Rencontre avec Eric de Chassey, directeur de la Villa Médicis, chargé par Aurélie Filippetti, la ministre de la Culture, de réformer cette prestigieuse et séculaire institution pour la faire entrer de plain-pied dans le XXIe siècle.
Aurélie Filppetti vous avait confié le soin de penser à une réforme de la Villa Médicis. Le système était-il en crise ?
Eric de Chassey – Le principe selon lequel la France accueille à Rome des artistes en résidence (baptisés “pensionnaires”) remonte au XVIIe siècle. Il représente la première mission de “l’Académie de France à Rome – Villa Médicis” : la “mission Colbert”. La dernière grande réforme de cette mission remonte aux années 1960-1970. Il n’y avait pas de crise ni d’immense urgence à la repenser, mais la nécessité m’en est apparue après quelques années d’observation, à partir de mon arrivée à la direction de la Villa Médicis fin 2009, notamment pour pérenniser un certain nombre d’évolutions, tout en se donnant les moyens d’une remise à plat du système. Au moment du renouvellement de mon mandat, la ministre de la Culture et de la Communication a tenu à ce qu’une réforme puisse être menée, afin de faire entrer pleinement cette institution dans le XXIe siècle, sans perdre de vue sa longue histoire : l’Académie a été pendant longtemps un lieu d’enseignement (du XVIIe au début du XXe siècle) ; elle est devenue depuis une cinquantaine d’années surtout un lieu de retraite et d’approfondissement d’un travail déjà en cours ; elle pourrait unir ces deux possibilités selon des modalités renouvelées.
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Quelle était l’urgence et les premiers aspects de la réforme auxquels vous avez réfléchi ?
Il s’agissait de partir de ce que doit et peut être une académie aujourd’hui, et notamment de renouer avec l’un de ses principes fondateurs, qui s’était un peu perdu au fil du temps, c’est-à-dire que c’est un lieu de formation, en particulier par les pairs et par la confrontation avec des pratiques différentes. Il s’agissait donc de trouver les moyens adéquats d’en faire un lieu en lien avec le système d’enseignement supérieur dépendant du ministère de la Culture, système lui-même en pleine mutation, sans pour autant perdre la richesse offerte – et démontrée – par la possibilité unique de se concentrer sur un travail de création ou/et de réflexion tout en nourrissant celui-ci par la fréquentation d’artistes et de chercheurs issus des horizons les plus divers.
Comment avez-vous travaillé pour mettre au point cette réforme ?
Aurélie Filippetti m’a demandé de mettre en place une commission de réflexion afin de m’aider dans la rédaction d’un rapport où je lui ferais des propositions de réforme. Cette commission internationale, composée de responsables de résidences françaises et étrangères, de directeurs d’écoles de la création, de pensionnaires et d’anciens pensionnaires, de membres du conseil d’administration de la Villa Médicis, s’est réunie à plusieurs reprises à partir de l’automne 2012, pour discuter de manière pleinement ouverte du fonctionnement actuel et passé de l’institution, des possibilités d’évolution, n’écartant aucune voie a priori, envisageant jusqu’à l’opportunité de maintenir la “mission Colbert” (puisque la Villa Médicis assume par décret deux autres missions). De nombreux échanges informels entre les membres de la commission ainsi que des contributions écrites ont également eu lieu. Tout cela m’a conduit à proposer à la ministre un rapport, approuvé par l’ensemble des membres de la commission de réflexion, et que celle-ci a à son tour approuvé.
Les conditions de désignation des résidents vont-ils aussi être modifiées ?
