Le chorégraphe américain William Forsythe retrouve le plaisir du ballet au Palais Garnier, sur un air de James Blake. Sensation.
Depuis la dissolution de The Forsythe Company l’année dernière, son créateur et chorégraphe n’a pas vraiment mis le pied sur le frein. William Forsythe a ainsi repris le chemin de l’école, en Californie. “A l’USC (University of Southern California – ndlr), une faculté privée, on m’a demandé de développer une idée. Pas simplement d’enseigner du Forsythe”, s’amuse notre homme.
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Résultat, “c’est le seul conservatoire aux Etats-Unis où le hip-hop côtoie l’improvisation ou le contemporain”. Dans les discussions avec le créateur le plus influent de son temps revient toujours ce désir de “transférer les connaissances. Prenez le Ballet de l’Opéra de Paris : j’ai commencé à travailler avec ses danseurs en 1983, je suis un des chorégraphes qui a la plus longue histoire avec cette troupe”.
« Un plaisir de tous les instants »
Rudolf Noureev, alors à la tête du ballet parisien, sera parmi les premiers à remarquer ce talent installé en Allemagne, le faisant venir à Garnier. Benjamin Millepied l’a convaincu de revenir pour une première mondiale tout en supervisant la direction de l’académie de chorégraphie initiée sur place.
“Refaire un ballet pour cette troupe vingt ans après Pas/Parts, je ne savais même pas si j’en étais capable. Lorsque je me suis retrouvé en studio avec ces danseurs de différentes générations, cela a désinhibé ma créativité. Partager avec eux aura été un plaisir de tous les instants. Il y a vraiment une nouvelle mentalité depuis quelque temps à l’Opéra. J’ai vu si souvent des danseurs se causer des problèmes à eux-mêmes.”
Forsythe a choisi des interprètes dans tous les grades de la maison, de l’étoile au corps de ballet
Forsythe, à qui on ne refuse rien, a choisi des interprètes dans tous les grades de la maison, de l’étoile au corps de ballet. Le programme, articulé autour d’une création mondiale, Blake Works I, verra également une nouvelle version d’Approximate Sonata et l’entrée au répertoire de Of Any If And – créée par le Ballet de Francfort en 1995.
Pour évoquer sa nouvelle pièce, William Forsythe a cette formule imparable : “Elle est dédiée à tous nos ‘professeurs’ – de Marius Petipa à George Balanchine ou Gilbert Mayer. Cette histoire qui nous a faits. Nous partageons tous quelque chose de leur pratique.” Plus surprenant pour Bill, “ce ballet est à propos de l’amour du… ballet”, avoue-t-il, avant d’asséner : “Une communauté s’est dessinée cette saison à Paris. Ce qui s’y passait était bien mieux qu’à New York.”
« Une telle puissance créatrice chez James »
William Forsythe dit cela en sachant paradoxalement que cette parenthèse enchantée risque de se refermer rapidement avec le départ de Millepied, dont il aura été un des plus fervents supporteurs. En guise de cadeau (d’adieu), Forsythe s’offre pour Blake Works I le talentueux compositeur anglais James Blake.
“Il y a une telle puissance créatrice chez lui, une telle vision, avec des bases classiques. Ses harmonies, ses contrepoints, sa complexité. Et en même temps il est définitivement contemporain. Le répétiteur à l’Opéra, qui ne connaissait pas sa musique, m’a dit, après une première écoute : ‘Il est si doué’.”
Ce sont des solistes de Forsythe qui lui ont fait découvrir le prodige british. L’alchimie entre les deux a été presque évidente. “Je pensais mettre d’autres musiques en plus de ses compositions inédites et James m’a dit : ‘Attends, j’ai encore d’autres choses.’ Le ballet avait trouvé sa partition complète.”
Des ballets phare du XXe siècle
Ce qui lui a plu chez Blake, c’est peut-être aussi une certaine retenue – qui ne l’a pas empêché d’écrire pour le dernier album de Beyoncé. “Se confronter au public n’est jamais facile. D’un seul coup, vous n’êtes plus protégé.”
Quelques décennies séparent les deux personnalités, qui ont en commun leur précocité. Né en 1949, Bill Forsythe aura ainsi quitté New York pour l’Europe, repéré dès les années 1970 par le Ballet de Stuttgart. En 1984, il est nommé à la tête du Ballet de Francfort, qu’il va faire peu à peu basculer dans une modernité éblouissante.
Les édiles locaux espéraient un maître de ballet capable de monter Le Lac des cygnes. Ils hériteront d’un démiurge qui signe quelques ballets phare du XXe siècle, comme Impressing the Czar. L’effet Forsythe marquera toute une génération. Replié sur The Forsythe Company, l’Américain la transforme en laboratoire de formes. Il n’a jamais repoussé la danse académique, qu’il dompte à sa façon, intransigeante. Pour Forsythe, revenir au ballet avec une institution comme l’Opéra de Paris, c’est “un peu comme retrouver quelqu’un que tu as aimé. Il y a une langue perdue qui existait auparavant entre vous. Est-elle encore là ? La spécificité du ballet me parle encore.”
D’autres terrains de jeu
Et l’avenir ? “Dans trois ans, j’aurai 70 ans !” Mais il a bel et bien des projets à foison, notamment des expositions, sans doute aux Etats-Unis. De la vidéo aux installations, Forsythe cherche d’autres terrains de jeu que la chorégraphie. Pour lui, la danse, c’est plusieurs médiums. “J’ai enfin une galerie qui me représente”, s’amuse-t-il.
Cet été, il (ex)pose son génie chorégraphique sous les ors du Palais Garnier. Et s’invite en prime à l’église Saint-Eustache l’espace d’un duo avec deux de ses anciens danseurs, Brigel Gjoka et Riley Watts. Miraculeux. Philippe Noisette
Blake Works I/Approximate Sonata/Of Any If And chorégraphie William Forsythe, Ballet de l’Opéra de Paris, du 4 au 16 juillet au Palais Garnier, Paris IXe, tél. 08 92 89 90 90, operadeparis.fr
DUO2015 chorégraphie William Forsythe, les 5 et 6 août à l’église Saint-Eustache, Paris Ier, dans le cadre de Paris quartier d’été, quartierdete.com
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