A Reims, dans le domaine Pommery, une exposition conçue par Fabrice Bousteau, Gigantesque !, confronte le visiteur à des oeuvres oscillant entre l’infiniment grand et l’infiniment petit. Un parcours artistique aventureux dans les plus grandes caves de la Champagne.
Se mettre dans la peau de Gulliver et s’embarquer dans un voyage où l’on croisera des Lilliputiens et des Brobdingnagiens : c’est à une sorte de réactivation du récit fantastique de Jonathan Swift par le filtre d’une expérience artistique que l’exposition “Gigantesque“ de Pommery à Reims convie les aventuriers de l’art contemporain prêts à s’enfoncer à trente mètres de profondeur, dans les caves du domaine de Pommery. Un voyage au centre de la terre de Champagne où l’on s’égare dans des couloirs infinis longs de 18 kilomètres, au milieu de millions de bouteille ensevelies sous une douce poussière d’argent. Leur proximité suffit à elle seule à générer l’ivresse dans ces caves humides, dignes d’un décor des Aventures d’Indiana Jones. Des caves du Vatican du Champagne ; des caves de la cathédrale de l’art, aussi, depuis qu’ont été lancées en 2004 ces “Expériences Pommery“, qui restent chaque année l’une des expositions les plus fréquentées en France (plus de 130 000 visiteurs par an, dont beaucoup ajustent leur curiosité de l’art à la fatale attraction du breuvage).
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Lilian Bourgeat, Invendu-Bottes, 2009
©Fred Laures
Confié cette année au directeur de Beaux-Arts Magazine, Fabrice Bousteau, le commissariat de cette 13ème édition joue donc avec malice et entrain sur les contrastes de l’infiniment petit et de l’infiniment grand, comme dans un mélange féérique entre Swift et Pascal, entre Spielberg et Buren. Dès l’entrée dans le vaste domaine du château, le visiteur est alerté : l’immense sculpture de l’artiste coréen Choi Jeong Hwa, figure centrale du nouveau pop art de Séoul, concentrant des bananes et autres fruits colorés, donne le la (et le goût sucré) de ce que l’exposition versera dans nos yeux pétillants. Beaucoup d’éclats, beaucoup de couleurs, beaucoup de mousse, mais aussi, en dessous, un jus créatif dense, acide et surprenant.
A peine arrivé en bas du long escalier de pierre qui conduit vers les caves du paradis, éclairé par Pablo Valbuena dans un jeu lumineux et sonore prompt à déstabiliser les codes visuels du visiteur, on reprend son souffle. On est quand même très loin sous terre, et on a déjà soif. Il faudra attendre la remontée, une fois passée l’épreuve d’un parcours halluciné. De tous côtés, à chaque angle, comme surgi des ténèbres, l’émerveillement nous traverse. La proposition de Fabrice Bousteau prend son sens à la vue de ses choix d’artistes audacieux : Philippe Baudelocque, Stéphane Thidet, Chaim Van Luit, Su-Mei Tse, Guy Limone, Julian Charriere, Séverine Hubard, Vincent Carlier, Daniel Firman, Enrique Ramirez… “Le gigantesque, c’est l’imagination débridée, le dépassement de la mesure“, rappelle le commissaire, qui salue dans les gestes des artistes présents “le goût du défi pour créer et inventer de nouvelles utopies“. Le fantôme de Thomas More flotterait-il parmi les bouteilles de champagne, pile 500 ans après la parution de L’Utopie ?
Si la traversée des caves de Pommery relève d’une forme d’ivresse – d’ivreté, plutôt, c’est-à-dire ce moment de bascule qui annonce l’ivresse -, c’est qu’elle oscille sans cesse entre des dimensions extrêmes qui donnent le vertige. Comme devant les sculptures en trompe-l’œil d’Ivan Navarro (Die, Odio, Codo), où des néons reflétés se répètent à l’infini dans les profondeurs du sol. Comme James Stewart dans Vertigo, le corps vacille dans un déséquilibre vertigineux. Plus loin, les bottes géantes en caoutchouc de Lilian Bourgeat nous remet sur pied, mais en très petit (déjà à l’entrée de l’exposition, son Dîner de Gulliver, sculpture forme de table géante, nous avait remis à notre place, modeste). Après avoir traversé une longue colonne d’objets en plastique colorés de notre artiste farceur Choi Jeong Hwa, l’hélice géante renversée de Su-Mei Tse, à trois pales de 9,5 mètres de diamètre, mise à l’horizontal, saisit le regard. Saisi, le regard sait aussi être interpellé, voire bousculé, comme dans plusieurs installations vidéo, dont celle, magnétique, de Chaim Van Luit, The story of Ghillie Dhu, où dans une apparente photographie d’un sous-bois, un corps surgit miraculeusement sous les feuilles, conférant une vie soudaine à l’immobilité d’un plan fixe : une vision de forêt hantée. Swift n’est pas très loin, l’art vidéo joue avec nos nerfs, comme l’air de la forêt déplace les feuilles, vivantes. Dans la variété des images et le foisonnement de récits rassemblés sous terre, se dégage une certaine délicatesse des traits, qu’ils soient ajustés à l’immensité du monde ou au minuscule des existences. Aux deux bouts de l’échelle, les émois se déploient.
Les géométries variables contenues dans les œuvres exposées dans les caves conduisent le visiteur à mieux se situer, en lui-même autant que dans l’espace et le temps du présent. De ce jeu existentiel mobilisant la plasticité du cerveau confronté aux lisières du possible, on sort indemne, revigoré, prêt pour une coupe, et une autre, bue devant la magnifique maquette en bois de Chris Burden, The spirit of the grape (L’esprit du vin, 1994), représentant les vignes de Champagne, à l’aide de matériaux naturels comme le bois, la terre et le thym. Des jeux sur les tailles aux maquettes de paysages, Gigantesque ! a un goût de retour vers l’enfance : un voyage dont l’art intensifie l’expérience, dans le cadre majestueux d’un paysage d’abysses et de bulles.
Jean-Marie Durand
Expérience Pommery 13 : gigantesque !
Une exposition conçue par Fabrice Bousteau
Domaine Pommery, 5, place Général Gouraud Reims
Tél : 03 26 61 62 56
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