Avec Une femme se déplace, David Lescot donne à son personnage la possibilité de voyager dans sa propre vie et de la réinventer. L’occasion de revenir sur le parcours théâtral de cet auteur, metteur en scène, acteur et musicien.
Depuis le temps que son théâtre rime avec musique, ça devait finir par arriver : David Lescot signe sa première comédie musicale, Une femme se déplace, avec Ludmilla Dabo dans le rôle-titre. Une histoire où la science-fiction se mêle d’embrouiller les fils narratifs à travers les tribulations d’une femme qui découvre le pouvoir de voyager à l’intérieur de sa propre vie, avec toutes les conséquences que cela induit pour elle comme pour son entourage.
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Cela dit, David Lescot qualifiait déjà de “comédie musicale noire” le tout premier texte qu’il écrit et met en scène en 1998, Les Conspirateurs : “Cette pièce racontait les aventures d’une société secrète, un groupe de dissidents qui luttait contre un Etat oppressif. Ils se réunissaient dans les cimetières pendant les enterrements et les messages codés qu’ils se transmettaient pour leurs opérations se cachaient dans des chansonnettes. J’ai toujours été fasciné par la Résistance, ce moment où des gens mettent leur vie en jeu en la confiant à des choses qui sont de l’ordre du théâtre ou du jeu d’enfant : le message codé, le travestissement. C’est peut-être même mon idée du théâtre, une réunion de gens qui ont décidé de se cacher. Avant de montrer ce qu’ils font.”
“Pour moi, le théâtre, c’est l’espace de l’enfance”
Le fait d’avoir grandi auprès d’un père, Jean Lescot, acteur au théâtre comme au cinéma n’y est sans doute pas étranger. Il joue notamment dans L’Affiche rouge de Frank Cassenti en 1976 : “Le dénommé Wasjbrot sur l’Affiche rouge (une affiche de propagande allemande massivement placardée en France sous l’Occupation qui comprend les photos, les noms et les actions menées par dix membres du groupe Manouchian – ndlr) n’est pas de la famille, mais c’est le vrai nom de mon père. Il jouait beaucoup au théâtre et il a été des aventures de la décentralisation auprès de Jean-Pierre Vincent, Jean Jourdheuil, Claude Régy, Armand Gatti.”
“Pour moi, le théâtre, c’est l’espace de l’enfance. C’est quelque chose qui nous distingue avec mon frère Micha quand on est petits, le fait que notre père soit acteur, que, parfois, on le voit à la télé. Plus que le cinéma ou la télé, c’était le théâtre qui m’intéressait, parce que j’aimais la préparation, les coulisses ; c’est le lieu où on joue, où on s’amuse. Et puis les textes, car mon père y était très attaché et je me souviens lui avoir fait répéter des textes, genre Introspection de Peter Handke quand j’avais 8 ans.”
L’enfant qui aime les textes et le théâtre se découvre aussi une passion pour la musique, se forme à la trompette et à la guitare auprès de professeurs, puis joue, adolescent, dans divers groupes de jazz, de rock ou de musiques de l’Est. La mise en scène et l’écriture vont lui permettre d’y mêler la musique, de les unir solidement et solidairement. “J’ai commencé par l’écriture. Elle a été le sésame pour entrer au théâtre. Je savais que je n’avais pas envie de répertoire et j’ai écrit pour que les acteurs aient quelque chose à jouer. Dès le départ, je voulais qu’il y ait de la musique et ça se faisait très peu à l’époque.” Micha Lescot, son frère cadet, joue dans ses premiers spectacles, Les Conspirateurs et L’Association ; ensuite, leurs chemins professionnels se séparent et chacun se choisit sa “famille de théâtre” : “Micha, ça a été Roger Planchon, Jean-Michel Ribes, Luc Bondy. Et moi, Julie Brochen, Emmanuel Demarcy-Motta, Fabrice Melquiot ou Anne Torrès.”
