Confiné, Vincent Macaigne a relu sa première pièce, Je suis un pays. Ecrite au sortir de l’adolescence, elle anticipait ce que l’on vit aujourd’hui… Il se livre à un vibrant plaidoyer en faveur de services publics porteurs de sens et de solidarité.
Comment vas-tu ?
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Vincent Macaigne – ça va bien ! Et toi, ça va ?
Oui ! Quand es-tu rentré d’Argentine ?
Depuis un moment, je suis reparti à Berlin entretemps. J’étais en Argentine pour un projet d’installation vidéo, Les Tours de Babel, pour lequel je récolte des témoignages. Le projet est un peu tombé à l’eau puisque je ne peux plus voyager. Mais il devient aussi hyper-actuel puisqu’il porte sur les témoignages de personnes un peu partout dans le monde. Je leur demande de me parler de leurs rêves, de ce qu’ils ont raté et de ce qu’ils imaginent pouvoir réussir. J’écris des textes à partir des interviews des gens que je rencontre pour réaliser une sorte de Tour de Babel. Ce projet va s’étaler sur plusieurs années.
As-tu l’impression de vivre un moment tout à fait inédit ?
Oui, c’est certain que ce confinement global comme la rapidité de propagation de la maladie dans le monde sont assez uniques. Cette vitesse est même très moderne.
Es-tu confiant quant à la façon dont les pouvoirs publics gèrent la crise ?
Non, je trouve que c’est un peu bizarre pour l’instant. Dire aux gens d’aller voter et les critiquer le soir même parce qu’ils sortent et se promènent… ce n’est pas très clair et très donneur de leçons. Et tout ça sans vraiment prendre les bonnes décisions au moment où elles s’imposent. Le fait que l’on n’arrive pas à faire de tests à grande échelle me paraît complètement illogique. Je suis un peu hypocondriaque et je me demande si j’ai ou non attrapé ce virus. On aurait pu tester très rapidement tous les gens qui revenaient des pays à risque. Et puis, quand on marche dehors et qu’on se fait contrôler, ça peut avoir quelque chose de complètement absurde. Le policier qui me demande mon laisser-passer, si ça se trouve, il me transmet son virus parce qu’il n’a ni gants ni masque. Ils prennent les attestations à main nue, c’est complètement taré – et ils exigent de les prendre (rires). C’est un gag, on est dans un film des frères Cohen, en plein Big Lebowski ! Je comprends qu’il faille faire appel au civisme des gens, mais pour ce faire, il faut leur expliquer clairement les choses.
Tu veux parler des consignes de sécurité ?
Oui, la distance de sécurité, par exemple. On te parle d’un mètre. Un mètre, c’est un bras. C’est rien ! Il faut faire appel au civisme et à la logique des gens. Ils ne sont pas bêtes. Mais ce gouvernement nous infantilise en nous disant le matin d’aller voter et le soir en nous reprochant de nous promener.
Les consignes ont été progressives mais avec effet immédiat, jusqu’au confinement généralisé qui risque fort de passer de 15 jours à 30 ou 45 jours.
Ce n’est pas bien, je trouve. Ils auraient pu le dire de façon à ce que les gens prennent leurs dispositions en amont, puissent se réunir en famille. Je trouve un peu désastreux leur manière de faire. Je pense que les gens vont devenir fous. Pour l’instant, on essaie de sauver ce que l’on peut et d’être respectueux des règles.
As-tu peur de la maladie, sur laquelle on entend des choses très contradictoires ?
Finalement, j’ai assez peur de la maladie. Depuis un mois, on nous dit que des pays entiers se mettent en confinement et en même temps on nous dit que ce n’est pas grand-chose. Ça fait un moment que je pense qu’il y a un truc bizarre avec cette maladie. Il est évident qu’on ne met pas en confinement une grande partie du monde si ça n’est rien… Oui, ça fait peur, on ne sait pas trop ce que c’est. Je ne sais pas quoi en penser. Quand je suis allé voir ma mère avant le confinement, je suis resté sur le pas de la porte parce que j’avais peur de potentiellement la contaminer. Je ne peux pas dire que je ne me sens pas concerné. Après, ce qui est complètement fou, c’est l’impression de tourner en rond quand on écoute les informations, d’entendre la même chose en boucle et pas beaucoup de véritables informations.
Que fais-tu de ce temps de confinement ?