La catégorie des “pensionnaires” est maintenue, avec ses modalités de sélection par concours, son niveau de rémunération et son ouverture internationale ainsi que l’âge limite des candidats. Le nombre de pensionnaires sera cependant contenu à une quinzaine, pour faire en sorte que tous puissent bénéficier d’un logement et d’un atelier équivalents. À cette catégorie “historique” s’ajouteront de nouvelles catégories. Des “lauréats”, recrutés par des appels à candidature par discipline qui seront progressivement mis en place ; ils seront issus des dernières années des établissements d’enseignement supérieur, en particulier de ceux dépendants du ministère de la Culture et de la Communication (leurs bourses seront moindres que celles des pensionnaires et leur séjour sera de un à deux mois, selon leur discipline). Des “artistes et chercheurs invités”, venus pour travailler à un projet spécifique et à leurs frais, dans un appartement réservé à cet effet : toutes les candidatures sont d’ores et déjà possibles mais les places sont limitées puisqu’il ne peut y avoir qu’un seul invité à la fois (ou une candidature collective). Une “personnalité invitée” prestigieuse, dont le nom sera proposé par le jury chargé de sélectionner les pensionnaires, qui accompagnera chaque promotion, notamment à l’occasion d’ateliers de recherches ou de manifestations collectives, en début et en fin de séjour.
Quelles autres idées de réforme sont venues s’ajouter ?
De nombreuses idées se sont ajoutées, de caractère le plus souvent pratique. Certaines mesures tombent sous le sens mais n’avaient jamais été mises en place, comme le fait de dédier spécifiquement des emplois de la Villa Médicis au suivi des pensionnaires et résidents. D’autres visent à installer clairement l’institution dans un réseau international ouvert et à valoriser le travail qui s’y fait, notamment par le biais de l’obligation qui sera faite aux résidents passés par l’institution de mentionner ce fait lorsqu’ils rendront publiques leurs réalisations. D’autres enfin sont de nature juridico-administratives, comme la mise en place d’un statut du pensionnaire, clairement défini.
On entend souvent les Romains se plaindre du peu d’ouverture de la Villa sur la ville et son milieu culturel… La réforme interroge-t-elle les relations et les échanges entre les pensionnaires et les milieux culturels italiens ?
La réforme propose de multiplier les possibilités d’échange avec Rome et l’Italie d’une manière très pragmatique. Le responsable du suivi administratif et artistique des pensionnaires et résident, déjà mis en place, compte parmi ses objectifs la mise en relation avec les institutions romaines et italiennes, selon les disciplines de chacun. De même est-il proposé d’instituer pour tous les pensionnaires une formation à la langue italienne dès les mois suivants le concours – un partenariat a été conclu dans ce sens avec l’Institut culturel italien à Paris. L’ouverture de la Villa Médicis sur la ville où elle se trouve est de toute façon l’une de mes priorités, qui passe aussi par la programmation culturelle et l’ouverture du domaine aux visiteurs. Mais il importe de ne pas empêcher la concentration sur son propre travail. C’est un équilibre toujours difficile à trouver.
Pensez-vous que cette réforme peut valoir pour d’autres résidences culturelles et pas seulement pour la Villa Médicis ?
Je ne sais pas si cette réforme a valeur d’exemple pour d’autres résidences. La Villa Médicis est une institution unique en son genre, même si elle a servi de modèles à beaucoup d’autres. C’est une prise en compte assumée de cette singularité que la commission de réflexion a voulu souligner et défendre. Mais comme c’est une institution très regardée, il est certain que cette réforme aura des effets ailleurs : d’ores et déjà, nous avons reçu la visite d’une délégation espagnole, chargée de réfléchir à une réforme de leur Académie à Rome.
Quel est le statut de cette réforme : une proposition qui doit encore être actée par la ministre de la Culture, ou une réforme qui sera bientôt effective ?
Les propositions faites dans mon rapport ont été actées par la ministre, qui a souligné que toutes seraient mises en œuvre. Cette mise en œuvre a déjà commencé, sans attendre, et j’ai bon espoir que la majorité des recommandations sera appliquée avant la fin 2014. La seule chose qui risque de prendre un peu plus de temps – mais le délai devrait être raisonnable – sera le statut juridique des différentes catégories de résidents et la structuration de leur rémunération, parce que cela nécessitera sans doute un nouveau décret.
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