Il y a trois ans, Google dévoilait le programme Deep Dream, dernier né d’un projet de recherche autour de l’apprentissage des machines. Si le nom a des relents de patchouli flower power, le résultat, lui, semble sorti du cerveau d’un Dalí sous DMT. Entraîné à reconnaître certaines formes (la forme chien, la forme arbre), un système de neurones artificiels analyse les images qu’on lui soumet.
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Là où le cerveau humain est tenté d’identifier un visage à partir de deux points et un trait, l’intelligence artificielle produira carrément un dessin hyperréaliste de ce qu’elle croit reconnaître. A première vue plutôt anecdotique, le programme révèle combien notre appréhension du réel fonctionne selon des mécanismes similaires.
Récapituler les moments décisifs de l’histoire de l’humanité
A partir des structures mentales dont nous disposons, nous organisons la matière brute du réel de manière à faire sens. Résultat : nous pensons identifier des régularités, des récurrences au sein de la totalité inorganisée. Des effets de causalité tout aussi artificiellement produits que la forme chien-DMT que nous nommons ensuite histoire ou progrès.
Le cas Deep Dream est une porte d’entrée idéale au projet The Unmanned, tentative homérique de récapituler les moments décisifs de l’histoire de l’humanité en huit épisodes de 26 minutes. Certes l’entreprise, initiée en 2013 et désormais achevée, possède un fil directeur : retracer l’invention de l’informatique à travers huit moments de fulgurance venant trouer la flèche du temps. Mais pour Fabien Giraud et Raphaël Siboni, le duo d’artistes qui en est à l’origine, tout l’enjeu est précisément de produire une histoire non-linéaire et non-humaine de cette odyssée.
Comment ? En s’appuyant sur les ressources propres à la forme narrative du film où s’inventent non seulement une expérience mais aussi une structure d’expérience. “Contrairement au réel, le film est un espace régi par une intention, détaille Fabien Giraud. Si le cinéaste choisit de montrer tel indice visuel, c’est qu’il va avoir des conséquences.” Chaque épisode repose alors sur la construction d’un dispositif technique adapté au sujet, tandis qu’à l’échelle de la série, les épisodes se répondent par paires.
Huit épisodes qui prennent vite en otage le spectateur
La première saison s’ouvre sur la mort du transhumaniste Ray Kurzweil (en 2045) et se clôt sur l’entrée des conquistadors sur les terres où poussera la future Silicon Valley (en 1542). Les reliant, le programme Deep Dream apprend, avec le premier film, à reconnaître des motifs qu’il fait en retour émerger en un processus paranoïaque de feedback infini. Il y a aussi la reproduction du même mouvement de caméra – “au millimètre près” – entre la partie d’échecs où Kasparov capitula devant l’ordinateur IBM (1997) et le calcul réussi de la trajectoire retour de la comète de Halley (1759).
Montrés en frise au Casino Luxembourg, les huit épisodes prennent vite en otage le spectateur. Car, au démembrement chirurgical du temps humain, s’adjoint aussi une production grandiloquente, ainsi qu’une densité toute bruegélienne de l’image.
“L’un des points de référence est une série de la BBC des années 1970, Connections, qui rejoue de manière télévisuelle l’invention de l’électricité”, précise Fabien Giraud. Face aux films de The Unmanned comme face au monde, deux modes d’appréhension alternatifs s’offrent à nous : se contenter de se laisser entraîner ou bien tenter d’en déplier la structure. Ingrid Luquet-Gad
The Unmanned Jusqu’au 27 avril au Casino Luxembourg, Luxembourg
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