Pour l’instant, je n’ai pas eu le temps de m’ennuyer ni de me poser. Je devais partir à Hong-Kong et c’est tombé à l’eau depuis. Ce qui est fou, c’est que c’est un projet sur la fin du monde… Comme la pièce que j’ai créée l’année dernière, Je suis un pays. C’est une pièce de jeunesse dans laquelle j’avais écrit plein de choses à la façon d’un gag, mais elles se sont finalement produites. Le seul truc que j’ai coupé quand je l’ai mise en scène – je me suis dit que c’était trop gros – c’est la fin, qui racontait une pandémie… C’est étrange de réaliser que depuis longtemps on a senti ce qui se passe aujourd’hui.
Est-ce que la nouvelle disposition de son temps qu’impose le confinement ouvre pour toi des possibilités nouvelles ?
Je devais commencer à écrire un film : c’est tombé à l’eau parce qu’on ne peut pas se voir avec la coscénariste. Je n’ai pas de projets de théâtre actuellement, alors je pense que je vais me remettre à écrire un nouveau truc. Ça tombe bien… enfin, « bien » n’est pas le bon mot, mais ça tombe à un moment de tranquillité en tout cas.
Penses-tu que cette crise soit un marqueur historique ? Qu’on ne reviendra pas au monde d’avant et que nous entrons dans une nouvelle séquence ?
Je le pense, oui. J’ai toujours lutté pour le service public, que ce soit au théâtre ou à l’hôpital. Mon frère est médecin légiste à Paris mais avant il était urgentiste. L’un comme l’autre, on se sent complètement attaqués. Et le théâtre, ce n’est rien comparé à l’hôpital. Le mélange avec le privé est très violent. On perd des libertés, on perd en qualité de vie, ceux qui travaillent dans les services publics comme ceux qui les utilisent. On ne fait que perdre des choses alors qu’on nous répète que tout va bien. Là, c’est la preuve que non, ça ne va pas. J’ai fait un AVC assez jeune et heureusement que ça s’est produit en France, et il y a dix ans, parce que ça s’est vraiment détérioré depuis. Je n’avais pas ma Carte vitale, pas mes papiers et j’ai été soigné. Dans beaucoup d’autres pays au monde, je serais mort. Alors, maintenant, on va payer ces choix.
>> Lire aussi : La critique de Je suis un pays
Y a-t-il des enseignements positifs à tirer de cette crise ?
Sur Instagram, les gens disent que le Covid-19 est de gauche (rires) ! Ce n’est pas si faux. Ça nous demande d’être solidaires. Cette situation de crise pose la question de l’individuel et du collectif. On ne doit pas se côtoyer et pourtant ça nous oblige à réfléchir à la notion du collectif. C’est hyper intéressant. La majorité de l’Occident est de droite aujourd’hui et favorise la richesse individuelle au détriment du collectif. Cette maladie nous pose la question de la protection collective face à un danger. Une amie me parlait d’un texte qui tourne sur internet : la civilisation s’est créée le jour où une personne a commencé à en soigner une autre, à ne pas admettre qu’il puisse mourir dans la nature. Ça fait de nous des hommes. Au fond, il s’agit de réaliser que penser la collectivité nous fait penser à nous en tant qu’êtres humains. Je me demande ce qu’il va se passer après pour l’hôpital. Il faut aussi se rappeler que le ministère de la Culture a été créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Après toutes les horreurs traversées, on s’est rendu compte qu’on avait besoin de la culture pour nous éviter de devenir des monstres. Et puis, au bout d’un moment, on oublie tout le travail qui a été fait.
On entend d’ailleurs dire ces jours-ci qu’il faudrait rouvrir les librairies, qu’elles sont vitales. Mais tout le monde n’est pas d’accord…
Le patrimoine culturel est vital, mais moins que les hôpitaux, c’est évident. L’institution publique a été créée pour répondre à de grands troubles – ça nous rappelle qu’il ne s’agit pas de confort en réalité, mais de survie. Le système n’est pas mauvais, mais il a du mal à se réinventer. Des lieux de culture on a voulu faire des lieux de vie qui sont devenus privés pendant que les institutions de l’Etat se sont transformées en lieux de pédagogie. Le ministère de la Culture n’a que ce mot de pédagogie à la bouche aujourd’hui. Par exemple, on parle de théâtre du réel et je trouve ça triste parce que ça enlève la poésie. Comme le disait Malraux, l’institution doit être garante du mystère, mystère de la vie, de la mort, de l’art, de la poésie. C’est de la recherche. On est en train de l’oublier totalement et on montre aux gens ce qu’ils aiment pour être sûr que ça marche. ça nous ramène à quelque chose de très plat, à une vision du futur sans mystère, sans risque, sans rien. Il se passe la même chose en médecine. Il ne faut jamais abandonner l’idée de la recherche et l’Etat doit donner du pouvoir à des gens qui vont se tromper, qui vont rater et continuer de chercher. J’ai un pote qui fait de la recherche sur les séismes et qui a travaillé pendant vingt ans sur le sujet jusqu’à ce que la France cesse de le financer. Il est parti aux Etats-Unis et tout son travail de recherche a finalement abouti… et le brevet appartient aujourd’hui aux Américains.
