Avec ce très beau documentaire intitulé 28 Jours, trois jeunes journalistes ont voulu faire tomber le tabou autour des règles, avec pédagogie, humour et intelligence.
“C’est pas l’histoire d’un malheur, c’est l’histoire d’un pouvoir qu’on peut reconquérir.” Si l’on ne devait retenir qu’une seule phrase dans ce documentaire sur les règles intitulé 28 Jours, ce serait sans aucun doute celle-ci, prononcée par la journaliste et autrice Élise Thiébaut. C’est exactement ce qu’ont voulu montrer Angèle Marrey, Justine Courtot et Myriam Attia, trois jeunes journalistes de 22 ans, en réalisant cet excellent film de 31 minutes disponible gratuitement sur YouTube. On vous avait parlé de la bande-annonce il y a quelques jours, on a désormais vu le documentaire dans son intégralité, on vous le conseille fortement et on a posé quelques questions à celles qui en sont à l’initiative.
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Qu’est-ce qui vous amenées à vous intéresser aux règles?
Justine Courtot: On travaillait toutes les trois chez Twenty lorsque nous avons reçu le livre Sang tabou de Camille Emmanuelle ainsi que celui de Jack Parker sur les règles. En les lisant, on s’est rendu compte qu’il y avait encore beaucoup de questions autour du sujet. Lors d’une conférence de rédaction, un journaliste de 20 ans nous a même demandé si c’était tous les mois! On est sûres que ce n’est pas le seul à être dans l’ignorance! Mon compagnon avait l’air aussi de ne rien connaître aux règles. Du coup, on s’est dit qu’il fallait qu’on fasse quelque chose. L’idée du documentaire est venue de cette façon.
Angèle Marrey: On avait particulièrement envie de faire tomber le tabou autour des règles. Au fur et à mesure de notre enquête, on se rendait compte que les gens étaient intéressés par le sujet et qu’ils avaient envie de prendre la parole dessus. Il y avait beaucoup de questionnements, aussi bien de la part des femmes -beaucoup ne savaient pas ce qu’était l’endomètre- que des hommes. On a d’ailleurs fait évoluer le documentaire au fil des interviews pour coller au plus près de leurs préoccupations.
Le documentaire 28 Jours est en libre accès sur YouTube
Vous expliquez le fonctionnement biologique des menstruations, pourquoi aviez-vous envie d’aborder le sujet de façon pédagogique?
A.M.: Plein de personnes ne savent pas ce qu’il se passe durant les menstruations, au niveau des hormones et de notre système intérieur, c’était obligatoire d’avoir une approche pédagogique. Il fallait aborder le sujet de façon simple et ludique pour que les spectateurs et spectatrices veuillent en savoir davantage et, surtout, comprennent comment ça fonctionne. En ce qui concerne les femmes, si elles ont une meilleure compréhension de leurs cycles, de leurs douleurs et de ce qui se passe à l’intérieur de leur corps, ça leur permet de mieux appréhender leurs règles.
Quels sont les idées reçues les plus courantes sur les règles?
A.M.: Il y en a tellement! Il y a encore beaucoup de mythes autour du sang des règles; dans certains pays, on dit qu’il faut bien emballer les protections hygiéniques avant de les mettre à la poubelle, sinon les mauvais esprits vont venir hanter la maison… Et derrière tout ça, il y a toujours cette idée que le sang des menstruations est sale…
J.C.: Peut-être le cliché selon lequel une femme qui a ses règles ne peut pas faire monter la mayonnaise… Et aussi, le fait qu’on ne peut pas avoir de rapports sexuels pendant cette période.
A.M.: Oui, on s’est rendu compte que pas mal d’hommes pensaient que ce n’était pas possible, comme s’il y avait une espèce de couche qui se formait et qui ne permettait plus de faire rentrer le pénis dans le vagin, comme si c’était mécaniquement impossible!
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Comment expliquez-vous le tabou des rapports sexuels durant les règles?
A.M.: Je pense que ça vient notamment des religions. Le coït pour le plaisir, ce n’était pas imaginable, puisqu’il avait pour but la procréation. Il n’était donc pas possible d’inciter les femmes à faire l’amour durant leurs règles puisqu’à ce moment-là, elles ne peuvent pas tomber enceinte. On a mis la honte sur leurs menstruations et une certaine culpabilité aussi. Même encore aujourd’hui, il est difficile de voir et de parler du sang menstruel.
Vous abordez également la question de l’orgasme pour atténuer les douleurs pendant les règles, on en parle encore très peu, comment l’expliquez-vous?
A.M.: Ici, il y a plusieurs tabous qui entrent en jeu, celui de la douleur et celui du plaisir féminin de l’orgasme. Il est prouvé qu’avoir un orgasme pendant les menstruations permettrait de relâcher l’espace entre l’utérus et le vagin, et de soulager les femmes. Ça stimulerait aussi la circulation du sang, ça permet de le fluidifier. Malheureusement, on est encore dans l’idée que les femmes doivent “subir” leurs règles, qu’elles ne peuvent pas les “valoriser”.
J.C.: Parler de la masturbation féminine est encore tabou. Pourtant, le fait de se masturber permet de libérer des endorphines et donc de soulager la douleur. On espère pouvoir être les porte-parole de la masturbation pendant les règles!
Le coût des règles reste rarement abordé, de votre côté, vous avez décidé de calculer le coût moyen des règles pour une femme en France…
J.C.: En moyenne, c’est 3 smics sur une vie.
Vous évoquez aussi le flux instinctif libre, une méthode encore méconnue par les femmes…
J.C.: Pas tant que ça finalement, on a fait un sondage sur notre compte Instagram il y a deux semaines et sur 600 personnes, 65% ont répondu qu’elles pratiquaient le flux instinctif libre. On a l’impression que beaucoup de femmes le faisaient sans savoir que cette méthode avait un nom. C’est bien de pouvoir mettre un mot dessus, car c’est plus facile d’en parler à ses amies.
A.M.: J’ai essayé de le faire pour la première fois il n’y a pas si longtemps, et je me suis rendu compte qu’on le faisait toutes plus ou moins instinctivement le premier jour de nos règles. Ça arrive rarement qu’elles débarquent comme ça, c’est comme si notre cerveau était fait pour savoir qu’on allait avoir nos règles. La réussite de cette pratique dépend bien évidemment du flux de chacune, des douleurs. On sait bien contracter instinctivement notre vessie la nuit, c’est pareil avec le périnée. Et bien sûr, on n’en parle pas car la société n’a pas intérêt à ce que l’on se passe de protections hygiéniques, c’est un business énorme.
J.C.: Le fait que de moins en moins de femmes mettent des tampons, et qu’elles reviennent aux serviettes hygiéniques, leur permet de voir que leur flux n’est pas continu, que le sang ne coule pas tout le temps. C’est une façon de se réapproprier son corps.
Propos recueillis par Julia Tissier
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