L’homme d’affaires Tony Salamé a juxtaposé dans le même bâtiment enseignes de luxe et art contemporain. Et rassemblé ses acquisitions récentes dans une expo stimulante.
Il suffirait de se rendre au Liban et visiter, en bord de mer, la fondation Aïshti, pour mesurer combien les affinités électives entre l’art et la mode peuvent se déployer jusqu’à fusionner dans un seul espace physique. Et découvrir l’antre accompli d’un théâtre d’apparences flirtant avec la confusion des genres, effaçant tout souci de hiérarchisation entre les marques de luxe et la marque de l’art. Comme si acheter un sac Vuitton avant de contempler une vidéo d’artiste relevait d’un même élan.
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Entre un mall et un musée, un centre commercial et une fondation, une simple porte s’immisce ici, comme une voie de passage naturelle de l’un à l’autre. Telle une joint-venture entre l’univers du luxe, abritée dans un bâtiment noir et mat de l’architecte David Adjaye, où s’entrecroisent dans un jeu vertigineux des escaliers mécaniques, la collection Tony Salamé assume ouvertement l’origine (textile) de son existence.
Un titre emprunté à Ed Atkins
Si d’aucuns trouvent sur place un peu louche la rapidité avec laquelle il a construit sa fortune (un business démarré dans la revente de jeans dans un pays en guerre, au début des années 1990), lui avance avec l’aplomb tranquille d’un collectionneur vertueux et soucieux d’animer le paysage de l’art dans sa ville dépourvue de lieux consacrés à la scène contemporaine (hormis un petit réseau de galeries comme l’excellente Marfa au centre de Beyrouth). En achetant plus de deux cents œuvres par an (c’est dire le moyen de ses ambitions), l’homme d’affaires libanais rivalise avec les plus grandes institutions.
Inaugurée l’an dernier, la fondation présente cet hiver un nouveau show, The Trick Brain, nourri par ses récentes acquisitions : plus de soixante artistes sont ici exposés, à travers un parcours pensé par Massimiliano Gioni, directeur artistique du New Museum de New York.
Empruntant son titre à l’installation vidéo d’Ed Atkins qui explore les trésors du vieil appartement hanté d’André Breton, The Trick Brain joue sur des effets de correspondance entre des œuvres nourries par une touche néosurréaliste, oscillant entre une sorte d’hypersensibilité et une attirance pour la magie et l’irrationnel.
Dominée par une nouvelle génération de peintres figuratifs
Si le fil thématique tiré entre des œuvres, irréductibles à tout programme théorique univoque, peut parfois paraître un peu artificiel, le parcours fluide de l’exposition s’extrait facilement de ce cadre en laissant chaque pièce exister par elle-même.
Dominée par une nouvelle génération de peintres figuratifs – Nicole Eisenman, Jonas Wood, Lucy McKenzie, Henry Taylor… –, par quelques figures clé de la nouvelle scène asiatique – Haegue Yang, Danh Vo… –, par une pièce sublime de John Armleder ou par les photographies habitées de Cindy Sherman et Wolfgang Tillmans, l’exposition met littéralement à terre le visiteur en le confrontant à des larmes de femmes.
Dans sa série Woman Crying, l’artiste américaine Anne Collier, aspirée par des clichés dont elle cherche à exhumer la beauté oubliée (comme chez Richard Prince), resserre le cadre sur le visage de femmes en pleurs. Magnifiées par ces gros plans ajoutant à la beauté d’un visage la mélancolie secrète qui l’habite, ces larmes irradient la fondation. Jean-Marie Durand
The Trick Brain Jusqu’au 31 décembre, Aïshti Foundation, Beyrouth
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