Une sorte d’homme-orchestre qui développe aussi des formes chorales
Au fil du temps, son désir d’associer sur le plateau une écriture dramaturgique qui mixe la parole et le chant, portée par des corps qui jouent ou dansent dans un même élan ludique et philosophique, a pris des formes diverses. Du seul-en-scène qui fait un tabac en 2008, La Commission centrale de l’enfance – où, en s’accompagnant d’une guitare électrique tchécoslovaque de 1964, il relate ses souvenirs de colonies de vacances créées en France par des Juifs communistes –, à son duo, 45 Tours, avec le danseur et chorégraphe congolais DeLaVallet Bidiefono, David Lescot est non seulement auteur, musicien et metteur en scène, mais aussi acteur de son théâtre.
Une sorte d’homme-orchestre qui développe aussi des formes chorales, très documentées, privilégiant le sens du collectif, du Système de Ponzi sur la démesure de la finance à Nos occupations où l’on suit les actions d’un groupe clandestin, sans oublier Les Ondes magnétiques, une plongée dans l’aventure des radios libres des années 1980, créé la saison dernière avec la troupe de la Comédie-Française.
“J’ai lu quelques trucs sur les univers parallèles, sur les recherches en physique, mais j’ai surtout repensé à des films
Au départ d’Une femme se déplace, il y a la rencontre avec l’actrice et chanteuse Ludmilla Dabo, lumineuse interprète du Portrait de Ludmilla en Nina Simone créé en janvier dernier. “Quand j’ai décidé que ce serait Ludmilla, je n’avais que l’idée de la comédie musicale, mais je n’avais pas commencé à écrire. Je savais que je voulais écrire l’histoire d’un twist temporel. J’adore ces scénarios-là, ces façons de regarder l’existence, les choix que l’on fait et la manière de considérer la vie. Sachant que ce serait Ludmilla, ça a orienté l’écriture. J’ai lu quelques trucs sur les univers parallèles, sur les recherches en physique, mais j’ai surtout repensé à des films.”
“Les comédies musicales des années 1940 et 1950 bien sûr, celles de Vincente Minnelli ou de Stanley Donen, les comédies américaines Un jour sans fin ou Retour vers le futur, et ce film peu connu d’Alain Resnais des années 1960, Je t’aime je t’aime. Claude Rich y joue un personnage que des scientifiques envoient une minute dans son passé et il le revoit par bribes. Ce qui m’intéressait, c’était de raconter une vie par fragments et pas dans l’ordre chronologique. Parce que finalement, c’est la manière dont on se raconte nos vies à nous-mêmes.”
Sur scène, Une femme se déplace réunit onze interprètes et quatre musiciens, sous la direction musicale d’Anthony Capelli déjà aux manettes des Ondes magnétiques. Ils jouent à saute-mouton entre passé et présent, au gré des événements où se retrouve catapultée Georgia, une trentenaire, professeure de littérature à l’université, mariée, mère de famille, satisfaite de son existence, jusqu’à ce déjeuner au restaurant avec son amie Axelle où tout dérape. Les chansons et la musique se chargent de traduire l’état intérieur de Georgia, à la façon d’un autre film d’Alain Resnais, On connaît la chanson.
Voyager dans sa propre vie ou dans celle d’une autre, c’est ce qui attend Ludmilla Dabo qui va jouer ces jours-ci en alternance Une femme se déplace et Portrait de Ludmilla en Nina Simone. Comme un exercice de style sur l’art du comédien, sans doute, mais aussi pour se faire la passeuse, dans les deux cas, de ce qui pour David Lescot est avant tout “l’histoire d’une émancipation, d’une révolution personnelle, une suite d’expériences appliquées à de l’humain, une bataille menée contre le conformisme, une exploration des possibilités de l’amour, une revendication de l’imagination comme principe de transgression sociale”. Un appel d’air, en somme, pour faire voler en éclats le plafond bas des mornes assignations où étouffent tant de rêves.
Une femme se déplace avec Ludmilla Dabo, Elise Caron, Jacques Verzier, du 11 au 21 décembre, en alternance avec Portrait de Ludmilla en Nina Simone avec Ludmilla Dabo et David Lescot, du 13 au 21 décembre, Théâtre des Abbesses, Paris
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