Pourquoi la nouvelle collaboration de l’artiste Yayoi Kusama avec Louis Vuitton, lancée le 5 janvier, dérange-t-elle aujourd’hui autant le monde de l’art ?
La Japonaise Yayoi Kusama est l’artiste d’une unique obsession, celle des pois colorés apposés par accumulation. D’ailleurs, sa légende dorée y répond : victime dès l’âge de 10 ans d’hallucinations, elle a choisi, depuis 1977, de vivre dans un hôpital psychiatrique au Japon, retirée dans une quiétude quasi monacale lui permettant de s’adonner à son art. On le sait moins, sa carrière décolle au tout début des années 1960 : arrivée à New York en 1957, elle ne tarde pas à être adoubée par Andy Warhol. En écho aux préceptes du pop art, ou sa branche européenne Fluxus, elle lie l’art et la vie, prolongeant une idée des avant-gardes qui embrasse la société de consommation naissante – il faut sortir du musée, toucher tout un public de masse, s’insérer dans les circuits de la grande distribution.
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Alors, pourquoi la nouvelle collaboration de l’artiste avec Louis Vuitton, lancée le 5 janvier, dérange-t-elle aujourd’hui autant le monde de l’art ? Après tout, les produits dérivés, elle en a fait une partie intégrante de son œuvre, la stratégie de l’infiltration, également. La précédente collaboration avec la maison, en 2012, n’avait pas fait de vagues. Ce contrecoup est porteur de sens : l’esprit de l’époque a changé.
Dès lors que l’infiltration du monde de l’art par le capitalisme est parvenue à sa phase ultime, l’opération est reçue comme relevant d’un cynisme total. Certain·es évoquent la “Disneyfication” de son œuvre, mais les mécanismes d’appropriation et de réappropriation semblent plus complexes : le jeu dangereux des artistes des avant-gardes, le flirt nihiliste avec les industries de masse, aurait simplement trop bien réussi.
Plus largement cependant, le constat concerne avant tout le peu de marge de manœuvre d’un secteur muséal public exsangue, qui n’est pas uniquement doublé par les fondations privées, mais forcé de leur emboîter le pas pour survivre. Après tout, à l’ère du tourisme culturel, quel musée public ne possède pas sa Infinity Mirror Room de Kusama, selfie-spot par excellence, niché entre le café gourmet et la boutique de souvenirs ?
Édito initialement paru dans la newsletter art du 10 janvier. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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