme peut entretenir à son corps. En racontant son obésité et sa perte de poids, Navie décortique les nombreux aspects de sa vie qui ont été conditionnés par son corps: ses amours, son rapport au sexe et à la féminité, même sa manière de devoir être joyeuse et affable pour compenser son manque de confiance en elle. En creux, elle parle de la grossophobie, des injonctions de la société et de la place de l’image que l’on renvoie à l’heure des réseaux sociaux. Elle raconte aussi le traumatisme qu’elle a subi après son abdominoplastie (chirurgie de l’abdomen). Portée par le trait léger et poétique d’Audrey Lainé, Navie ne recule devant aucune des difficultés de son sujet et le résultat est dur mais aussi profondément honnête et sincère. Un parcours de vie dans tout ce qu’il peut avoir de complexe et contradictoire, qui devrait aider plus d’une femme à tracer son propre chemin.
Moi en double (Delcourt).
Camel Joe, de Claire Duplan
Ça raconte quoi: Constance est illustratrice. Pendant son temps libre, elle imagine les aventures de Camel Joe, une superhéroïne “défenseuse de zouz et niqueuse de patriarcat” qui arpente les rues avec son legging panthère. Constance va se servir de ses propres écrits pour s’encourager à reprendre le contrôle de sa vie.
Pourquoi on la lit: Camel Joe coche toutes les cases du bingo féministe. Claire Duplan y parle du mouvement #metoo, d’orgasme féminin, de harcèlement de rue… Dit comme ça, le programme semble un peu dur à encaisser. Sauf que Camel Joe réussit à traiter tous ces sujets avec un humour irrésistible et un trait punk qui donnent envie de dévorer sa BD d’un trait. À travers l’histoire de son illustratrice freelance, qui s’énerve sur ses boulots foireux, Claire Duplan nous explique la nécessité d’avoir des héroïnes féministes. En dessinant les aventures de Camel Joe, son personnage réussit à s’affranchir de ce que l’on attend d’elle, à réclamer un orgasme à son mec et à arroser ses plantes avec du sang menstruel. Si on ajoute à ça que Pénélope Bagieu en a signé la préface, il ne reste vraiment plus aucune raison pour ne pas ruer sur cet hilarant récit d’initiation féministe.
Camel Joe (Rue de l’Échiquier).
Prendre refuge, de Mathias Enard et Zeina Abirached
Ça raconte quoi: Prendre refuge raconte deux histoires d’amour. L’une se déroule de nos jours et a pour protagonistes un allemand et une syrienne qui a du mal à s’adapter à la vie berlinoise. L’autre a pour cadre l’Afghanistan de 1939 et décrit l’idylle entre une archéologue et une aventurière à la découverte des Bouddhas de Bâmiyân.
Pourquoi on la lit: Lorsque le prix Goncourt Mathias Énard (Boussole) et l’illustratrice franco-libanaise Zeina Abirached (Le Piano oriental) s’associent, cela donne un récit d’une grande poésie sur les liens entre Orient et Occident. Ils racontent la difficulté de quitter un pays, le déracinement mais aussi les premiers instants de l’amour entre deux femmes et la beauté d’apprendre à parler la langue maternelle de la personne que l’on aime. Zeina Abirached arrive parfaitement à capturer les moments d’euphorie et ceux de désespoir, et elle dessine comme personne la richesse du monde intérieur de ses personnages. Au fil des pages, Prendre refuge prend un tournant mélancolique qui donne encore plus de profondeur à ces deux histoires individuelles. Aussi poétique qu’actuel.
Prendre refuge (Casterman).
Les Grands espaces, de Catherine Meurisse
Ça raconte quoi: Dans ce récit autobiographique, l’autrice de bande dessinée Catherine Meurisse revient sur son enfance passée à la campagne dans une ferme retapée par ses parents.
Pourquoi on la lit: Dans les premières pages des Grands espaces, Catherine Meurisse dessine le rêve de beaucoup de parisiens. Elle imagine une porte cachée dans son appartement qui la mènerait directement au cœur de la campagne. Elle déroule ensuite le fil de son enfance entre deux parents fous de nature et passionnés par l’entretien de leur jardin. On y retrouve les deux aspects irrésistible du travail de Catherine Meurisse: son humour, étalé sur une planche ou dissimulé dans une case et son trait qui oscille entre la BD franco-belge et la virtuosité d’une peintre. Les Grands Espaces est à la fois un cri d’amour à la nature, porte d’entrée vers la passion de l’art et de la littérature; et un regard lucide et mélancolique sur l’industrialisation de l’agriculture française.
Les Grands espaces (Dargaud). En librairies le 21 septembre.
Après le Printemps, d’Hélène Aldeguer
Ça raconte quoi: Hélène Aldeguer retrace le quotidien de quelques personnages dans la Tunisie deux ans après la Révolution de Jasmin.
Pourquoi on la lit: Avec Après le Printemps, Hélène Aldeguer donne la voix à des personnages qui gèrent tous leur quotidien de manière différente: certains veulent quitter le pays, d’autres s’engager dans l’armée… Sur le mode du reportage et avec un style épuré, l’autrice de 25 ans raconte avec beaucoup de sensibilité la confusion politique et la déception qui ont plombé toute une jeunesse coupée dans son élan révolutionnaire. Elle décrypte aussi la place des femmes dans la vie quotidienne et dans l’engagement politique. Après le Printemps met un visage sur le destin de ceux qui ont vécu cette révolution en première ligne.
Après le printemps (Futuropolis).
Quand j’avais ton âge, de Katja Klengel
Ça raconte quoi: Lili est une jeune chanteuse qui vient de lâcher ses études et qui doute de sa relation amoureuse. Elle va se rapprocher de sa grand-mère Rosalie qui, des années après la mort de son mari, n’arrive toujours pas à faire son deuil.
Pourquoi on la lit: L’illustratrice allemande Katja Klengel, qui tient la chronique Girsplaining sur Broadly, tisse une histoire émouvante autour de deux générations de femmes. Il ne s’agit pas d’un récit de transmission, où la grand-mère apprendrait tout à sa petite-fille, mais plutôt de l’histoire d’un échange où l’une et l’autre grandissent simultanément. Elles apprennent chacune à se reconstruire en écoutant les déceptions et les joies de l’autre. Un joli récit initiatique sur la solidarité entre femmes, qui montre qu’il n’est jamais trop tard pour apprendre de l’expérience des autres.
Quand j’avais ton âge (Casterman), traduit de l’allemand par Julien Lapeyre de Cabanes.
Pauline Le Gall
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