En passant du documentaire de Frederick Wiseman à la fiction théâtrale, Julie Deliquet fait avec Welfare le constat d’une problématique sociale inchangée cinquante ans plus tard. Une adaptation nommée aux Molières 2024 et à découvrir à La Villette en mai.
Le réel a parfois des allures de fiction. Lorsque Julie Deliquet crée en janvier 2020 Un conte de Noël, elle reçoit sur son téléphone un message provenant d’un numéro inconnu. C’est le célèbre réalisateur américain Frederick Wiseman qui demande à la rencontrer et l’invite sur le montage d’un de ses documentaires.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Il lui propose de transposer au théâtre l’univers de Welfare, documentaire tourné dans un bureau d’aide sociale new-yorkais qu’il a réalisé en 1975 et lui dit : “J’ai toujours pensé qu’il y avait du théâtre dans mes films. Particulièrement dans un, Welfare, qui se passe dans un centre social. Je pense que vous êtes la personne la plus indiquée pour adapter ce film au théâtre.”* Il est vrai qu’après avoir mis en scène successivement au théâtre des adaptations de Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman, Un conte de Noël d’Arnaud Desplechin et Huit heures ne font pas un jour de Rainer Werner Fassbinder, le passage assumé de l’écran de cinéma au plateau de théâtre est presque devenu une seconde nature pour Julie Deliquet. De plus, au moment où elle rencontre Frederick Wiseman, elle vient de finir la réalisation de Violetta, un film documentaire sur le service d’oncologie à Villejuif.
Quinze personnages
Parce que cinquante ans ont passé et que le nombre de réfugié·es et de gens vivant sous le seuil de pauvreté n’a fait qu’augmenter vertigineusement, c’est par un démontage fortement symbolique que s’ouvre le spectacle Welfare pendant que le public prend place : celui d’un asile de nuit installé dans un gymnase en lieu et place de l’open space des bureaux de l’institution.
En écho aux problèmes sociaux d’aujourd’hui, passé et présent se télescopent. La misère, sociale, économique, affective, est la même. Elle concerne juste toujours plus de monde. Alors, plutôt que courir le risque de diluer le propos du film qui s’attache à suivre cinquante personnes, Julie Deliquet fait à nouveau œuvre d’adaptation et resserre sa fiction autour de quinze personnages. Construisant son spectacle à partir des dialogues du film, elle remodèle la réalité que documente Wiseman : entre la nécessité d’agir et le maquis des règlements administratifs, Welfare réunit fonctionnaires et demandeur·euses dans une galère infernale. L’urgence des questions soulevées prend à la gorge et retrouve sa qualité de réel dans l’incarnation proposée sur le plateau par la troupe où brillent Evelyne Didi, Salif Cisse, David Seigneur, Nama Keita. Il faudrait tous·tes les citer…
Si Julie Deliquet ne se sent pas légitime, en tant qu’artiste, pour protester contre l’état de délabrement du service public en France aujourd’hui, elle s’arroge en revanche le droit de le faire “sur le mode de la fable”. Où toute ressemblance avec des personnages réels est loin d’être fortuite.
La billetterie, c’est par ici.
* Interview de Julie Deliquet par Jean-Marc Lalanne parue dans le supplément festival d’Avignon 2023 des Inrockuptibles
Welfare, d’après le documentaire de Frederick Wiseman, adaptation et mise en scène Julie Deliquet. Du 3 au 5 mai à La Villette.
{"type":"Banniere-Basse"}