Une traversée subjective d’un corpus chorégraphique majeur sous la forme d’un film-bilan constitué d’extraits de six pièces emblématiques.
En activité depuis un quart de siècle dans la sphère de la danse contemporaine (sa première pièce, Nom donné par l’auteur, datant de 1994), Jérôme Bel s’emploie à repousser les limites de l’expression chorégraphique et à bousculer les schémas conventionnels de la représentation. Il choisit de franchir le cap symbolique de la vingtième pièce avec une création revenant, de manière à la fois synthétique et ascétique, sur le parcours effectué jusqu’à présent.
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“Il y avait là quelque chose non pas à fêter mais à penser : plutôt que de produire du nouveau, essayer de voir ce que pourrait me raconter ce corpus de pièces anciennes, explique Jérôme Bel. L’intérêt de ce travail consiste à mettre au jour mes opérations sur la danse les plus productives afin de comprendre comment ma recherche s’est développée pendant vingt-cinq ans.”
Cette création-bilan à la subjectivité revendiquée prend la forme d’un film d’une heure et vingt-deux minutes, intitulé Rétrospective. “Je vais toujours voir les rétrospectives muséales d’artistes, même celles d’artistes qui ne m’intéressent pas, car il ne s’agit plus d’aimer l’œuvre ou pas, il s’agit de voir comment l’artiste a pensé, comment son travail a évolué, et c’est toujours fascinant”, déclare Jérôme Bel.
Remettre en scène aujourd’hui les fragments de pièces antérieures
L’idée d’un film s’est imposée d’abord pour des raisons économiques et humaines. Remettre en scène aujourd’hui les fragments de pièces antérieures nécessiterait en effet un budget très important, soixante interprètes au total apparaissant dans Rétrospective. De plus, ces interprètes ont forcément changé physiquement et ne peuvent pas reproduire à l’identique les pièces originelles.
“Le choix du médium filmique répond aussi à mon inquiétude face au réchauffement climatique, précise Jérôme Bel. J’ai la conviction que nous allons droit à la catastrophe et j’ai décidé, pour des raisons écologiques, que ma compagnie n’utiliserait plus l’avion pour ses tournées. Nous voyageons en train en Europe. Hors d’Europe, les spectacles sont remontés par des chorégraphes et des danseurs locaux grâce aux vidéos et aux partitions des pièces et via des répétitions en téléconférence. La danse doit changer son fonctionnement et prendre les mesures qui s’imposent dans le moment historique dramatique qui est le nôtre.”
Les premières images du film montrent Jérôme Bel face caméra, en plan fixe, présentant le projet avec une diction détachée et une intonation sourdement mélancolique proches de celles de Guy Debord. Pour le reste, Rétrospective se compose d’extraits de pièces emblématiques du chorégraphe : Jérôme Bel (1995), Shirtologie (1997), The Show Must Go On (2001), Véronique Doisneau (2004), Disabled Theater (2011) et Gala (2015). Suivant l’ordre chronologique de création des pièces, les extraits sont livrés tels quels, dans des qualités d’image variables, sans commentaire ni texte informatif – hormis les crédits au générique de fin.
Ainsi assemblés et présentés, brut de brut, ces fragments filmés tendent à rendre saillantes les grandes lignes de force de la pratique chorégraphique de Jérôme Bel, à commencer par sa distanciation vis-à-vis de la notion de spectacle – un spectacle dont il cherche à démonter les mécanismes et les règles pour proposer d’autres (proto)types d’expériences scéniques, aux formes variables.
D’une pièce à l’autre se révèle également essentiel le rapport dialectique entre l’aliénation du corps et la résistance à cette aliénation dans une quête méthodiquement obstinée d’émancipation. L’aliénation pouvant être engendrée par le capitalisme et la production culturelle (Shirtology), par la notion même de spectacle (The Show Must Go On) ou encore par l’institution coercitive du ballet classique (Véronique Doisneau). “J’ai essayé de montrer comment les représentations du corps dansant dans mes spectacles se modifient pour des raisons que je ne peux pas qualifier autrement que politiques”, déclare le chorégraphe.
Déjà programmé dans plusieurs festivals de cinéma, notamment au FID à Marseille, cet atypique objet filmique a pourtant bel et bien vocation à être diffusé avant tout dans des théâtres qui restent des lieux d’élection aux yeux de Jérôme Bel : “Le théâtre est l’espace où je suis libre. J’ai l’impression que je peux y faire ce que je veux.”
Rétrospective de Jérôme Bel, le 10 septembre, Grütli (La Bâtie-Festival), Genève ; du 27 au 29 septembre, Théâtre de la Ville – Les Abbesses, Paris XVIIIe et du 16 au 18 octobre, La Commune, Aubervilliers (dans le cadre du Festival d’Automne à Paris)
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