L’exposition retrace le combat des artistes femmes contre l’enfermement domestique. Entre émancipation et réappropriation d’un lieu à soi.
Outre les violences physiques et le harcèlement dont elles furent – et demeurent – parfois l’objet, leur assignation à l’espace domestique fut l’un des motifs essentiels des révoltes des femmes au début des années 1970. Au cœur de ces combats plaçant la cuisine au centre de l’espace politique, le rôle des artistes femmes fut déterminant. Autant qu’elles documentèrent la réalité d’une imposition, elles déjouèrent ses pièges, pour en faire le nerf d’une créativité (plutôt que d’une guerre).
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Dès 1972, deux artistes féministes, Miriam Schapiro et Judy Chicago, proposèrent à vingt-cinq artistes femmes de s’installer plusieurs jours dans une maison pour réaliser des performances visant à déconstruire et dénaturaliser les codes de la domestication forcée.
La maison comme symbole de l‘enfermemement
C’est à cette installation séminale, documentée par un film de Johanna Demetrakas projeté en début de parcours, que renvoie explicitement Women House, l’exposition du même nom de Camille Morineau et Lucia Pesapane à la Monnaie de Paris (réouverte après six ans de travaux et rebaptisée par son nouveau président, Aurélien Rousseau, le 11 Conti-Monnaie de Paris).
Tout en restant parfois aux marges de l’histoire de l’art académique, encore marquée par le poids de la domination masculine, les artistes femmes ont eu le temps depuis 1972 de s’affirmer, d’occuper une place dans le champ créatif et de troubler les regards sur les attributs et fonctions supposées des femmes dans la société.
Le parcours de l’exposition, structurée en huit chapitres, dévoile ainsi des images et des sculptures qui font de la maison – bien plus que le réceptacle de gestes automatisés, d’angoisse ou de colère – l’antre d’un imaginaire rétif aux injonctions de la tradition patriarcale (aucune trace des hommes ici), aux formes incontrôlables.
Certes, la maison est d’abord un symbole de l’enfermement physique et psychologique, comme dans les œuvres saisissantes de l’artiste autrichienne Birgit Jürgenssen, de la Portugaise Helena Almeida, ou des Américaines Cindy Sherman et Martha Rosler, qui interrogent par le photomontage les relations de pouvoir et de domination au sein du foyer.
Mais la maison se transforme aussi, au fil du parcours, en lieu de libération et de réinvention de soi, tel un refuge intime indexé à un imaginaire révolté, fantasque ou poétique.
Une cuisine pour elles, Une chambre à soi
Cette manière de faire d’une servitude involontaire une conquête émancipatoire se raccroche inconsciemment au texte manifeste Une chambre à soi (1929) dans lequel Virginia Woolf écrivait : “Car les femmes sont restées assises à l’intérieur de leurs maisons pendant des millions d’années, si bien qu’à présent les murs mêmes sont imprégnés de leur force créatrice.”
Longtemps dévorées par le foyer, à la manière de desperate housewives, réduites à l’espace de la cuisine ou absorbées corporellement par les murs eux-mêmes comme chez la photographe Francesca Woodman dans les années 1970, les artistes d’aujourd’hui élargissent les frontières de l’ordre domestique, par la mobilité (Andrea Zittel avec son magnifique mobil-home), par l’esthétique de la cabane (les bâtiments en feutre de Laure Tixier).
Entre la femme libérée et la femme-maison, notion définie dans les années 1960 par Louise Bourgeois et Niki de Saint Phalle (deux figures fondatrices), et réactivée aujourd’hui par une artiste comme Laurie Simmons, Women House mène de rites en rêves sans vouloir imposer une lecture univoque et fixiste de la vie domestique.
Ouverte à de nombreuses propositions, à divers médiums, l’exposition, vive et surprenante, traverse l’histoire de l’art des quarante dernières années pour mesurer, autant que les transformations politiques de la condition féminine, l’audace longtemps occultée des artistes femmes embarquées dans l’expression de leurs propres désespoirs et de leurs élans irrépressibles.
Women House Jusqu’au 28 janvier 2018, 11 Conti-Monnaie de Paris, Paris Vie
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