Une émission de radio, l’interview d’un peintre par un critique devient le prétexte d’une danse de mort fantomatique… Pascal Rambert offre aux talentueux acteurs du Français sa pièce la plus baroque.
Ce studio de radio se conforme aux codes de la white box chère aux galeries d’art. Les diffuseurs placés devant les projecteurs renvoient à l’univers de la photo de mode. Clin d’œil à la couleur interdite sur les scènes, le vert tendre des coussins des assises des chaises et des fauteuils Tulip, tranche avec l’immaculé de leurs courbes fluides. Une série de têtes de micro grouillent sur une vaste table.
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En fond de scène, la structure d’un canapé en cuir a des allures de colonne vertébrale encore couverte de lambeaux de chair abandonnés aux charognards. Tout concourt, dans la scénographie conçue par Pascal Rambert pour sa pièce Une vie, à réunir les éléments d’une vanité du XXIe siècle, comme celles des tableaux de la Renaissance dédiés à une réflexion sur la mort.
Une joute brillante incarnée par des acteurs d’exception
Ultime menace apte à briser le huis clos rassurant de la représentation, la pièce ne commence que lorsque la lumière rouge du “on air” s’allume, sans que l’on sache si ce signal d’un broadcast sur les ondes inclut soudain des milliers d’oreilles invisibles à partager ce qui va se dire ici.
Il s’agit d’une interview. Un critique consacre son émission à la monographie d’un peintre célèbre, se réclamant de l’art figuratif quand tout le monde fait dans le conceptuel. Hervé Pierre est le questionneur, Denis Podalydès l’invité. Sur le thème d’une glose sur l’art, leurs savoureux échanges forment une joute brillante incarnée par des acteurs d’exception. On est déjà aux anges.
La confrontation du peintre avec l’enfant de 14 ans qu’il fut
Mais Pascal Rambert va plus loin en transformant le dialogue en un cérémonial spirite où s’incarnent bientôt les figures qui ont compté dans la vie de l’artiste. Le coup de théâtre invite son lot de monstres dans une sarabande dévastatrice.
Côté femmes, Cécile Brune s’avère stupéfiante en mère fellinienne forcément abusive, tout comme Jennifer Decker en muse adolescente indétrônable et glacée. Côté hommes, Alexandre Pavloff est le frère honni qui s’est tourné vers Dieu, tandis que Pierre Louis-Calixte incarne en diable carnavalesque l’ami d’enfance devenu l’agent de l’artiste. Sans oublier la confrontation du peintre avec l’enfant de 14 ans qu’il fut, où Pascal Rambert s’amuse d’une incarnation en alternance par des gamins des deux sexes.
Nous voici au cœur du plus baroque des théâtres. Le jaillissement d’une intarissable source de fantasmes relayée avec brio par l’interprétation éblouissante de chacun des membres de la troupe. En ce royaume, Rambert est au sommet.
Une vie texte, mise en scène et scénographie de Pascal Rambert, avec Cécile Brune, Denis Podalydès, Alexandre Pavloff, Hervé Pierre, Pierre Louis-Calixte, Jennifer Decker et en alternance dans le rôle de l’Enfant : Anas Adibar, Nathan Aznar, Ambre Godin et Jeanne Louis-Calixte, jusqu’au 2 juillet, Comédie-Française Théâtre du Vieux-Colombier, Paris VIe
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