Depuis 2006, la militante Zanele Muholi a entrepris un travail d’archive photographique dans lequel elle immortalise des personnes LGBTI noires. Objectif : « sensibiliser » et « éduquer ». A l’occasion de sa présence dans l’exposition « Sharp Sharp Johannesburg » à la Gaîté Lyrique, nous l’avons rencontrée.
N’appelez pas ses photographies des « œuvres d’art ». Zanele Muholi se définit comme « militante visuelle » et non comme une artiste. Ses travaux, principalement conduits en Afrique du Sud où elle est née il y a 41 ans, cherchent à montrer, plus qu’à expliquer. Elle montre des personnes LGBTI (Lesbienne, Gay, Bi, Trans et Intersexuel), en Afrique du Sud surtout, mais aussi en Ouganda ou au Malawi.Sa réflexion est simple : Je suis une lesbienne noire, explique-t-elle d’une voix forte et assurée. Mon point de départ, c’est de créer une récit visuel des personnes de la communauté à laquelle j’appartiens.”
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Aussi la plupart de ses sujets ne sont autres que ses proches, des jeunes femmes qui ont accueilli le projet de Zanele Muholi à bras ouverts.
« Les individus de mon projet sont soit des amis, soit des ex, soit des personnes que j’ai rencontrées à travers des connaissances. Je suis très proche de la majorité des gens avec qui j’ai travaillé, ce qui rend notre collaboration très facile. Ce ne sont pas des modèles, je ne leur demande pas juste de poser. Généralement je leur déclare mes intentions et leur explique l’importance de documenter l’histoire des LGBT en Afrique du Sud, et l’importance de leur contribution. »
Un « travail d’archive« , voilà ce que cette militante visuelle essaie de créer, petit à petit, photos par photos. Intitulé « Faces and Phases », son plus gros projet de portraits de LGBTI noirs à travers le monde est en cours depuis 2006. Le but : apporter de la visibilité concrète aux personnes non hétérosexuelles en leur tirant le portrait de manière brute et efficace. « Chaque personne a sa propre vie, ses propres rêves, ses propres buts à atteindre. Je photographie des êtres humains, je me mets à leur place« , souligne-t-elle. Elle prévoit même d’écrire un livre sur les « histoires de vie » de ceux, et surtout de celles, qu’elle considère comme ses ami-e-s.
Zanele Muholi à la Gaîté Lyrique
Une trentaine de ses dernières photographies en date, prises en 2013, ont été sélectionnées pour figurer dans la grande exposition Sharp Sharp Johannesburg (« Tout Roule, Johannesburg ») organisée par la Gaîté Lyrique du 12 octobre au 8 novembre. L’ambitieux projet de ce centre de culture numérique est de s’intéresser à la capitale de l’Afrique du Sud, ce « puzzle anarchique et mouvant » selon la conseillère artistique Jos Auzende, à travers des documentaires, des concerts, des photos ou encore des revues d’artistes sud-africains.
Zanele Muholi y est invitée du 2 au 8 novembre, aussi bien à travers son travail d’archive photographique (les séries de photo « Faces and Phases » et « Beulah » ont été sélectionnées) qu’avec son documentaire Difficult Love (2010). Ce dernier a été commandé par la chaîne publique de télévision sud-africaine SABC qui appartient au gouvernement sud-africain.
Diffusé en Afrique du Sud mais aussi aux Etats-Unis, en Espagne, en Suède, et en Italie, le documentaire s’ouvre sur la controverse qui avait secoué Zanele Muholi en août 2009. La ministre sud-africaine de la Culture et des Arts Lulu Xingwana s’était à l’époque indignée après avoir vu des photographies de la militante dans une exposition, considérant son travail comme « immoral, offensant et allant à l’encontre de la construction d’une nation« . Un discours contre lequel Zanele Muholi se bat dans son documentaire, insistant sur la difficulté de vivre en Afrique du Sud en étant une personne LGBTI.
Un travail de sensibilisation et d’éducation
La militante visuelle met en particulier l’accent sur les crimes de haine envers les lesbiennes, ou les « viols correctifs » perpétrés par des hommes à leur encontre dans le but de les faire prétendument « changer d’orientation sexuelle ». Ce terme a été utilisé à partir des années 2000 pour parler des viols commis en Afrique du Sud envers les lesbiennes, notamment contre Eudy Simelane, membre de l’équipe de football féminin d’Afrique du Sud, violée puis assassinée en 2008. Zanele Muholi n’essaie pas d’être modeste, et elle n’en a pas besoin. Les personnes qu’elle capture, avec sa caméra ou son appareil photo, sont « des gens qui n’étaient, jusque-à, pas documentés« , insiste-t-elle. “C’est une manière d’éduquer les gens. Il y a 50 millions de personnes en Afrique du Sud, il y a encore un grand besoin d’éducation, notamment concernant la Constitution.”
« Il y a tant de choses qui changent »
L’Afrique du Sud est encore une jeune démocratie : sa nouvelle Constitution date de 1996 alors que les dernières loi de l’apartheid ont été abolies en juin 1991. Depuis 2006, le mariage homosexuel y est autorisé. Une avancée dont Zanele Muholi ne minimise pas l’importance :
« On est protégés par des mots sur un document. On a le droit, l’opportunité d’aimer publiquement. Il y a tant de choses qui changent. Les gens se sont mariés et ils continuent à se marier, c’est important. La reconnaissance commence par respecter les droits de l’autre, et insister sur ce respect en tant que citoyens d’Afrique du Sud.
Même si les choses changent, il reste encore un long chemin à parcourir. En avril 2012, l’appartement sud-africain de Zanele Muholi a été cambriolé, mais les voleurs n’ont emporté que son ordinateur et ses disques durs externes (une vingtaine) sur lesquels elle gardait cinq années de photos et de vidéos. Un acte qui laisse à penser que c’est bien le travail de la militante qui était visé. Loin de se laisser abattre, Zanele Muholi multiplie les projets et les voyages pour exposer et parler de ses travaux. Elle sera d’ailleurs présente le 2 novembre prochain à 14 h 30 à la Gaîté Lyrique pour discuter de l’émancipation des LGBTI en Afrique du Sud.
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