Une saisissante relecture de l’auteur autrichien par un metteur en scène éminemment engagé.
Une longue rêverie terrifiante où les contours se brouillent et se mélangent. Ceux de l’intime et du collectif, du temps présent infusé dans un passé qui déteint inlassablement sur les couleurs du jour et les estompe dans un gris poisseux qui emprisonne la lumière.
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Pour le Polonais Krystian Lupa, adapter aujourd’hui Le Procès de Franz Kafka revient à s’emparer de la préscience inouïe d’un auteur dont l’œuvre a donné naissance à un adjectif propre à cristalliser la folle absurdité d’un monde qui a renoncé à faire de la loi l’instrument de la justice pour l’ériger en angoissant symbole du pouvoir. Un visionnaire en somme, qui aurait pu, comme Orwell avec 1984 écrit en 1949, intituler son roman “2017”.
C’est en tout cas ce qu’imagine Krystian Lupa, dont la première incursion dans l’univers de Kafka a coïncidé avec la montée en puissance du parti Droit et Justice en Pologne, sa prise de pouvoir ensuite, et les répercussions sur la liberté des artistes, des femmes, des historiens… Le processus de création du spectacle est comme un sismographe de la situation politique en Pologne, de l’angoissante violence qui menace le pays et a touché directement Krystian Lupa et ses acteurs.
Répétitions interrompues à Varsovie
En 2016, les répétitions commencent au théâtre Polski de Wroclaw. Mais suite à l’éviction de son directeur, Krzysztof Mieszkowski, remplacé par un acteur fantoche, Krystian Lupa stoppe les répétitions et rompt son contrat. Ses acteurs sont tous licenciés et, comme lui, attaqués en justice. Il faut attendre un an pour qu’à l’invitation du Nowy Teatr de Varsovie, dirigé par Krzysztof Warlikowski, Krystian Lupa réunisse à nouveau sa troupe et reprenne le travail.
Il va sans dire que ce Procès programmé au Festival d’Automne à Paris est un procès à charge contre la politique du parti au pouvoir en Pologne. Mais pas seulement. Scindé en trois parties, le spectacle s’ouvre et se ferme sur Le Procès, roman inachevé écrit par Kafka à la suite de sa rupture avec sa fiancée Felice Bauer.
Une vision psychanalytique du personnage de Josef K., joué par deux acteurs interprétant chacun une facette de sa personnalité, se juxtapose à la reconstitution délirante d’un procès politique, marque de fabrique des Etats totalitaires.
La part manquante du livre, Lupa en fait le cœur du spectacle et met en scène le groupe d’amis constitué entre autres de Max Brod et de Greta Bloch, la confidente de Felice Bauer, face à Kafka. Les reproches de Felice, la culpabilité de Kafka ainsi que sa capacité à ressentir le cours de l’histoire comme des mâchoires prêtes à se refermer sur la société tout entière, la souffrance partagée par tous devant leur impuissance à rester maîtres du cours de leur existence, leur volonté de n’en pas tenir compte et de résister, sonnent et résonnent avec force comme un signal d’alarme qu’il est grand temps d’entendre. Pour y faire face, collectivement
Le Procès D’après Franz Kafka, mise en scène Krystian Lupa, en polonais surtitré en français, les 16 et 17 novembre au théâtre du Nord de Lille, dans le cadre de Next Festival ; le 15 décembre à la Filature de Mulhouse
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