“Les Forteresses” de Gurshad Shaheman et “Billy’s Violence” de Jan Lauwers, deux spectacles vus récemment à Bordeaux et à Martigues, ont en commun d’interroger la violence faite aux femmes, aujourd’hui comme hier, à partir de la cellule familiale.
Dans Les Forteresses, Gurshad Shaheman donne la parole à trois sœurs, sa mère et ses tantes, témoignant à travers le récit de leurs vies, depuis leur jeunesse iranienne dans les années 1970, de la violence physique, politique, conjugale, idéologique, sociale et religieuse qu’elles ont vécue et de leur détermination à ne pas se laisser dompter par leur destin, mais d’en tenir la bride. Un spectacle choral mêlant le français, le perse et l’azéri, éloquent dans sa capacité à restituer l’invincible désir de liberté de ces femmes.
Avec Billy’s Violence, Jan Lauwers remet au goût du jour l’analyse toujours percutante de Jan Kott dans son essai, Shakespeare, notre contemporain. Car l’effet miroir qui préside à la création du spectacle est saisissant. Prenant le contre-pied de l’opinion selon laquelle Shakespeare serait toxique – misogyne, raciste, violent, patriarcal, homophobe –, Jan Lauwers a lancé en pleine pandémie le projet un peu fou de réunir dix tragédies du grand Will, dont certaines écrites lors de l’épidémie de peste à Londres, en un même spectacle qui se cristallise sur les figures féminines au cœur de chacune d’elles et la violence dont elles sont immanquablement l’objet. De redonner en somme à l’auteur sa position d’observateur impitoyable de la violence de son temps, et du nôtre par la même occasion. C’est son fils, Victor Afung Lauwers, qui s’est attelé à leur réécriture poétique et éruptive. “La vraie violence de Billy, c’est l’amour”, constate-t-il. Chaque tragédie, renommée, porte le nom de l’héroïne qu’il met en situation de confrontation, de domination ou de maltraitance, à travers une écriture qui reflète et incorpore au langage la désagrégation, l’effondrement, la destruction et la violence à l’état pur des situations jouées. Parmi les huit acteur.rices sur le plateau, on retrouve évidemment la partenaire de vie et de jeu de Jan Lauwers, Grace Ellen Barkey, ainsi que leur fille, Romy Louise Lauwers, qui participait déjà à son dernier spectacle, Tout le bien. Le sang coule à flot, l’humour est caustique, la danse prend le relais des mots et façonne les bourrasques émotionnelles mises en jeu. Le tout se termine littéralement par un bain de sang avec la vision hallucinatoire de Lady Macbeth entourée de ses victimes, où les acteurs manipulent des marionnettes à leur effigie, dans une prodigieuse mise en abîme du Théâtre et son double cher à Artaud. Mais attention, dans
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Billy’s Violence, les femmes ont aussi plus d’un tour dans leur sac et savent renverser la violence pour s’en libérer. Les temps changent et les artistes en sont les sismographes les plus affutés.
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