Figure radicale de la scène artistique allemande, Va Wölfl, l’homme derrière Neuer Tanz, fera encore des siennes en 2013, et dès cette semaine à Paris.
Aller à la rencontre de l’artiste Va Wölfl, c’est partir vers l’inconnu : aucune photo sur le net, quelques lignes sur le Wikipédia germanique. Autant dire que l’on n’en mène pas large quand on le retrouve un jour de novembre à Rennes, où il est invité par le festival Mettre en scène. Va Wölfl se révèle heureusement charmant dans ses manières un rien old fashioned, avec juste une lueur d’ironie inquiétante dans l’oeil, raccord avec sa fine moustache quasi invisible. On le questionne sur le mystère qui l’entoure, à l’heure où la moindre apprentie star possède un compte Twitter à cent mille followers, au moins une page Facebook ou une myriade de sites dédiés. Va Wölfl s’étonne de notre étonnement : “Neuer Tanz est, disons, plus important que moi. Et puis nous n’avons pas beaucoup de temps pour les communiqués de presse…”
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Que sait-on alors de la vie de Va ? Né apparemment en 1944, étudiant auprès du peintre Oskar Kokoschka dans les années 60 à Salzbourg puis élève de l’école de danse Folkwang Hochschule d’Essen et photographe à New York, il est surtout le fondateur de Neuer Tanz dans les eighties, avec la danseuse franco-allemande Wanda Golonka. L’arrivée de cette troupe protéiforme dans le paysage chorégraphique outre- Rhin peut s’apparenter à une déflagration, loin de la danse-théâtre – que Va n’aime visiblement pas trop – ou du ballet classique. Quand on lui demande de quel artiste il se sent proche, Wölfl répond, sans plaisanter, “Albrecht Dürer” – peintre, graveur et mathématicien (1471-1528) ! Les spectacles de l’ensemble Neuer Tanz tiennent autant de l’installation d’art contemporain que du théâtre subversif, de la danse conceptuelle que du cabaret. Ses interprètes ont une capacité à tout appréhender.
“Le gouvernement ne comprend pas ce que l’on fait ! Mais du moment que nos lignes de comptes sont à jour, ils se disent que ce que nous faisons ne doit pas être si mal.”
La plupart des pièces de Neuer Tanz sont données dans un décor blanc, le fameux white cube cher aux curateurs des galeries et musées. “Mais je vois surtout cela comme une page blanche que je peux colorer.” Entre autres scénographies, le public a pu découvrir un tank gonflable de plusieurs mètres de haut ou des centaines de livres que les interprètes sortaient de caisses pour en faire un sol de danse. Dans Ich sah: Das Lamm auf dem Berg Zion, Offb.14,1, on recensait une pelote de fil de cuivre, des tutus sombres, des guitares et des pistolets. Dans sa prochaine création attendue à Paris, Kurze Stücke, il y aura des fusils, comme autant d’aiguilles d’horloge. De quoi donner les heures mondiales, décalage compris.
Les armes sont omniprésentes chez Wölfl, et de presque tous les calibres – il a intitulé un de ses opus Revolver. Il les voit surtout comme des éléments à la plastique efficace. Rien de plus ? On ne peut alors s’empêcher de regarder ailleurs. Vers les États-Unis, pays des guns, mais pas seulement, tant les trafics d’armes mondiaux sont légion. Et de se dire qu’encore une fois Neuer Tanz fait mouche sous son apparente neutralité. Quant aux différents tableaux de Kurze Stücke, ils passent du très coloré – avec des costumes à paillettes du plus bel effet – au noir, du show à la lenteur étudiée.
“Cela risque d’être encore un peu plus ennuyeux que d’habitude, lâche Va Wölfl, sincèrement désolé. Parfois, je pense à ce que ma grand-mère dirait, et comme je crois qu’elle se serait ennuyée, j’accélère un peu l’action…”
Neuer Tanz a déjà performé dans le noir complet, alors… Mais au-delà de l’esprit farceur – ou frappeur, c’est selon – de son concepteur, Neuer Tanz est une formidable machine à produire des idées brillantes : “C’est vrai que je fais ce que je veux, je suis libre. Ce qui, en Allemagne, n’est pas si fréquent. Retourner les choses, c’est important.” Et de citer une action où les spectateurs se voyaient donner de l’argent ! “Nous, les Allemands, sommes si sérieux : si vous faites de l’art, vous êtes forcément un social-démocrate qui joue Brecht. On veut toujours que vous fassiez du social sous prétexte que l’on vous apporte des fonds. Mais je ne me vois pas faire une pièce pour enfants pour être social. Mes créations sont pour tous.”
Il y a une liberté incroyable dans l’approche de Va Wölfl, comme celle de mettre des arbres dans un théâtre – et, dans la foulée, gâcher la vue de quelques rangs du public – ou de donner le nom d’“Amish” à une partie de Kurze Stücke parce que “ce sont les seules personnes qui rejettent toute forme de violence”. Va Wölfl va-t-il dévoiler sa fibre religieuse ? Il parle de la scène comme d’une “holy room” (lieu sacré) et refuse le terme de “protest art”. Mais au bout d’une heure d’entretien, on doute de son engagement spirituel : “L’important, c’est toujours d’essayer ce que nous n’avons jamais fait auparavant. Après tout, si vous venez passer 1 heure 30 à voir nos créations, il vaut mieux que ce ne soit pas tout à fait du temps perdu.” Ce serait même le contraire, tant l’art de Neuer Tanz bouscule nos certitudes. Va Wölfl est la première bonne raison de se réjouir en cette nouvelle saison. Ou pas.
Kurze Stücke, du 8 au 11 janvier au Théâtre de la Ville, Paris IVe,
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