Jusqu’au 28 novembre, le Grand Parquet de Paris accueille Vérité de soldat, un docu-fiction théâtral de la compagnie malienne BlonBa. Mise en scène par Patrick Le Mauff, le spectacle frappe par son incroyable liberté de ton.
« Ce qui porte atteinte à l’Afrique, c’est la peur de la vérité. » Est-ce le bourreau qui parle, le capitaine Soungalo Samaké qui a arrêté Modibo Keïta, premier Président de la République du Mali ? Ou sa victime, Amadou Traoré, ancien responsable du Mali socialiste et éditeur du témoignage de celui qui fut son tortionnaire ?
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J’ai oublié, tant frappe dans ce spectacle l’inouïe liberté de ton et de parole qui relie ces deux hommes. Au point que Jean-Louis Sagot-Duvauroux, l’auteur de ce docufiction théâtral, Vérité de soldat, a rajouté un troisième personnage, fictif celui-là, au récit véridique de Soungalo Samaké, Ma vie de soldat, édité à La Ruche à Livres de Bamako.
Ce personnage fictif est une femme, née du viol collectif des femmes du quartier Dijikoroni par les militaires d’un camp de parachutiste commandé par Soungalo Samaké. Elle rend visite à l’éditeur pour lire le manuscrit et souhaite empêcher son édition, mais pose les questions auxquelles tout Malien se confronte aujourd’hui après les années de répression du régime militaire de Moussa Traoré (1968-1991).
« Nous ne pourrons pas construire de Mali moderne sans passer par cette catharsis nécessaire »
[attachment id=298]Un peu à la manière de la Commission Vérité et Réconciliation de l’Afrique du Sud après l’Apartheid, si l’on entend bien Alioune Ifra N’Diaye, directeur artistique de BlonBa, estimant que « nous ne pourrons pas construire de Mali moderne sans passer par cette catharsis nécessaire » et qui choisit d’interroger l’histoire contemporaine de l’Afrique au moment où 17 pays, dont le Mali, célèbrent leurs cinquante ans d’indépendance.
Sur le plateau, le récit avance à coup de dialogues entre l’éditeur et la jeune femme et le tortionnaire et sa victime, sur la base des discussions qu’ils poursuivirent pendant 13 ans avant de les retranscrire sous forme de témoignage dans Ma vie de soldat.
Qu’est-ce qui pousse ces deux hommes à entamer et à poursuivre ce dialogue ? Et qu’est-ce qui les distingue ? Le premier, Amadou Traoré, était l’ami politique et personnel du président Modibo Keïta. Il fut longtemps interné par le régime militaire pour son influence durant la première République du Mali et torturé par Soungalo Samaké.
Il revendique, non pas de pardonner, mais de faire la distinction entre sa personne privée et le militant politique pour témoigner, avec son tortionnaire, de cinquante ans d’indépendance au Mali.
Le spectacle s’inscrit comme un témoignage essentiel
Quant à Soungalo Soumaré, « envoyé par hasard à l’école où il poursuit un cursus chaotique, soldat de rencontre dans les troupes coloniales françaises, membre influent du système répressif de Moussa Traoré, puis condamné à huit ans de bagne à Taoudenni pour complot contre le pouvoir, cet homme entier, frustre, lucide, choisit de cracher le morceau. » Il aurait pu être cultivateur, si le hasard ne l’avait jeté dans l’armée coloniale.
Il se définit avant tout comme imbibé des valeurs « bambara » dans lesquelles Amadou Traoré ne peut que se reconnaître, lui aussi : « Franchise, respect de la parole donnée, endurance à la peine, sens de l’honneur. »
[attachment id=298]Porté par des acteurs remarquables – Adama Bagayoko, Maïmouna Doumbia et Michel Sangaré – dont le visage filmé est projeté sur le plateau, accentuant le double accent porté sur les aspects documentaires et intimes de l’histoire des personnages, Vérité de soldat se donne à voir avec la simplicité qui sied à tout témoignage essentiel.
De façon à laisser ouvertes au débat ces questions posées aux personnages de la pièce par son auteur :
« Comment Soungalo Samaké a-t-il pu accepter de publier un texte où il témoigne de méfaits qui pourraient aujourd’hui encore lui causer de graves ennuis ? Comment Amadou Traoré, intellectuel engagé, a-t-il pu éditer un récit si problématique pour l’image de l’Afrique contemporaine ? Quels débats et quels affects un tel livre provoque-t-il chez les Maliens d’aujourd’hui ? »
Fabienne Arvers
(Photos: Patrick Fabre)
Vérité de soldat, un docu-fiction théâtral de la compagnie BlonBa, Mali. Mise en scène Patrick Le Mauff. Au festival Sens Interdits à Lyon, théâtre des Célestins, du 22 au 24 octobre. www.sensinterdits.org
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