Avec Valeria Bruni Tedeschi en chef de troupe d’une épatante bande de filles, Thierry de Peretti emporte la cruauté de Fassbinder hors des sentiers battus dans « Les Larmes amères de Petra von Kant ».
Aborder Fassbinder par le versant de l’intime est le premier mérite de la mise en scène de Thierry de Peretti qui, dans la liberté d’une représentation où l’improvisation semble être la règle, monte Les Larmes amères de Petra von Kant comme une chronique d’aujourd’hui ne s’attachant qu’à saisir la somme des infimes miracles qui font la chair sans prix du présent de nos vies.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Dans le quotidien bordélique de ce loft où s’accumulent les motifs de la branchitude bohème, un piano droit, un frigo et un vieux canapé sont réunis au pied de la toile de fond à demi repliée d’une reproduction de la tapisserie de La Dame à la Licorne, témoignant du lointain fantasme d’un amour qu’on avait imaginé courtois.
Au-delà de la nonchalante élégance du décor signé par Rudy Sabounghi, Thierry de Peretti a la belle intuition de s’approprier la totalité de la salle du théâtre pour en faire son aire de jeu et donner aux spectateurs, habituellement voyeurs, le sentiment d’être reçus en invités dans l’appartement de la styliste Petra von Kant (Valeria Bruni Tedeschi). Avec Les Larmes amères…, Fassbinder réunit le huis clos de quatre générations de femmes ; l’adolescente (Sigrid Bouaziz), les jeunes amoureuses (Lolita Chammah, Kate Moran et Zoé Schellenberg), la femme mûre (Valeria Bruni Tedeschi), la grand-mère (Marisa Borini en alternance avec Nadine Darmon).
Un gynécée de passions où, du sentiment d’abandon à l’étincelle d’un coup de foudre, du pétage de plombs à la noire déprime, chacune en prend pour son grade à l’unisson des imprévisibles sautes d’humeur de l’ego de Petra. Sans jamais tomber dans le piège d’une théâtralité affirmée, la mise en scène sans chichis de Thierry de Peretti place le curseur du naturalisme à l’endroit exact où il sait qu’il passera la rampe.
Conscient du charme incomparable de cette compagnie des femmes, il exalte avec raison la nature chorale de la pièce comme constitutive de la justesse de sa partition. Délicieusement nostalgique, cette ensorcelante petite musique de chambre ne dit rien d’autre que les aléas de la vie. Une fois entrée dans la tête, elle ne vous quitte plus.
Les Larmes amères de Petra von Kant de Rainer Werner Fassbinder, mise en scène Thierry de Peretti, jusqu’au 22 avril au Théâtre de l’œuvre, Paris IXe, tél. 01 44 53 88 88, theatredeloeuvre.fr
{"type":"Banniere-Basse"}