Comment imagines-tu le monde d’après ?
Je n’arrive pas à savoir, franchement. On sait que tout ce qu’on lit n’est pas forcément vrai, mais avec le coronavirus, on est obligés de s’interroger sur la véracité des informations. Par exemple, je ne sais pas si c’est vrai, mais j’ai lu que Bernie Sanders voulait qu’au-delà d’un milliard de dollars, les riches donnent le reste de leur fortune à l’Etat. Ça, je pense que c’est bien. On ne peut pas admettre que dans une société un seul type puisse engendrer une richesse complètement démesurée au détriment des gens. Ce virus met au même niveau les riches et les pauvres. Tout le monde peut être atteint. J’ai beaucoup travaillé en Suisse, notamment depuis que Vincent Baudriller dirige le théâtre Vidy-Lausanne. Ce pays administre beaucoup de grandes entreprises qui polluent le monde : Netslé, Philip Morris, Sandoz… Ces administrateurs vivent à côté d’un lac, font du vélo électrique et ne se rendent absolument pas compte de ce qu’ils font. On devrait se battre pour qu’il y ait une loi, au niveau mondial, qui empêche une administration d’être délocalisée de plus d’un kilomètre de son entreprise. Le virus va peut-être nous ramener à l’idée que l’on doit remettre les choses à niveau. La mondialisation peut être une belle chose, mais il y a des aspects négatifs. Ceux qui s’enrichissent avec un truc qui file le cancer à leurs ouvriers devraient avoir le même problème que ceux qui le produisent.
L’égalité des malchances et des risques…
Oui ! J’ai toujours accompagné mes spectacles. Je trouve ça toujours bizarre d’envoyer des acteurs jouer tout seuls. Il y a des choix financiers derrière. On m’a souvent dit : » Ton théâtre, si un soir c’est 50% moins réussi, c’est aussi bien « … Eh bien non ! L’idée de l’exigence a disparu. Ce n’est plus une valeur. Les gens qui sont exigeants sont juste perçus comme des relous…
La rentabilité est une valeur qui a remplacé celle de l’exigence ?
Oui, et on a atteint un tel point de non-respect pour tout ce qui est service public que je ne sais pas combien de temps ça va tenir. Dès qu’il ya un problème, tout le monde en pâtit. Ce sera peut-être bénéfique si ça nous oblige à prendre des décisions qui ne sont pas de l’ordre du quantifiable. C’est un pari sur l’humanité, sur l’espoir, sur le désir qu’on peut procurer aux gens d’être vivants. Ce ne sont pas des grands mots, c’est une vérité.
En somme, il n’y a pas de business plan pour l’humain
Non. Plus on quantifie les choses, plus on les appauvrit. On devrait sanctuariser les chercheurs, les artistes. Ce qu’on avait fait à une époque avec Ariane Mnouchkine, Claude Régy. On doit sanctuariser la possibilité, la nécessité de la recherche.
Qu’espères tu pour le monde d’après ?
Je trouve assez beau que la civilisation en arrive au point où l’homme a l’idée de s’entraider. Aujourd’hui, en relisant ma pièce Je suis un pays, je me suis dit qu’il y avait quand même de l’espoir. Quand l’homme a eu peur, il s’est mis sur ses deux jambes, s’est levé pour voir le danger arriver et pouvoir se battre : ça commence par là une civilisation, par l’entraide et par la culture. Depuis toujours. Peut-être qu’on va se rappeler de ça, que c’est vital, comme de manger. Je réalise que je n’ai fait que des spectacles sur une forme d’apocalypse. Je suis un pays, c’est sur la fin du monde avec un chef de l’Etat qui demande à tout le monde de voter alors qu’il n’y a vraiment plus rien qui se passe. C’est sur la fin de l’espoir et comment il peut renaître. Pas si loin de ce que l’on vit et de ce que je peux penser aujourd’hui.
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